Analyse 2019-30

Personne ne niera qu’Internet est un outil précieux : il nous permet de communiquer, de nous informer, de nous situer dans l’espace, de nous détendre devant un film ou un jeu, d’acheter toutes sortes d’articles, aussi d’en vendre... À cette multitude d’activités possibles, répond une multitude d’objets connectés : l’ordinateur, fixe ou portable, la tablette, le smartphone, la montre, etc. Internet, qui s’est glissé jusque dans notre poche, s’est imposé dans nos vies comme une nécessité dont on se passe difficilement… mais avec quel revers à la médaille ?

Parmi les côtés négatifs d’Internet souvent cités, on trouve la cyberdépendance. Ce terme recouvre en réalité différents comportements addictifs rendus possibles ou facilités par Internet. D’un côté, des addictions antérieures ou a priori indépendantes d’Internet, comme l’addiction aux jeux d’argent, les achats compulsifs, le workaholism (le fait de ne pas parvenir à décrocher du travail) sont satisfaites en un clic : il « suffit » de parier en ligne, de surfer sur des plateformes d’e-commerce ou de prolonger sa journée de boulot en consultant ses e-mails professionnels depuis chez soi… De l’autre, se sont développées de nouvelles formes de dépendance, comme l’« infolisme », c’est-à-dire le besoin obsessionnel d’aller à la pêche aux informations sur Internet.

À partir de quand devient-on Internet addict ?

Surfer sur la Toile fait tellement partie de notre quotidien qu’il est difficile de faire la différence entre un comportement « normal » et un comportement addictif. Utiliser abondamment Internet dans le cadre de son travail ou de ses études ne doit pas être considéré comme problématique. Par contre, les « usages non essentiels, récréatifs » et le « besoin de connexion qui ne correspond pas aux besoins réels », procurant un sentiment de soulagement mais ouvrant bien souvent la porte à « des répercussions plus ou moins négatives sur la vie » familiale, sociale ou professionnelle de la personne [1], peuvent alerter. Le syndrome de manque, l’irritabilité, la dépression sont autant d’autres symptômes qui peuvent nous mettre la puce à l’oreille. Les conséquences néfastes de la cyberdépendance peuvent également se traduire par des signes physiologiques, comme la sécheresse des yeux, les migraines, les maux de dos, une modification de l’alimentation ou des cycles du sommeil [2].

Des chercheurs ont mis au point des tests pour aider à déceler un comportement addictif [3]. Le diagnostic se base sur différentes questions, comme « Passez-vous plus de temps sur Internet que ce que vous pensiez initialement ? », « Des amis ou des membres de votre famille se sont-ils plaint par rapport au temps que vous passez sur Internet ? » ou encore « Est-ce que votre productivité au travail ou vos relations personnelles ont souffert à cause du temps que vous passez sur Internet ? ». Ces questionnaires cernent précisément les symptômes d’une addiction à Internet, et répondre « oui » à la majorité des items peut signifier que le répondant est cyberdépendant.

La onzième révision de la « Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes », adoptée en mai dernier par l’Organisation mondiale de la Santé et dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2020, ne mentionne pas la cyberdépendance en tant que telle. Elle intègre cependant le « trouble du jeu vidéo », dans la section des troubles liés aux comportements addictifs [4]. Cela effraie bon nombre de parents d’adolescents portés sur la manette ou le smartphone, et participe à la méfiance portée aux usages excessifs des appareils connectés. De nombreuses études renforcent cette conviction que les adolescents ont un problème d’addiction à Internet (réseaux sociaux, jeux, etc.). Toutefois, il ne faut pas faire du smartphone un bouc émissaire : il est également un outil pour communiquer avec ses amis et obtenir du soutien en ligne dans les moments plus difficiles. De plus, il est important de rappeler que le terme « addiction » désigne une pathologie et n’est pas toujours approprié pour qualifier l’usage fréquent d’Internet [5].

Avantages et inconvénients pour la vie de famille

Des spécialistes et des journalistes de tous horizons ont tenté d’évaluer l’impact d’Internet et de l’usage des écrans sur les relations amoureuses ou familiales [6]. Qui n’a jamais posé son téléphone sur la table lors du repas, ou surpris son interlocuteur en train de jeter un œil à ses notifications au milieu d’une conversation ? Si ces habitudes se répandent et choquent de moins en moins, le fait de ne pas se sentir écouté et de ne pas recevoir l’attention nécessaire peut susciter une baisse de qualité des moments échangés, voire des frictions. Dans le couple, l’impression d’être délaissé peut même amener à des scènes de jalousie, lorsque le ou la partenaire néglige l’autre au profit de contacts virtuels. Les nouvelles technologies nous lancent donc le défi de toujours entretenir nos liens affectifs réels et de ne pas les subordonner aux virtuels.

Mais d’un autre côté, les moments passés sur Internet sont aussi des moments d’intimité et l’on sait toute l’importance de s’aménager du temps pour soi, même lorsqu’on est en couple ou en famille. Dans le cas de l’usage du smartphone, des sociologues ont remarqué que l’isolement n’est que partiel : il y a en effet une tendance à la « co-présence », c’est-à-dire l’habitude de consulter son appareil individuel tout en partageant un espace de convivialité. Avec le smartphone ou la tablette, il n’est plus nécessaire de s’isoler dans son bureau ou sa chambre pour consulter du contenu sur Internet. On surfe, assis dans le fauteuil du salon, à côté de ses parents, de ses enfants ou de sa moitié, parfois même devant la télévision allumée. Au final, cette « co-présence » est une manière de trouver un équilibre, de faire le lien entre l’individuel et le « nous » [7].

