Analyse 2019-23

Ces dernières années, Couples et Familles s’est penché à plusieurs reprises sur la question des allocations familiales [1]. De gros changements ont été opérés ; d’autres sont prévus à l’horizon 2020. C’est le cas de l’entrée en vigueur des nouveaux montants d’allocations familiales et de suppléments sociaux. Mais sur ce volet de la réforme, la polémique enfle : une pétition a été lancée par des parents qui se jugent floués par le nouveau système [2]. Qu’en est-il au juste ? Quelles sont les avancées de la réforme ? Permettent-elles d’améliorer la situation de toutes les familles ?

Tout commence en 2014, lorsque la sixième réforme de l’État entraîne le transfert de nouvelles compétences vers les entités fédérées. Parmi les matières régionalisées se retrouvent les allocations familiales. Non plus géré par le niveau fédéral, ce pan de la sécurité sociale belge est désormais entre les mains de nombreuses institutions différentes, mais surtout autonomes les unes par rapport aux autres. Cette compétence est attribuée à la Région wallonne pour les francophones de Wallonie, tandis que la Communauté germanophone a préféré gérer les allocations familiales de son côté. La Communauté flamande et la Commission communautaire commune (COCOM) sont les autorités compétentes respectivement pour le Nord du pays et pour la région de Bruxelles-Capitale. Cette mixité institutionnelle a entrainé une diversité importante dans la manière dont la question des allocations familiales a été traitée, et donc des particularités régionales. Les nouveaux montants sont différents, les conditions d’octroi varient et le lancement des réformes n’a pas été programmé en même temps.

En Wallonie, quatre caisses privées d’allocations familiales (issues de la fusion d’anciennes caisses) ont reçu l’agrément et se chargent, depuis le 1er janvier 2019, de verser les allocations familiales aux familles inscrites chez elles. Il s’agit de Camille, Infino, Kidslife et Parentia. Une caisse publique existe également, Famiwal, qui remplace l’ancienne caisse publique Famifed. Pour chapeauter l’ensemble de la protection sociale wallonne, l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ), un organisme d’intérêt public, a été créée. C’est elle qui gère, parmi d’autres choses, le budget des allocations familiales et qui contrôle les différentes caisses susmentionnées [3].

Plus d’égalité, de solidarité et de liberté

Certes, cette grosse réforme est le résultat d’une régionalisation d’un pan de la sécurité sociale. La solidarité nationale est en effet de plus en plus difficile à maintenir, et progressivement, chaque entité fédérée est amenée à gérer elle-même ces matières. Mais cette réforme a néanmoins du bon ! Repenser le modèle de distribution des allocations familiales était nécessaire. Le système qui prévalait jusqu’ici encourageait les familles à concevoir beaucoup d’enfants, le montant des allocations versé étant plus avantageux à mesure des naissances. Désormais, à partir du 1er janvier 2020, un montant de base de 155 euros sera octroyé pour chaque enfant sans distinction de rang (c’est-à-dire sans tenir compte de la place de l’enfant dans la fratrie). Les rangs sont également supprimés pour la prime de naissance [4]. Ce montant fixe a de nombreux avantages : non seulement il met sur le même pied d’égalité tous les enfants, mais il permet aussi de soutenir mieux les familles dès leur premier enfant, ce qui rencontre davantage les préoccupations des familles d’aujourd’hui. Il permet également de simplifier le casse-tête auquel les familles recomposées doivent faire face.

Le nouveau système permet également d’améliorer le soutien aux familles en difficulté. Depuis le 1er janvier 2019, les suppléments sociaux tiennent compte uniquement des revenus et non plus du statut professionnel (chômeur, pensionné, etc.) des adultes composant le ménage. De cette manière, les travailleurs ne sont pas pénalisés en recevant une allocation moindre, et les pièges à l’emploi sont évités. Un supplément de 25 euros par enfant est accordé chaque mois si les revenus du ménage sont inférieurs à 50 000 euros bruts annuels. Le montant du supplément atteint 55 euros par enfant si les revenus sont inférieurs à 30 984 euros bruts par an. À cela s’ajoutent d’autres compléments, toujours en fonction des plafonds de revenus, en cas de maladie ou d’invalidité d’un parent, pour les familles monoparentales ou encore les familles nombreuses. Par ailleurs, l’allocation accordée aux orphelins est adaptée : même si celle-ci a considérablement diminué (de 368,03 euros par mois à 232 pour les enfants mineurs et 247 pour les majeurs), elle n’est plus supprimée dans le cas où le parent survivant se remet en ménage avec quelqu’un. Dans le cas des orphelins de père et de mère, le montant mensuel est de 350 euros. La réforme met donc un point d’honneur à créer une solidarité entre tous les modèles familiaux et à diminuer l’impact négatif de la situation des parents (précarité, recomposition, etc.) sur l’enfant, pour mieux lutter contre la pauvreté infantile [5].

