Analyse 2019-28

Lorsque nous réfléchissons à la mort ou lorsque nous sommes confrontés à celle de nos proches, de nombreuses questions peuvent être soulevées, parmi lesquelles le choix de ce qu’il adviendra du corps : inhumé ou incinéré ? Pour certains, ce choix binaire ne convient pas. Dans une optique à la fois écoresponsable et plus économique, ceux-ci souhaiteraient choisir une troisième voie : l’humusation.

Comme chaque année, le début du mois de novembre a signé le retour des sujets de « Toussaint » dans l’info. À cette occasion, la RTBF a décidé d’aborder la mort sous l’angle écologique, notamment en dévoilant le bilan carbone de l’inhumation (833 kg de CO2) et de l’incinération (233 kg de CO2), sous le titre « Même morts, nous polluons » [1]. Certains téléspectateurs se sont dits offensés et interpellés par l’angle d’approche du reportage [2]. Mais après tout, le rôle de la presse n’est-il pas d’informer, y compris sur les sujets sensibles dont fait partie la mort, ainsi que d’éclairer ces thématiques à la lumière de l’actualité et des grands enjeux de société ? La difficulté que nous avons à aborder rationnellement un sujet douloureux ne doit pas nous empêcher de voir clair.

Réduire l’impact écologique des funérailles

On parle depuis longtemps de la pollution engendrée par la mort : pollution des sols et des nappes phréatiques proches des cimetières et des jardins où sont dispersées les cendres, pollution de l’air par les particules présentes dans les fumées rejetées par les crematoriums, etc. [3] Se réapproprier la mort [4], autrement dit, accepter sereinement qu’elle fasse partie de la vie, passe souvent par un questionnement éthique et spirituel, mais peut également donner lieu à une réflexion sur l’adoption d’une démarche plus écoresponsable. Pour certains, il est en effet temps de repenser la mort à la lumière du dérèglement climatique et de créer des solutions durables pour gérer les dépouilles mortelles, dont le nombre ne cessera de croître vu la conjoncture démographique actuelle.

Depuis quelques années, notamment après l’interdiction de l’usage de pesticides dans l’espace public, les communes sont encouragées à réintroduire la nature dans leurs cimetières : végétalisation des surfaces et des allées, accueil de la biodiversité, sensibilisation du personnel communal, présence de compost, etc. Un label « Cimetière nature » a même été créé [5]. Ces changements, qui ne font d’ailleurs pas toujours l’unanimité (certains assimilent la végétalisation des cimetières à un manque d’entretien), sont louables, mais ne répondent qu’en partie au problème : ils améliorent les cimetières en surface, mais n’arrangent rien aux pollutions souterraines.

Les pompes funèbres, elles aussi, tentent de se réinventer pour pouvoir proposer aux futurs défunts ou à leur famille des funérailles plus écologiques. À l’instar d’autres secteurs, le funéraire se « met au vert » en réponse aux préoccupations grandissantes de certains citoyens. Exit les cercueils vernis et les pierres tombales importées de Chine. Même les thanatopracteurs réduisent la quantité de formaldéhyde [6] injecté dans le corps au moment de l’embaumement (mais est-ce suffisant ?). Désormais, place aux cercueils en carton ou en osier tressé par les soins d’un artisan ou des membres de la famille eux-mêmes [7]. En ce qui concerne la crémation, des filtres sont installés pour tenter de retenir les particules présentes dans la fumée (poussière, souffre, dioxyde de carbone) avant qu’elle ne soit rejetée dans l’air, tandis que la chaleur de la combustion est généralement récupérée pour chauffer le crématorium, voire d’autres bâtiments alentours [8].

D’autres procédés destinés à rendre plus écologiques la crémation et l’inhumation existent également. Entre les urnes « bio » et les « capsules funéraires » en forme d’œuf, dans lesquelles les défunts sont placés en position fœtale, toutes deux censées servir de fertilisant pour un futur arbre, l’originalité ne fait pas défaut. De l’autre côté de l’Atlantique, c’est la technologie qui s’est emparée des funérailles et qui a ouvert de nouveaux horizons de possibilités : l’aquamation, par exemple, se pratique actuellement au Canada, et consiste à plonger le défunt dans un bain chauffé à plus de 90 degrés Celsius. Le corps est pour ainsi dire dissous dans l’eau. Du côté de l’État de Washington, le processus « Recompose » transforme les dépouilles en compost en seulement deux mois. Mais attention aux fausses solutions écologiques… Car ces nouvelles techniques mises au point pour gérer la mort soulèvent des questions : qu’en est-il du traitement des eaux usées ? Et du coût énergétique (production de chaleur et d’électricité) ? Celui-ci se répercute-t-il sur le montant facturé aux familles ?

