Analyse 2019-20

Ce 15 juin dernier, un collectif français du nom de Ça va saigner a appelé les femmes à lutter contre la précarité menstruelle en tachant de vrai ou de faux sang leurs vêtements et, pourquoi pas, même les sièges du métro [1]. Plus tôt, en février, c’était une jeune étudiante parisienne, Iréné, qui avait fait le buzz sur Instagram en exposant des photos d’elle dans différents endroits publics lors de ses règles, sans protection hygiénique. Son objectif ? Lever le tabou sur ce sujet de société que sont les règles et dénoncer le coût élevé de la prise en charge des flux menstruels [2]. 

Ces actions chocs ne sont pas les premières à avoir eu lieu et suscitent la réflexion : en quoi est-ce utile de parler des règles dans la sphère publique ? Les femmes ont-elles toutes les mêmes chances de pouvoir se procurer des protections hygiéniques ? Pouvoir gérer l’écoulement de ses règles, est-ce de l’ordre de la responsabilité individuelle ou bien s’agit-il d’un enjeu public ? Des questionnements auxquels Couples et Familles a décidé de s’atteler.
 
Un phénomène naturel et pourtant !

Les femmes sont affectées par leurs règles depuis la nuit des temps, c’est un phénomène biologique naturel qui prend cours à la puberté jusqu’à la ménopause. La durée habituelle de ces saignements utérins est de 3 à 7 jours par mois mais elle peut varier d’une femme à une autre et peut même être prolongée en cas de ménorragie [3].

Bien que ce sujet soit on ne peut plus commun, la réalité que recouvrent les règles est la plupart du temps réduite à la loi du silence. Et lorsque ce n’est pas le cas, c’est plutôt de manière négative que les règles sont évoquées dans la sphère publique. Il n’est pas rare d’entendre que ces flux sanguins font l’objet de dégoût ou qu’ils soient décrits comme quelque chose de « sale ». D’ailleurs, combien de personnes ne se sont pas senties gênées en ayant vu ou en ayant eu une tache de sang sur un vêtement au niveau de l’entrejambe ? Mais aussi, combien de femmes ne cherchent pas à ruser pour se rendre discrètement aux toilettes sans se faire repérer avec leur protection hygiénique ? Et enfin, combien d’entre elles n’ont jamais subi de remarques dénigrantes au sujet de leurs règles, parfois sous le couvert de l’humour ? « Quelle humeur ! Les rouges ont débarqué ?! »

En 2018, un sondage américain a été mené par l’entreprise de protections hygiéniques Thinx auprès de 1500 femmes et a relevé que 58% des femmes interrogées éprouvaient de la honte pendant leurs menstruations [4]. Un chiffre particulièrement élevé qui soulève l’indignation. Comment la société est-elle construite pour qu’autant de femmes éprouvent un tel sentiment à l’égard d’une simple caractéristique biologique féminine ? Selon Laudine Lahaye, chargée d’études aux Femmes Prévoyantes Socialistes, ce sont les expressions véhiculées par la société qui sont porteuses de honte et de dégoût. Rien que le terme « protection hygiénique » suggère que les règles sont associées « au danger et à la souillure dont il faut se préserver par des mesures de propreté » [5]. Quant au terme anglo-saxon « period shaming », il illustre littéralement le caractère honteux des menstruations, ajoute-t-elle. 

Lever le tabou des règles
 
Lever le tabou des règles relève du combat politique car changer la façon dont on parle des menstruations dans la société, c’est avant tout réfléchir à la considération et à la place que l’on désire donner aux femmes dans la société. C’est leur permettre de vivre cette période mensuelle avec dignité et non plus avec honte ou dégoût, dans l’acceptation de leur corps. C’est aussi ouvrir le débat à différentes questions concrètes qui impactent le quotidien des dames : ont-elles facilement accès aux toilettes dans l’espace public ? Les toilettes publiques sont-elles munies de poubelles, d’éviers, de savons ou de distributeurs de protections hygiéniques ? Etc.

Les familles ont également un rôle crucial à jouer dans l’éducation à cette thématique. Il ne faut pas nécessairement attendre qu’une jeune demoiselle découvre ses premières règles pour oser en parler. Quant aux garçons, ils ne doivent pas être délaissés de la conversation sous prétexte qu’ils ne sont pas concernés. Il est nécessaire de les éveiller à la question afin qu'ils participent au changement de l’image qui est véhiculée à l’égard des règles et plus largement des femmes. Délier les langues au sujet des menstruations peut donc passer par de multiples canaux comme la famille et l’organisation du vivre ensemble, mais aussi par l’école et les médias, comme en atteste le buzz d'Iréné.

Les règles, un coût

Il est indéniable que les règles engendrent un coût. Cependant, toutes les femmes ne sont pas en mesure de l'assumer. Selon l’office belge de statistique Statbel, 350 000 femmes vivent sous le seuil de pauvreté en Belgique [6]. Certaines connaissent alors un dilemme et non des moindres : manger ou s’acheter des protections hygiéniques. Ces femmes précarisées sont des personnes sans-abri, des immigrées, des travailleuses à mi-temps, des personnes à faible revenu, des étudiantes, des femmes seules avec ou sans enfants, etc. Elles sont nombreuses à éprouver des difficultés lorsqu’il s’agit de faire face à cette période de menstruation. Rien que le coût des protections hygiéniques est en lui-même trop conséquent pour leur budget mensuel, ce à quoi peuvent s’ajouter d’autres dépenses comme l’achat de produits intimes, le paiement de consultations gynécologiques ou encore d’antidouleurs.

