Analyse 2019-26

Le cancer du col de l’utérus est la troisième cause de décès par cancer chez les femmes dans le monde [1]. En Belgique, on déplore chaque année près de 190 décès dus au cancer du col de l’utérus, qui n’est pourtant pas le cancer gynécologique le plus fréquent. Dans 9 cas sur 10, un dépistage régulier aurait pu sauver les femmes infectées [2]. N’est-il pas urgent d’agir pour éviter le développement de cette maladie ? Quelles mesures sont prises pour éradiquer ce virus et que reste-t-il à faire ?

Dans plus de 90% des cas, c’est un papillomavirus humain (HPV) qui est à l’origine du cancer du col de l’utérus. Or, le HPV est l’infection sexuellement transmissible (IST) la plus commune : « (…) dans la première année de vie sexuelle, 80% des femmes rencontreront au moins un HPV à tropisme muqueux au niveau génital » [3]. Il existe en fait plus de 200 types de papillomavirus humains. Tous les HPV n’ont pas le même niveau de dangerosité. Certains sont responsables de verrues cutanées ; d’autres s’attaquent aux muqueuses, particulièrement au niveau des organes génitaux (col de l’utérus, vagin, vulve, pénis), de l’anus ou encore de la gorge et du pharynx [4]. Généralement, le virus est passager et l’infection se guérit naturellement. Dans certains cas cependant, notamment en cas d’immunodéficience, le virus persiste et peut former des lésions précancéreuses voire un cancer, notamment celui du col de l’utérus.

L’usage du préservatif, indispensable pour faire barrage à de nombreuses autres maladies sexuellement transmissibles, n’est pas efficace contre le HPV. En effet, des caresses intimes ou des contacts sexuels sans pénétration peuvent suffire à transmettre le papillomavirus. C’est pourquoi les cancers dus à une infection par HPV sont étroitement liés aux pratiques sexuelles : en fonction de l’âge des premiers rapports, du nombre de partenaires, du nombre de rapports et de leur fréquence, l’exposition aux différents types de HPV sera plus ou moins importante ; quant à l’endroit où se loge le virus, il dépendra surtout des spécificités des rapports (anaux, vaginaux, oraux) [5]. La transmission du virus se fait souvent avant l’âge de 30 ans, mais les cancers induits par HPV, en particulier le cancer du col de l’utérus, se développent sur le long terme, c’est-à-dire entre 10 et 25 ans après l’infection. Cela dit, la sexualité ayant évolué (globalement, les premiers rapports ont lieu plus tôt et avec des partenaires divers), le cancer du col de l’utérus touche désormais des femmes plus jeunes, parfois même avant 40 ans [6].

Un vaccin contre le cancer

Il y a une dizaine d’années, des chercheurs ont mis au point un vaccin visant les HPV « dangereux », responsables de lésions cancéreuses ou de cancers. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un vaccin nous prémunir contre le cancer !

Ce vaccin contre le papillomavirus a donc été recommandé par le Conseil supérieur de la santé dès 2007. Depuis 2011, la Fédération Wallonie-Bruxelles l’a inclus dans son programme de vaccination et l’a mis gratuitement à disposition de tous les vaccinateurs (aussi bien les services de promotion de la santé à l’école, les centres psycho-médicosociaux, les plannings familiaux que les médecins traitants ou spécialistes) pour les jeunes filles entre 10 et 13 ans (avant l’âge des premières relations sexuelles), avec comme objectif d’atteindre 80% de couverture vaccinale. En 2017, toutefois, une enquête évalue le taux de couverture vaccinale à 36,1%… [7] Avec un taux si bas, peu de personnes bénéficient au final de la protection octroyée par le vaccin.

