Analyse 2019-22

Pour situer dans un premier temps en quoi consiste la charge sexuelle, il est bon de rappeler ce qu’est la charge mentale, principe apporté par la sociologue Monique Haicault en 1984 [1]. La charge mentale, c’est ce que vivent des milliers des femmes, souvent mamans, bien trop souvent débordées. Toujours une liste des tâches à faire dans un coin de la tête, les femmes se dévouent entièrement à leur famille, à leur travail et finalement s’oublient. C’est au point de parler de double journée (parfois même triple si on tient compte des trois rôles : travailleuse, mère et épouse).

Le fameux « Tu n’avais qu’à me demander de l’aide » signifie que le partenaire refuse de prendre sa part de responsabilité, sa part de la charge mentale. Ce n’est pas d’aide dont les femmes ont besoin, mais d’un investissement spontané et équitable. Le fait de devoir penser constamment à tout épuise et l’entourage ne s’en aperçoit pas. Jusqu’à ce qu’on en parle. Cependant, il ne s’agit pas de la seule charge que les femmes ont sur les épaules. La charge sexuelle, parlons-en.

Les bandes dessinées d’Emma, une bloggeuse ayant fait le buzz sur les réseaux sociaux, et particulièrement avec le tome Les conséquences [2], abordent le concept de charge mentale mais aussi de charge sexuelle, qui en fait bel et bien partie. De nombreux éléments entrent en compte. Nous pouvons déjà aborder le thème de la contraception : les normes sociales et la société font en sorte que cela reste une affaire de femme. La contraception reste individualisée, gérée par la femme, seule, qu’il s’agisse de la prise de la pilule, de la pose d’un stérilet, etc. Et si le préservatif est d’usage, il n’est utilisé qu’aux débuts d’une relation. Comme en témoigne le Projet Crocodiles [3], il incombe bien souvent aux femmes de devoir se procurer des préservatifs, mais aussi d’insister auprès de leur partenaire pour que ce dernier le porte. Il est important de préciser que la contraception bénéficie aux deux partenaires. Mais un homme n’est pas confronté personnellement à un risque de grossesse. Cet argument est-il réellement suffisant pour laisser sa partenaire gérer seule leur contraception ? On parle de pilule masculine [4] depuis maintenant plusieurs années. En attendant sa mise en place sur le marché, il existe trois méthodes qui impliquent les hommes : le préservatif, mais nous l’avons vu il peut également générer une charge émotionnelle supplémentaire pour les femmes ; le retrait, qui manque de fiabilité et engendre une charge, lui aussi (« Va-t-il se retirer à temps ? Le fera-t-il vraiment ? ») ; et enfin, la vasectomie. Cette méthode désormais réversible est en augmentation chez les Belges selon les chiffres de l’Institut National d’Assurance Maladie Invalidité (INAMI) [5]. La volonté de soulager leur partenaire d’une contraception éprouvante est de mise, mais la peur que cette opération entache leur virilité fait encore souvent obstacle.

Pourquoi ne portons-nous pas cette charge ensemble ? Le manque de communication fait partie des raisons, mais aussi le fait que se protéger a un coût et n’est pas encore suffisamment accessible pour toutes et tous, ce qui ne facilite pas l’affaire. Des lieux tels que des plannings familiaux proposent gratuitement des moyens de contraception, mais encore faut-il disposer de cette information.

Prendre une contraception, hormonale ou non, résulte d’un choix. Mais dans ces conditions, peut-on encore parler de choix ? Bien souvent, les femmes prennent la pilule parce qu’il le faut bien pour éviter la grossesse, que c’est le moyen le plus classique, « que tout le monde la prend un jour ou l’autre ». Malgré cela, certaines femmes font le choix de renoncer à la pilule, tant elle peut présenter des inconvénients : passant de la crainte de l’oublier aux risques pour la santé. C’est ainsi que l’on constate le retour des contraceptions dites naturelles ou bien le port du stérilet de cuivre. Néanmoins, il est utile de rappeler que ces méthodes comportent elles aussi des désavantages. L’idéal serait que ce choix, quel qu’il soit, émane d’un dialogue entre les deux partenaires, qu’aucun ne soit dans une situation de contrainte. Là serait une des clés pour soulager cette charge mentale contraceptive.