En conséquence de cette précarité menstruelle, c’est-à-dire de cette incapacité à pouvoir subvenir à ses besoins en période de menstruation, des femmes se voient dans l’obligation de confectionner diverses solutions de fortune pour pouvoir gérer leurs écoulements sanguins. Certaines utilisent du papier journal, des vêtements qu’elles ont déchirés, des chaussettes, du papier toilette, etc. D’autres parviennent à se procurer l’une ou l’autre protection hygiénique qu’elles gardent sur elles bien plus longtemps que la durée préconisée. Toutes ces solutions les exposent à de lourdes conséquences médicales comme les démangeaisons, les infections, les chocs toxiques et les septicémies. Qui plus est, le manque d’accès aux protections hygiéniques peut également avoir des répercussions sur le bien-être psychologique de ces femmes ainsi que sur leur intégration sociale. En effet, « comment affronter un entretien d’embauche si vous saignez et n’êtes pas en mesure de vous protéger ? » illustrait Tara Hauzé-Sarmini, fondatrice de la collecte de produits hygiéniques Règles élémentaires en France [7]. De ce fait, la précarité menstruelle représente un problème de santé publique dont les politiques doivent s’emparer.

En France, une affaire d’État ?

En mai 2019, Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'égalité en France, a proposé de réfléchir à un projet de gratuité des protections hygiéniques dans des lieux collectifs [8]. Une proposition qui ne fut pas accueillie à l'unanimité de la part des citoyens français. Sur les réseaux sociaux et les forums, de nombreux citoyens s'offusquaient d'une telle proposition, ils criaient au scandale : pourquoi la collectivité devrait-elle prendre en charge quelque chose qui dépend de la responsabilité individuelle ? Pourquoi payer pour quelque chose qui ne profite qu'aux femmes ? Ne faudrait-il pas alors rembourser les rasoirs des hommes pour assurer plus d'égalité ?

Pour Couples et Familles, cette proposition du gouvernement français cherche avant tout à assurer un traitement équitable entre ses citoyens. Si les hommes ont le choix de se raser ou non, il n'est pas question de choix lorsque les femmes ont leurs règles tous les mois. Elles sont obligées de prendre en charge leurs règles et cela même si elles n'en ont pas les moyens financiers. Les femmes se trouvent alors dans une situation d'inégalité face à leurs dépenses du simple fait qu'elles disposent d'une caractéristique biologique qui les différencie des hommes. Or comme l'affirme Iréné, « Si nous décidons de ne pas porter de protection, c'est l'espace public qui est impacté. Nous sommes donc tous concernés. » [9] Il s'agit donc d'un réel enjeu public.

Et en Belgique alors ?

Plusieurs initiatives associatives et citoyennes luttent contre la précarité menstruelle en Belgique. Certaines comme Bruzelle à Bruxelles ou encore Précarité menstruelle à Liège collectent des protections hygiéniques pour les mettre à disposition des femmes qui en ont besoin. Le collectif « belges et culottées » a quant à lui réalisé une action en 2016 qui visait l’abolition de la taxe en vigueur sur les produits menstruels. En effet, les protections hygiéniques étaient taxées à 21% c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’un produit de luxe. Une taxation que le collectif dénonçait comme discriminatoire. Suite à cette mobilisation, la loi a été modifiée à la fin de l’année 2017 et depuis lors, la taxe des produits menstruels est passée à 6%, les considérant comme des produits de première nécessité. La fin de cette taxe à 21% est une victoire qui a permis aux femmes d’épargner près de 2 000 euros sur leur vie et par personne [10].

 

 

 

 

 

 

 

[1] « Ça va saigner » : les femmes qui luttent contre des règles trop chères. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 17 septembre 2019.
[2] Précarité menstruelle : activisme féministe d’un nouveau genre. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 17 septembre 2019.
[3] La ménorragie (hyperménorrhée). In : https://www.passeportsante.net/. Consulté le 17 septembre 2019.
[4] Plus de la moitié des femmes ont honte d’avoir leurs règles. In : http://www.slate.fr/. Consulté le 17 septembre 2019.
[5] LAHAYE, L., « La loi du "sang-lence" ». In : Femmes plurielles, n°64 (2018), p. 5.
[6] Précarité menstruelle : quand l’intimité a un prix. In : https://www.alterechos.be/. Consulté le 17 septembre 2019.
[7] « Il a fallu que je choisisse : j’achète des protections hygiéniques ou je mange ? ». In : http://www.slate.fr/. Consulté le 17 septembre 2019.
[8] Le gouvernement veut expérimenter la gratuité des protections hygiéniques dans des lieux collectifs. In : https://www.lemonde.fr/. Consulté le 17 septembre 2019.
[9] « Il a fallu que je choisisse : j’achète des protections hygiéniques ou je mange ? ». In : http://www.slate.fr/. Consulté le 17 septembre 2019.
[10] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.






 

 

 

 

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