Analyse 2019-25

Le mardi 8 octobre 2019, un buzz retentit sur les réseaux sociaux. Un bad buzz même. L’image d’un homme donnant un coup de poing à sa femme, en criant, provoque l’émoi. Cette banalisation de la violence conjugale reçue de plein fouet, on la doit à la marque Bicky Burger. Le but ? Préciser que leurs burgers sont vendus exclusivement dans des boîtes vertes. Apparemment, la dame illustrée a osé lui faire l’affront de se tromper de boîte et donc de burger… Car c’est bien connu, c’est à la femme de se procurer de la nourriture pour son mari, brave et travailleur (représenté ici en costume-cravate), bref, irréprochable…

Les stéréotypes nous mènent encore la vie dure. Comme le disait Einstein : « Il est plus difficile de désintégrer un stéréotype qu’un atome. »

Le danger de la banalisation

Montrer au grand public le dessin d’une femme violentée dans le but de vendre des burgers est révoltant. Mais le choc provient aussi du fait que ce geste est banalisé. Ce genre de publicité tend à faire oublier que la violence conjugale est une réalité accablante, une véritable urgence sociétale. En effet, on estime que, dans le monde, sept femmes sur dix sont victimes de violences conjugales. Sans compter qu’il existe le chiffre noir, les cas qui ne sont pas dénoncés et restent dans l’ombre. Il peut s’expliquer par la peur de porter plainte, la crainte des représailles, sans oublier le risque de ne pas être entendue, et encore moins reconnue [1]. En Belgique, un féminicide est commis tous les dix jours [2]. La question qui nous taraude concernant cette odieuse publicité : était-ce volontaire ? Qui, en 2019, pourrait croire qu’il s’agit d’une « maladresse » de marketing, que cette publicité passera sans faire d’histoire ? Le constat est là : il s’agit probablement de la volonté de faire une campagne choc, afin de faire parler de la marque. On en parle, en mal, certes, mais toujours est-il qu’ils ont réussi, car on en parle. À noter que Bicky Burger n’en est pas à son premier coup d’essai : des publicités mettant en avant des burgers auprès de femmes hypersexualisées, utilisées tels des objets, ont déjà fait polémique par le passé [3]. Leurs corps sont transformés en objet de marketing, de consommation. Leurs fesses sont à la vue de tous, modifiées, via des logiciels numériques, pour ressembler aux burgers. Des burgers de mauvais goût. Le jury d’éthique publicitaire, suite au nombre important de plaintes reçues mène l’enquête pour connaître l’expéditeur de cette campagne publicitaire. S’il provient de l’étranger, ce sera au pays en question de traiter ces plaintes. Si la publicité est originaire de Belgique, alors le jury sera compétent. En attendant, la publicité n’est plus visible sur les réseaux sociaux de Bicky Burger.

La culture du viol

Si des publicités semblables voient encore le jour en 2019, c’est bien parce que la culture du viol joue encore un rôle. Persistante, elle se compose d’un ensemble d’attitudes et d’idées justifiant les violences faites aux femmes en plus de faire culpabiliser les victimes [4]. « Après tout, un homme a des besoins, et puis, elle l’a cherché vu comment elle était habillée. » C’est typiquement ce type de paroles qui est encouragé par la culture du viol mais qui en plus, la renforce. C’est un véritable cercle vicieux duquel il est difficile d’en sortir. Car oui, cette culture malsaine est partout : dans les publicités, comme nous pouvons le voir, mais dans toutes les autres catégories de médias également. Les médias d’aujourd’hui sont majoritairement plus égalitaires en comparaison à ceux des dernières décennies. Mais est-ce suffisant ? Non ! Nous en avons la preuve, servie sur un plateau d’argent, avec cette publicité de burgers. Que ce soit dans les pubs, les films ou séries, il arrive encore qu’un personnage féminin soit mis en avant par son apparence affriolante. Ou bien, il se pourrait que la femme soit fragile, qu’elle ait besoin d’être secourue par le héros au grand cœur. Bref, elle ne sert que de support pour mettre l’homme, ou le produit prêt à être consommé, en valeur. Il faut continuer de lutter et pour cela, il faut informer et sensibiliser. Apprendre à y faire face que l’on soit victime, ou témoin [5].