La charge sexuelle ne se limite pas à la contraception, d’autres éléments sont à prendre en compte.

Le care en toute intimité

Nous l’avons vu, le port du préservatif, c’est toute une histoire. Mais lorsqu’un risque a été pris, qui, généralement, prend rendez-vous le plus vite possible chez son médecin traitant ? La femme, car comme on le sait, le rôle qu’on lui identifie dans une famille ou au sein d’un couple : c’est de prendre soin, d’être vigilante à la santé et au bien-être des autres, en d’autres termes, on l’associe au care. Les femmes veillent également à être suivies régulièrement par un gynécologue, c’est un enseignement répandu. Contrairement aux hommes, dont les visites chez l’urologue ou encore le sexologue sont bien moins fréquentes. Le rapport à la médecine est donc lui aussi genré [6]. Non seulement les femmes doivent se soucier de leur santé, mais aussi de celle de leur partenaire, en insistant pour réaliser un dépistage par exemple.

Une division sexuelle du travail selon le genre ?

Dans un couple hétérosexuel, un autre « devoir » incombe à la gent féminine : celui d’être désirable. C’est une histoire d’attitude, être suffisamment disponible, mais attention, pas trop, au risque d’être victime de slutshaming : des insultes sous lesquelles se cache la volonté de faire honte aux femmes à propos de leur sexualité, comme l’explique Laudine Lahaye dans son analyse portée sur ce mécanisme d’oppression [7].

C’est également applicable en ce qui concerne l’apparence. Lingeries, épilation intégrale et présentation d’un corps considéré comme attirant selon les standards de beauté véhiculés par  la société et les médias. La dernière étude de Couples et Familles, Pourquoi je ne m’aime pas ? [8], aborde la question du regard de l’autre, de la pression qu’il peut susciter, et surtout du profond malaise qu’il est susceptible d’engendrer. Les complexes naissant de la peur de ne pas correspondre à un idéal physique, et donc de ne pas être désirable pour son partenaire, sont des facteurs contribuant à cette charge émotionnelle et invisible. On pourrait qualifier cela de charge érotique. Des auteures comme Mona Chollet et Fiona Schmidt le confirment : les corps ne sont pas tous égaux devant la nudité. De plus, on peut se poser la question de pourquoi, dans la majorité des cas, est-ce uniquement aux femmes de susciter la sensualité ?

Et le plaisir de la femme dans tout ça ? C’est une autre charge qui s’ajoute à l’équation : la charge orgasmique ! Il y a tant de choses à penser que c’est finalement difficile de pouvoir lâcher prise et de se consacrer au moment présent. Maïa Mazaurette compare tout ce qui contribue à cette charge aux épines, des épines dans le pied qui empêchent de lâcher prise et de fleurir. L’environnement contribue-t-il à cette difficulté de « profiter de l’instant présent » ? Il semblerait que oui. Le foyer et plus particulièrement la chambre, sont le théâtre des tâches ménagères, entre autres, et donc de la charge mentale. Et cette même charge mentale s’entretient mutuellement avec la charge sexuelle. Proposer des pistes de réflexions et suggérer des améliorations, c’est ce que propose le sexpowerment [9], un dérivé de l’empowerment (le pouvoir obtenu par l’apprentissage) qui consiste à se libérer de ces charges et des stéréotypes comme le dit Camille Emmanuelle, auteure spécialisée dans les questions de la sexualité. Se libérer, c’est se réapproprier sa sexualité, se sentir puissante. « Être une femme c’est parfois lourd. J’enviais les hommes : pas besoin de s’épiler, de chercher l’orgasme ou de simuler, pas besoin de se demander si sa jupe est trop courte… », explique-t-elle via un témoignage de son livre.