Enfin, en plus de renforcer l’égalité et la solidarité entre les familles, cette réforme engendre aussi plus de liberté puisqu’elle donne la possibilité aux parents de choisir leur caisse d’allocations familiales. Les parents d’enfants à naître ou nés après le 1er janvier 2019 doivent déjà faire la démarche de les inscrire dans la caisse de leur choix, tandis que pour les parents d’enfants nés avant 2019, ce volet de la réforme entrera en application à partir de 2021. En attendant, les enfants restent inscrits dans la caisse d’allocations familiales liée à l’affiliation de l’employeur de l’attributaire (le père, généralement), comme c’était le cas auparavant [6]. Cela dit, rien ne différencie pour l’instant les différentes caisses puisqu’elles appliquent toutes la même loi, versent les mêmes montants, aux mêmes dates, etc. Il semblerait que seul le service client leur permette actuellement de se démarquer [7].

Mais des problèmes en vue

Malgré les belles avancées du système, une chose coince : en Wallonie, les deux régimes, celui précédant la réforme et celui post-réforme, coexisteront en partie. Les enfants nés avant le 1er janvier 2020 conserveront les allocations actuelles, tandis que les enfants nés après cette date se verront octroyer les nouveaux montants. En plus d’une complexité administrative sans nom, un revers de fortune attend les familles « à cheval » sur les deux systèmes. Les familles qui ont déjà un enfant dans le précédant système, et qui attendent un bébé pour 2020, reçoivent une somme faible pour le premier (95,80 euros par mois), qui ne sera pas compensée par l’allocation du ou des suivant(s), comme prévu dans l’ancien système. Le principe des rangs étant aboli, le deuxième enfant (et les suivants) bénéficiera du montant de base.

Certes, elles gagneront sur la prime de naissance (environ 125 euros), mais le manque à gagner sur le montant de base sera d’environ 20 euros par mois pour le deuxième enfant, et supérieur à 100 euros par mois pour les suivants ! Dans ce cas, pas étonnant qu’une pétition ait été lancée par les parents en colère. La Ligue des Familles avait déjà attiré l’attention de la Ministre Greoli sur le problème, en exigeant soit des compensations, soit le basculement complet des familles concernées dans l’un ou l’autre système [8].

La COCOM a d’ailleurs décidé que toutes les familles ayant encore droit aux allocations familiales bénéficieraient de son nouveau système (quelque peu adapté au début), peu importe la date de naissance des enfants. La Communauté germanophone, quant à elle, a déjà appliqué les nouveaux montants depuis le 1er janvier 2019 et a suivi la règle du modèle le plus avantageux : le basculement dans le nouveau système ne se fait qu’en cas de changement dans la famille, que ce soit l’arrivée d’un nouveau-né ou le départ d’un enfant qui n’est plus à charge [9]. Pourquoi la Wallonie ne s’est-elle pas inspirée de ses voisines et n’a-t-elle pas décidé d’adapter les montants versés aux familles « à cheval », lésées par la réforme ?

Que dire, de plus, des familles qui s’apprêtent à déménager ? Si elles changent de région, elles changeront également de système d’allocations familiales. Par exemple, une famille ayant déjà un enfant et habitant à Bruxelles décide de s’installer en Wallonie ; elle connaîtra successivement trois régimes d’allocations différents : d’abord l’actuel ; à partir de 2020, le système réformé puisque dans la Région bruxelloise, tous les enfants, y compris ceux nés avant l’application de la réforme, bénéficieront des nouveaux montants ; pour finir, elle basculera à nouveau dans l’ancien système, puisqu’en Wallonie la réforme ne s’applique pas aux enfants nés avant 2020 [10].