Le fléau de la violence conjugale

Lorsque la violence s’est installée au sein du couple, l’un des partenaires (souvent l’homme) s’est emparé du pouvoir [6]. Il n’y a plus de place pour le dialogue, ni pour les décisions communes : on parle alors de domination. Le climat ambiant est anxiogène, menaçant [7]. Il est important de rappeler que les femmes en sont victimes, mais aussi les enfants, malheureux spectateurs de ces maltraitances, qui ne sont pas sans conséquence pour leur développement personnel, mais aussi pour leur santé et leur épanouissement.

Lorsque l’on évoque le mot « violence » les premières images qui nous viennent en tête, sont généralement des agressions physiques. Cependant, la violence se manifeste de bien des manières. Nous pouvons distinguer plusieurs types de violence : physique, verbale, psychologique, économique et sociale. Ils dérivent dans le même sens : vers les sentiments d’impuissance, de peur et de culpabilité. On entend, par violence psychologique, des comportements visant à contrôler les moindres faits et gestes du partenaire. Cela passe par le choix des vêtements, par la dévalorisation ou encore le chantage, par exemple. En ce qui concerne le verbal, ce sont des mots blessants, humiliants, des remarques déplacées. Le contrôle se manifeste également par l’accès aux revenus, aux ressources du ménage. L’entourage de la personne est surveillé, éloigné et finalement, les femmes se retrouvent isolées. La campagne de prévention, Fred et Marie [8], diffusée sur les écrans de télévision, illustre au fil des différentes scènes, les étapes par lesquelles passe Marie, victime de domination de la part de son mari. Cette campagne permet de réaliser que la violence ne commence pas forcément par des coups, elle s’insinue progressivement et il devient alors extrêmement compliqué de faire face à ce mécanisme. Elle montre également qu’il est possible d’en sortir, à condition de disposer d’aides adéquates.

Lutter contre la violence, le harcèlement et le sexisme

Des initiatives sont prises de par le monde pour lutter contre les violences au sein du couple. La prévention reste le meilleur moyen de s’en défendre. Récemment, le Violentomètre nous est présenté sur la toile, arrivant tout droit de France, créé par l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, en partenariat avec l’Observatoire parisien de lutte contre les violences faites aux femmes et l’association En Avant Toute(s), le collectif féministe contre le viol [9]. Il consiste à identifier les comportements et les jauger selon leur degré de violence. Il prévient que si nous sommes dans le rouge, il faut agir, et vite. Et surtout : il préconise d’agir avant qu’il ne soit trop tard et enrayer le mécanisme. Il est plus facile d’en sortir si on s’y prend tôt. Ce dispositif permet de prendre connaissance des limites de ce qui est admissible ou non, mais aussi de ses propres limites. Ludique, il attire davantage le regard, il est moins glaçant que certaines affiches représentant des femmes battues, le visage couvert d’ecchymoses. Il est parfois dur d’être confronté à la réalité telle qu’elle est. Conçu et pensé pour les jeunes, ce dispositif permet d’aborder la question de la violence conjugale avec tact.

Des moyens d’aide sont proposés par des associations, pour les victimes mais aussi pour les auteurs, avec qui un travail conséquent doit être réalisé. L’évolution des mentalités passe par l’axe de l’information. Il existe encore un grand travail à effectuer pour accroître la connaissance du grand public sur la question de la violence dans les relations amoureuses et en particulier chez les jeunes.  Si cela n’a hélas pas suffi, un suivi est possible et des centres d’hébergement d’urgence sont mis à disposition. Un autre axe à améliorer concerne la prise en charge des victimes dans les centres d’accueil et d’hébergement. Tout cela représente un coût considérable.