L’humusation, en attente de législation

En Belgique, la Fondation « Métamorphose pour mourir… puis donner la vie » entend réconcilier véritablement écologie et funérailles, avec l’« humusation » [9]. Cette pratique s’inspire de la manière dont la forêt décompose naturellement les déchets qui jonchent son sol : feuilles mortes, branches, matières organiques laissées par les animaux, etc. Elle a l’avantage de ne nécessiter l’intervention d’aucune technologie énergivore. En effet, le défunt, enveloppé d’un linceul biodégradable et n’ayant subi aucun soin de conservation, est tout simplement déposé sur un lit végétal, dans une parcelle sécurisée. Celui-ci est ensuite intégralement recouvert de deux mètres cubes d’un mélange de bois, d’herbes, de paille, de feuilles mortes et d’argile, le tout gorgé d’eau. Grâce aux nombreux micro-organismes présents naturellement dans les couches supérieures du sol – et non pas à deux mètres de profondeur, là où reposent les corps inhumés ! – et à l’aide, aussi, d’accélérateurs de décomposition ajoutés, le corps ne mettra que douze mois à se décomposer. En réalité, déjà après trois ou quatre mois, seuls les os et les éventuels pacemakers, prothèses ou autres sont encore intacts. Les employés du cimetière – rebaptisés « humusateurs agréés » du « jardin-forêt de la métamorphose » – doivent alors extraire de la butte les éléments métalliques et réduire les os et les dents en poudre afin de faciliter leur décomposition durant les huit ou neuf mois suivants. La butte est ensuite mélangée et reformée. À l’issue du processus, plus aucune cellule de la dépouille ne se trouve dans le sol ; le talus est transformé en un terreau prêt à l’emploi [10].

L’humusation, en plus d’être un procédé funéraire simple et naturel, est également une manière de réduire drastiquement les coûts liés aux funérailles. En ce qui concerne le cercueil, il ne sert que pour la cérémonie et le transport du corps vers ledit « jardin-forêt ». Puisqu’il n’est ni enterré ni brûlé, il est donc réutilisable. L’emplacement de la butte n’est occupé qu’un an et ne nécessite donc pas d’entretien ni de frais de concession à long terme. La pierre tombale, d’ordinaire très coûteuse, est délaissée au profit d’une simple stèle commémorative, affichant le nom du défunt et la date de son décès, en pierre ou en bois, de préférence du pays [11].

Toujours est-il que l’humusation n’a pas de cadre légal en Belgique. Bien que, dans le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD), au chapitre « Funérailles et sépultures », on puisse lire que « Les modes de sépulture sont les suivants : 1° l'inhumation ; 2° la dispersion ou la conservation des cendres après la crémation ; 3° tout autre mode de sépulture fixé par le Gouvernement wallon » [12], l’humusation n’est pas en tant que telle prévue par la loi. Dans le Code, il est également stipulé que l’on peut informer notre commune de nos dernières volontés concernant le mode de sépulture que l’on choisit. C’est précisément grâce à cet acte de dernières volontés que les promoteurs de l’humusation espèrent faire pression au niveau communal pour que le législateur régional s’empare enfin de cette question. Sur le site internet de la Fondation « Métamorphose pour mourir… puis donner la vie », un modèle d’acte de dernières volontés est présenté et peut facilement être complété puis envoyé à sa commune [13]. Dans les faits, tant que l’humusation n’est pas prévue par la loi, ces dernières volontés servent surtout à montrer l’intérêt des citoyens pour cette nouvelle pratique pour, peut-être, lui offrir un cadre légal.

Et nos rites dans tout ça ?

Choisir l’humusation ne signifie pas renoncer à pratiquer nos rites. Au contraire, au moment des funérailles, tout pourrait ressembler à ce que l’on connaît actuellement : un cercueil – mais réutilisable ; des fleurs – mais naturelles ; le défunt maquillé – mais très légèrement, et sans recours à la thanatopraxie. Le corps serait conservé au frais, le temps des visites et des adieux. La cérémonie religieuse, le cas échéant, se déroulerait normalement, et la symbolique du retour à la terre, que l’on retrouve dans de nombreuses religions [14], serait même très à propos.

Par contre, le lieu de recueillement diffèrerait. Un an après le décès, la butte d’humus laisserait place à un nouveau lit végétal pour un autre défunt. La famille pourra alors récupérer une partie du terreau, dans le but de rendre auto-fertile un espace de recueillement où planter un arbre commémoratif [15]. La famille aura le choix de l’essence de l’arbre, ainsi que de l’emplacement de la plantation, que ce soit sur leur terrain, dans un lieu important pour le défunt ou encore dans le « Bois du Souvenir », un nouvel espace vert aménagé dans chaque commune. De cette manière, une nouvelle vie, celle de l’arbre, jaillirait de l’humus créé à partir de la dépouille. Certains y verraient un symbole de résurrection ; d’autres, une manière de restaurer notre lien avec la nature, en créant un « paradis terrestre ». Pour Francis Busigny, père du concept d’humusation, il s’agit même d’un moyen de se réconcilier avec la mort, d’en faire une occasion de fêter la vie [16].