Autre scénario à envisager : le cas d’un enfant né après le 1er janvier 2020 dont les parents se séparent. Si la mère, qui reçoit les allocations familiales « par défaut », déménage dans une autre région et que son enfant se domicilie chez elle, ils bénéficieront du système de la région dans laquelle ils s’installent. Si l’enfant reste domicilié chez le père, en Wallonie, c’est ce dernier qui recevra alors les allocations familiales [11]. Selon l’option, la différence de montant pourra être considérable ! Espérons que le choix du système le plus avantageux ne primera pas sur le bien-être de l’enfant.

Enfin, la réforme ne dispense pas les institutions de veiller à éviter les problèmes habituels, comme les retards de paiement et le remboursement des indus. En ce qui concerne la date de paiement, assurer la continuité et la ponctualité des versements est essentiel. En février 2019, le retard de paiement aux allocataires de Famiwal a mis de nombreuses familles dans l’embarras [12]. Ce genre d’incident ne doit pas se répéter ! Pour ce qui est des indus, les familles doivent être particulièrement vigilantes concernant l’octroi des suppléments sociaux : des informations correctes et actualisées concernant les revenus du ménage doivent être communiquées aux caisses. Autrement, celles-ci se baseront sur les données du SPF Finances, c’est-à-dire des chiffres de deux ans antérieurs à l’année en cours. Entre-temps, les revenus des parents peuvent augmenter… Des indus seront réclamés sur plusieurs mois, voire années, et pourront atteindre un montant très élevé ! Il est donc primordial que les familles soient suffisamment informées, de manière claire, afin d’éviter pareille situation [13].

Et encore beaucoup d’inconnues

Même si les allocations familiales ne doivent en aucun cas entrer en ligne de compte dans le choix d’avoir un ou des enfant(s), toujours est-il qu’il s’agit d’une aide aux familles essentielle et dont il serait impensable de se passer. Mais malgré les aspects négatifs qu’elle comporte pour certains ménages, la réforme est bouclée et les nouveaux montants sont prêts à entrer en vigueur.

Les défis sont pourtant encore nombreux à relever pour qu’elle soit réellement à la hauteur de ce qu’on attend d’elle. Peut-être que les caisses d’allocations familiales, dans l’optique de se différencier, feront preuve de solutions créatives pour pallier les manques de la réforme, ou en tout cas aller plus loin, en prenant en charge d’autres formes de soutien à la parentalité, telles que l’accueil de la petite enfance ou l’octroi de bourse d’enseignement supérieur [14]. Peut-être que le nouveau gouvernement wallon, aussi, entendra les revendications des familles lésées et adoptera des mesures compensatoires… L’affaire est certainement à suivre [15].

 

 



 

 

 

 

 

 

[1] Voir notamment « Réforme des allocations familiales : piqûre de rappel et nouveautés », analyse 2018-04 de Couples et Familles ou encore « Quelles allocations familiales pour les enfants de demain ? », analyse 2017-09 de Couples et Familles.
[2] A. L. et HERMANS R., « Allocations familiales en Wallonie : pétition lancée par des parents qui s'estiment lésés par le futur système », 03/09/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 09/10/2019).
[3] « L’AViQ, une Agence qui mène des politiques majeures » : https://www.aviq.be/ (consulté le 10/10/2019).
[4] FINET V. et DÉOM J., respectivement Teamleader et gestionnaire de dossiers allocations familiales chez Infino, interview, réalisée par Aurelie Degoedt, 06/05/2019.
[5] Ibid.
[6] HOSDEY-RADOUX A., Réformes des allocations familiales. Quels montants d’allocations familiales pour demain ?, Analyse de La Ligue des familles, avril 2018, p. 16 : https://www.laligue.be/ (consulté le 09/10/2019).
[7] FINET V. et DÉOM J., interview, op. cit.
[8] CHABBERT D., « Allocations familiales : courrier à la Ministre Greoli », 17/01/2019 : https://www.laligue.be/ (consulté le 09/10/2019).
[9] HOSDEY-RADOUX A., op. cit., p. 12.
[10] Ibid., p. 15.
[11] FINET V. et DÉOM J., interview, op. cit.
[12] « Retard dans les allocations familiales : près de 120.000 familles concernées, selon FAMIWAL », 09/02/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 10/10/2019).
[13] FINET V. et DÉOM J., interview, op. cit.
[14] CHABBERT D., « Allocations familiales en Wallonie, un changement historique », 01/03/2017 : https://www.laligue.be/ (consulté le 09/10/2019).
[15] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






 

 

 

 

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