Le plaisir semble alors uniquement à portée de l’homme. Frustration. Et à cela se rajoute le sentiment de devoir faire passer son propre plaisir après celui de son partenaire. D’ailleurs la femme est encore aujourd’hui encouragée, depuis toute jeune, à prioriser son entourage, parfois à son détriment. Si bien que certaines se sentent obligées de simuler, ou pire encore, de se forcer à avoir un rapport alors que l’envie n’y est pas ! Encore une frustration. Il existe bien sûr des normes et standards oppresseurs envers les hommes, comme par exemple cette idée de performance, d’être viril à tout prix. Toujours est-il que le plaisir masculin est davantage mis en avant que le féminin. Cette différence par rapport au plaisir a récemment trouvé l’expression qui lui est propre, d’origine britannique : the orgasm gap, ou le fossé orgasmique en français. Les femmes atteignent moins souvent l’orgasme que les hommes. À qui la faute ? Il s’agit d’un phénomène multifactoriel. La méconnaissance du corps de la femme y joue un grand rôle : en effet, moins d’études ont été réalisées à propos du plaisir féminin, que le grand public considère encore comme « mystérieux », comparé à celui de l’homme. Ce n’est pas une tâche facile de faire ouvrir les yeux sur ce que la société patriarcale a choisi de ne pas voir. Le combat prend forme également sur les réseaux sociaux, suite au mouvement polémique MeToo, le compte Instagram @Tasjoui voit le jour afin de souligner ces pressions que vivent les femmes en matière de sexualité.

Cependant, il est important de rappeler que chacun et chacune conçoit sa sexualité à sa manière, et que le fait d’avoir un orgasme n’est pas obligatoire lors d’une relation sexuelle. Certains et certaines voient le rapport comme l’opportunité de se rapprocher, de partager un moment de tendresse et d’intimité par exemple. Avoir une vie sexuelle satisfaisante et donc épanouissante semble être un objectif à devoir absolument atteindre à l’heure actuelle ; cela confirmerait les sentiments amoureux et donc promettrait la réussite du couple. Cependant, le plus important c’est la vivre pour soi, en cohésion avec ses valeurs et ses ressentis, sans bien sûr oublier ceux de son partenaire ! La communication s’avère un ingrédient primordial pour une relation sexuelle agréable pour les deux, car comme son nom l’indique, il s’agit bien d’une relation ! [10]

 



 

 

 

 

 

 

 

[1] HAICAULT M., La gestion ordinaire de la vie en deux, 1984.
[2] EMMA, Les conséquences, 15/11/18 : https://emmaclit.com/ (consulté le 23/09/19).
[3] BOUTANT J. et MATHIEU Th., Projet Crocodiles, 2013 : https://projetcrocodiles.tumblr.com/ (consulté le 24/09/19).
[4] Pour aller plus loin, voir « Contraception, les hommes sont-ils prêts à avaler la pilule ? », analyse 2019-07 de Couples et Familles.
[5] FAYT N., « Les vasectomies sont en hausse en Belgique », 14/08/17 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 24/09/19).
[6] GALLOT Cl., « Désir ; plaisir ; contraception, MST… c’est la charge sexuelle », 18/02/19 : http://www.slate.fr/ (consulté le 23/09/19).
[7] LAHAYE L., « Le slutshaming : un mécanisme d’oppression au-delà de l’insulte », analyse des Femmes Prévoyantes socialistes, décembre 2017 : http://www.femmesprevoyantes.be/ (consulté le 24/09/2019).
[8] Pour aller plus loin, voir Pourquoi je ne m’aime pas ?, dossier 129 des Nouvelles Feuilles Familiales, septembre 2019.
[9] EMMANUELLE C., Sexpowerment, le sexe libère la femme (et l'homme), 2016.
[10] Analyse rédigée par Violette Soyez.






 

 

 

 

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