La violence n’est pas une fatalité, on peut en sortir mais aussi la combattre ! De nombreuses associations proposent aux femmes des formations de self-défense par exemple [10]. Des marches exploratoires sont mises en place dans différentes villes [11]. Le concept est de parcourir les rues en groupe, entre femmes, et de mettre en lumière ce qui est ressenti comme sécurisant ou au contraire, ce qui contribue au sentiment d’insécurité. On peut citer par exemple, l’éclairage, si les rues sont beaucoup fréquentées ou non, etc. Observer ensemble permet de voir les faits avec un autre regard. Des suggestions de ce qu’on pourrait améliorer en émerge, mais aussi des astuces et des conseils. Tout cela avec la détermination de se réapproprier l’espace public.

Le 25 novembre, c’est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux filles et aux femmes. L’objectif est de sensibiliser chacun et chacune à cette crise. Le 24 novembre, à Bruxelles, a lieu une manifestation nationale [12]. Les revendications ? La mise en place d’une formation obligatoire aux violences entre partenaires, pour les étudiants médico-psycho-sociaux, afin d’améliorer l’accueil des victimes. Une meilleure information des victimes concernant leurs droits et les ressources à leur disposition est également essentielle. Et enfin, l’ouverture de centres d’hébergement pour les auteurs de violences, afin que les victimes puissent rester chez elles si elles le souhaitent. Pourquoi est-ce que ça devrait toujours être à elles de partir ? Il existe également la campagne Ruban Blanc, symbole de l’engagement personnel à ne jamais commettre de violences envers une femme et à ne jamais cautionner des actes de violence contre les femmes.

Nos politiques pourraient également s’inspirer du modèle espagnol, au vu de son budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes. Des lois spécifiques sont mises en place, comme par exemple, la mise en place du bracelet électronique aux conjoints ou ex-conjoints violents, qui permet de signaler à la femme victime de violences et aux forces de l'ordre l'arrivée de l'homme dans un périmètre défini [13].

Face aux violences faites aux femmes, c’est la solidarité qui l’emporte. Les publicités sexistes n’ont qu’à bien se tenir ! [14]

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Conseil Supérieur de la Justice, Vers une meilleure approche de la violence sexuelle, 25/04/19 : http://www.hrj.be/ (consulté le 14/10/2019).
[2] WUYARD K., « Dans le monde, viols et violences conjugales concernent 7 femmes sur 10 », 17/07/19 : https://www.flair.be/ (consulté le 09/10/19).
[3] « Bicky Burger s’enfonce dans la polémique : d’autres publicités sexistes refont surface », 10/10/19 : https://www.lesoir.be/ (consulté le 14/10/19).
[4] LALMAN L., « Le viol, ça se cultive ? », analyse de Corps Écrits asbl, 07/08/15 : https://www.corps-ecrits.be/ (consulté le 14/10/2019).
[5] JUMP, Sexisme, bientôt fini ?, 2016 : http://stopausexisme.be/ (consulté le 14/10/2019).
[6] Il existe des situations où l’homme est victime, mais nous nous attardons ici sur les violences faites aux femmes, dans la dynamique du couple, étant donné qu’elles sont excessivement plus nombreuses.
[7] Chronique féministe, Le continuum des violences patriarcales, 2015, n°116.
[8] Initiative de la fédération Wallonie-Bruxelles, de la Wallonie et de la COCOF : http://www.fredetmarie.be/ (consulté le 14/10/2019).
[9] Le violentomètre, 2018 : https://seinesaintdenis.fr/ (consulté le 29/10/19)
[10] Pour aller plus loin, voir « Self-défense : un incontournable de notre époque ? », analyse 2016-11 de Couples et Familles.
[11] Garance asbl, « Les marches exploratoires : espace public, genre et sentiment d’insécurité », 2012 : http://www.garance.be/ (consulté le 14/10/19).
[12] Fédération des Centres de Planning familial des FPS, « Stop aux violences faites aux femmes ! » : https://www.planningsfps.be/ (consulté le 28/10/19).
[13] GOUPIL M., « Lutte contre les féminicides : l’Espagne, un modèle à suivre ? », 03/09/19 : https://www.lexpress.fr/ (consulté le 29/10/19).
[14] Analyse rédigée par Violette Soyez.






 

 

 

 

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