La même année, le Conseil supérieur de la santé met à jour son avis concernant la vaccination anti-HPV et recommande de vacciner tous les adolescents, garçons comme filles, de 9 à 14 ans et d’envisager une vaccination de « rattrapage » pour les plus âgés [8]. Le 1er septembre 2019, la FWB – et la Flandre également – a ainsi étendu la mise à disposition gratuite du vaccin contre le papillomavirus aux garçons. Il ne s’agit pas en effet de prémunir uniquement les filles contre le cancer du col de l’utérus, mais bien d’offrir une protection aux garçons contre les verrues génitales et autres cancers liés au HPV qui pourraient les concerner (cancer de l’anus, du pénis ou de la gorge) [9]. Après tout, il en va de l’égalité des sexes, mais aussi de l’efficacité de la lutte contre le papillomavirus [10].

Selon le schéma initial, le cancer du col de l’utérus étant le cancer lié au HPV le plus fréquent, il paraissait surtout important de vacciner les filles. Et, en les vaccinant, les garçons pouvaient bénéficier d’une couverture indirecte. L’extension du vaccin aux garçons permet de corriger les biais de ce raisonnement : en effet, les hommes sont de plus en plus mobiles et la probabilité qu’ils aient des rapports avec des personnes non vaccinées à l’étranger est donc plus élevée. De plus, il ne faut pas oublier les garçons homosexuels qui ne bénéficient pas non plus de l’immunité des filles vaccinées [11].

Un vaccin qui n’est pas épargné par le débat

Mais les vaccins ne font jamais l’unanimité… Celui contre le HPV n’échappe pas à la règle. Certains de ses opposants se demandent si l’on a assez de recul pour en évaluer les bénéfices. Et, quand bien même le vaccin serait efficace, quelle est sa longévité ? L’absence de certitude sur ces questions incite les opposants au vaccin à considérer le dépistage par frottis comme suffisant : sur la longue période de développement du cancer du col de l’utérus, il y a bien un moment où l’on verra apparaître des lésions précancéreuses qui alerteront du danger à venir et qui permettront de traiter le cancer assez tôt [12]. En effet, « [s]i ce dépistage était réalisé tous les 3 ans chez toutes les femmes entre 25 et 65 ans, 93% des cancers du col pourraient être évités ». Solution miracle ? Peut-être. Malheureusement, selon la Fondation contre le cancer, « plus de 40% des femmes n’effectuent pas un tel dépistage en Belgique » [13]. Quant aux garçons, aucun dépistage n’existe à l’heure actuelle [14]. De plus, ceux-ci n’ont pas l’habitude de se faire suivre pour les questions liées à la sexualité (dont la contraception), ni de consulter un proctologue pour une visite de contrôle [15].

D’autres opposants brandissent l’argument des lobbies pharmaceutiques, de « Big Pharma » [16]. On ne peut nier que l’intérêt du secteur est en jeu, lorsqu’il s’agit de généraliser la vaccination. Cela dit, même si l’on n’en parle pas comme des épidémies de rougeole ou d’oreillons, le papillomavirus est tout de même une infection contagieuse capable de se répandre largement et de causer des maladies sévères. Le vaccin est le meilleur moyen d’enrayer sa progression, même de voir le virus disparaître.   

Du côté des professionnels aussi, le débat existe. Bien qu’une écrasante majorité soit en faveur de la vaccination anti-HPV, tant du côté du personnel médical des services de Promotion de la Santé à l’école que du côté des médecins privés, il y a une ombre au tableau : les données de sécurité sur le vaccin sont encore insuffisantes. Certains professionnels pensent d’ailleurs que le frottis est le seul moyen efficace pour prévenir le cancer du col de l’utérus.

Par ailleurs, certains médecins sont réticents à vacciner les (pré-)adolescents contre le HPV car il reste difficile, selon eux, d’aborder les questions de sexualité avec les jeunes. Ils craignent également « de faire croire à l’incitation d’une vie sexuelle précoce » [17], là où il est juste question de protéger les patients avant qu’ils n’entrent en contact avec le virus.

En tout cas, 40% des professionnels, y compris des médecins favorables au vaccin, craignent que celui-ci ne confère un trop grand sentiment de sécurité aux adolescents et adolescentes auxquels il est administré [18].