Une question de choix individuel

Face au reportage de la RTBF mentionné au début de l’analyse, d’aucuns ont avancé que le destin que l’on réserve à sa dépouille est une question de choix unique et individuel [17], motivé par des convictions propres, d’ordre philosophique, religieux ou idéologique. Les promoteurs de l’humusation, bien qu’ils soient convaincus du bienfondé de leur procédé, n’ont heureusement pas l’intention de l’imposer à tous. Selon leurs calculs, humuser ne serait-ce qu’un pour cent des morts en Belgique pourrait déjà avoir un effet considérable pour enrayer le dérèglement climatique. En effet, avec 1 000 dépouilles par an (sur environ 100 000 décès annuels [18]), il y aurait suffisamment de « terreau » pour régénérer les sols arides et pour planter quelque 100 000 arbres, de quoi fixer énormément de CO2. De plus, la Fondation « Métamorphose pour mourir… puis donner la vie » suggère aux familles qui le souhaitent, d’utiliser la somme économisée sur le coût total des funérailles pour financer des projets de plantation d’arbres dans les pays en voie de développement, une manière de compenser l’empreinte écologique de la vie du défunt [19].

Autoriser l’humusation ne signifie pas bannir les modes de sépulture traditionnels. Pour Couples et Familles, chaque choix doit pouvoir être entendu et respecté. Alors, pourquoi pas celui de ceux qui optent pour l’humusation ? Il n’est pas question d’un choix farfelu, qui troublerait l’ordre public ou qui contreviendrait au respect des morts et à la dignité humaine. Au contraire, il s’agit d’un choix à la fois économique et écologique. Près de 20 000 personnes ont signé une pétition en ligne pour légaliser l’humusation [20] et de nombreuses autres personnes ont envoyé à leur commune leur acte de dernières volontés. Pourtant, jusqu’à présent, rien n’est fait pour satisfaire celles-ci. Et pour certains disparus, il est déjà trop tard. Il est donc urgent de poursuivre la recherche et surtout de donner un cadre légal aux initiatives innovantes telles que l’humusation, à même de relever un défi de taille [21]. 



 

 

 

 

[1] « Une inhumation produit l'équivalent de 833 kg de CO2 », 01/11/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 22/11/2019).
[2] FALCINELLI S., « "De mauvais goût, offensant" ? Pourquoi la rédaction a choisi de parler de la mort sous l'angle écologique », 16/11/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 18/11/2019).
[3] HÄNGGI L. et GOMEZ E., « Mort, on pollue encore », 30/10/2017 : https://reporterre.net/ (consulté le 29/11/2019).
[4] Voir : Se réapproprier la mort, dossier n°122 des Nouvelles Feuilles Familiales, décembre 2017.
[5] « Pourquoi accueillir la nature dans les cimetières ? » : http://biodiversite.wallonie.be/ (consulté le 29/11/2019).
[6] Produit injecté par le thanatopracteur dans les artères du défunt en vue de ralentir la décomposition du corps.
[7] « En Belgique, des funérailles écoresponsables », Reportage de l’Agence France-Presse (AFP), 30/11/2014 : https://www.youtube.com/ (consulté le 21/11/2019).
[8] « La crémation de plus en plus écolo », Reportage de l’Agence France-Presse (AFP), 26/10/2014 : https://www.youtube.com/ (consulté le 21/11/2019).
[9] Une vidéo a été réalisée pour illustrer cette pratique funéraire : « L'humusation, pratique funéraire 100% respectueuse de l'environnement », 08/02/2018 : https://www.youtube.com/ (consulté le 21/11/2019).
[10] Des tests visant à apprécier la qualité du terreau et à en définir les possibilités d’utilisation (agriculture ou reboisement) sont encore nécessaires. L’UCLouvain mène actuellement des recherches (GUILMIN N., « Première étude mondiale sur la transformation des corps en humus », 11/10/2018 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 29/11/2019)). Par ailleurs, un « Centre pilote pour l’humusation » devrait voir le jour à la fin de l’année 2019, afin de poursuivre les tests sur les dépouilles d’animaux domestiques (https://www.humusation.org/). 
[11] « L’humusation, "donner la vie après sa mort en régénérant la terre" » : https://www.humusation.org/ (consulté le 22/11/2019).
[12] Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation, art. L1232-17 : https://wallex.wallonie.be/ (consulté le 29/11/2019).
[13] « L’humusation, "donner la vie après sa mort en régénérant la terre" », op. cit.
[14] ROUSSEL S., « Funérailles écologiques », analyse de l’ACRF – Femmes en milieu rural asbl, 2017 : http://www.acrf.be/ (consulté le 29/11/2019).
[15] « L’humusation, "donner la vie après sa mort en régénérant la terre" », op. cit.
[16] Conférence de Francis Busigny président de la Fondation d’Utilité publique « Métamorphose pour mourir… puis donner la vie », lors du café-citoyen organisé par Antonella Ticco à la Maison de l’Écologie de Namur, le 07/11/2019.
[17] FALCINELLI S., op. cit.
[18] Selon Statbel, 110 645 personnes ont perdu la vie en Belgique en 2018 : https://statbel.fgov.be/ (consulté le 22/11/2019).
[19] « L’humusation, "donner la vie après sa mort en régénérant la terre" », op. cit.
[20] « Pétition pour légaliser l’humusation » : https://www.petitions.fr/ (consulté le 29/11/2019).
[21] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






 

 

 

 

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