Mieux vaut prévenir que guérir : communiquer et continuer à dépister

La vaccination n’aura donc un effet positif que si elle s’accompagne des informations adéquates. Et l’on arrive là à un enjeu primordial : la nécessité de mieux informer les parents, mais également les premiers concernés, à savoir les adolescents et les adolescentes. Il faut leur rappeler que la vaccination anti-HPV ne les protège pas de tout : ni des autres IST, ni de toutes les souches de HPV, ni du cancer en général. Il permet en tout cas de limiter les risques de développer des lésions précancéreuses et donc des cancers. Mais ne prenons pas le vaccin pour ce qu’il n’est pas ! Communiquer sur la nécessité du dépistage, complémentaire au vaccin, est donc tout aussi essentiel.

On ne peut que recommander le site www.vaccination-info.be pour se renseigner. On peut y trouver toutes les informations importantes sur la vaccination, ainsi que les recommandations officielles du Conseil supérieur de la santé, le programme de vaccination de la FWB et des avis scientifiques.

Enfin, mieux communiquer autour du vaccin HPV implique aussi d’oser parler sexualité avec les enfants et les jeunes adolescents : cela doit se faire à l’école, avec la mise en place sérieuse de cours d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle ; mais la famille a également une place à prendre dans ce domaine. Il faut aussi oser briser ce tabou en famille et ouvrir le dialogue puisque, jusqu’à ses 18 ans au moins, le suivi de la sexualité du jeune (contraception, prévention, visites chez le médecin, etc.) dépend très souvent des parents [19].

 

 

 

 

 

 

[1] MIERMANS M.-Chr., SWENNEN B. et VERMEEREN A., « Élargir la vaccination contre les papillomavirus humains aux garçons : oui mais ? Retour sur une décennie de vaccination HPV chez les jeunes filles en FWB », Éducation santé, 355, mai 2019, p. 7 : http://educationsante.be/ (consulté le 17/10/2019).
[2] « Cancer du col de l’utérus » : https://www.cancer.be/ (consulté le 23/10/2019).
[3] C’est-à-dire une souche de papillomavirus qui a tendance à se développer au niveau des muqueuses (« Comprendre l’HPV » : http://toutsavoir-hpv.org/ (consulté le 22/10/2019)).
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] VANKEERBERGHEN J.-P., « Papillomavirus et cancer : se protéger dès l'adolescence », 11/06/2014 (mise à jour le 21/03/2019) : https://www.laligue.be/ (consulté le 22/10/2019).
[7] MIERMANS M.-Chr., SWENNEN B. et VERMEEREN A., op. cit.
[8] Vaccination contre les infections causées par le papillomavirus humain, CSS n° 9181, juillet 2017 : https://www.health.belgium.be/ (consulté le 5/11/2019).
[9] « Actualité vaccination », communiqué du Centre communautaire de référence pour le dépistage des cancers, 13/05/2019 : https://www.ccref.org/ (consulté le 22/10/2019).
[10] « Vaccination. Papillomavirus : faites entrer les garçons dans la danse ! », L’e-Journal PSE, 72, septembre 2019, p. 4-7 : https://www.one.be/ (consulté le 25/10/2019).
[11] « Actualité vaccination », op. cit.
[12] KASASA A., « Papillomavirus : on vaccine les garçons aussi ? », 21/03/2019 : https://www.laligue.be/ (consulté le 22/10/2019).
[13] « Cancer du col de l’utérus et vaccination », brochure de la Fondation contre le cancer, 2017 : https://www.cancer.be/ (consulté le 23/10/2019).
[14] « Actualité vaccination », op. cit.
[15] KASASA A., op. cit.
[16] À ce sujet, voir notamment le droit de réponse de médecins et pharmaciens « indépendants » qui accusent les professionnel(le)s de la santé ayant rédigé l’« Appel des 50 », d’y avoir prôné un dépistage et une vaccination universelle contre le papillomavirus par intérêt personnel et d’avoir cédé à la corruption des lobbies pharmaceutiques.
[17] MIERMANS M.-Chr., SWENNEN B. et VERMEEREN A., op. cit.
[18] Ibid.
[19] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






 

 

 

 

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