Par ailleurs, lorsqu’un membre ou une partie de la famille n’est pas présent, Internet peut être le lieu des retrouvailles. Dans les familles séparées par plusieurs centaines de kilomètres, les logiciels de communication sont de véritables outils pour garder contact, même visuel (Skype, FaceTime, etc.). Le lien virtuel vient pallier le manque de contacts réels. Pour les familles recomposées, également, l’utilisation d’Internet facilite la communication et permet de conserver une « présence » les semaines d’éloignement [8], notamment via les réseaux sociaux. Il existe toutefois un travers : certains affichent une image de famille unie, de couple heureux, bref « font famille » sur les réseaux [9] ; mais cette figuration ne reflète pas toujours la réalité et résulte parfois de mises en scène. Or, il serait dommage d’accorder plus d’importance à l’image qu’à la substance de nos relations familiales. Rappelons qu’il est en outre crucial de protéger l’image des enfants sur Internet.

De l’utilité de se déconnecter

Même s’il ne faut pas trop vite crier à l’addiction, il peut quand même être bon de parfois se déconnecter. En effet, être trop souvent « branché » peut impacter la santé négativement. L’utilisation fréquente d’Internet peut provoquer un recul de l’attention. Comme les contenus disponibles sur la Toile sont de plus en plus nombreux mais de moins en moins grands, il devient plus difficile pour les « accros à Internet » de se concentrer longtemps. Les connexions cérébrales en seraient même diminuées ; tandis que se déconnecter, complètement, permettrait de récupérer des facultés de concentration [10]. Le déficit de concentration peut également se traduire de manière plus concrète et bien plus tragique : on ne compte plus, en effet, le nombre de morts ou d’accidents causés par les « selfies » destinés à être postés sur Facebook ou Instagram.

Pour aider les addicts à « décrocher » et à prendre de la distance avec Internet, il existe notamment des cures de « détox digitale » : « partir quelques jours dans un endroit agréable, plus ou moins coupé du monde, et abandonner toute idée de connexion numérique en passant la porte », sans oublier le travail préparatoire nécessaire pour éradiquer les mauvaises habitudes [11]. Pour celles et ceux qui ne souhaitent pas aller jusque-là – et payer pour ça –, il existe aussi des moyens pour calculer et limiter le temps passé en ligne… grâce à des applications mobiles téléchargeables sur Internet ! 

Les parents, aussi concernés

Les adolescents, dont il est beaucoup question dans les enquêtes et recherches, ne sont pas les seuls à passer des heures sur Internet et sur leur smartphone. De nombreux adultes sont aussi présents sur les réseaux sociaux, les jeux en ligne, les sites de rencontre, etc. Une étude a constaté qu’un mimétisme entre jeunes et adultes s’opérait et que l’usage des écrans connectés des adolescents était corrélé à celui de leurs parents [12]. Il est donc primordial que les adultes eux-mêmes veillent à leur propre pratique des écrans et d’Internet afin de « montrer l’exemple ». Les adultes doivent également connaître les risques et les dérives d’un usage excessif, et agir en « médiateurs » auprès de leurs enfants : limiter le temps passé sur Internet, vérifier la nature des jeux vidéo et encadrer le surf, favoriser les moments familiaux à l’écart des écrans, mais aussi les moments de « vide » et d’« ennui » qui stimulent la créativité des plus jeunes [13,14].

 

Pour aller plus loin :

• L’ordi, nouveau membre de la famille, dossier n° 89 des Nouvelles Feuilles Familiales, septembre 2009. 
« La parentalité à l'épreuve des réseaux sociaux », analyse 2017-30 de Couples et Familles.
• « Nos enfants sont-ils des mutants ? », analyse 2014-12 de Couples et Familles.
• « Internet a-t-il changé l’amour ? », analyse 2011-21 de Couples et Familles.
• « Enfants trop branchés ? », analyse 2007-20 de Couples et Familles.

 

 



 

 

[1] BONNAIRE C. et VARESCON I., « La cyberdépendance », Les addictions comportementales : aspects cliniques et psychopathologiques, Wavre, Mardaga, 2009, p. 107-108 : https://books.google.be/ (consulté le 27/05/2019).
[2] KRALAND St., « Dépendance à Internet : peut-on vraiment se désintoxiquer de la Toile ? », 08/09/2013 : https://www.huffingtonpost.fr/ (consulté le 31/05/2019) ; BONNAIRE C. et VARESCON I., op. cit.
[3] Le test du Docteur Orman (1996) (http://www.stresscure.com/) ou l’Internet Addiction Test de Young (1998) (https://psychcentral.com/).
[4] MIRELLI A., « L'Organisation mondiale de la santé reconnaît officiellement le trouble du jeu vidéo comme une maladie », 28/05/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 29/05/2019).
[5] MESSIAS Th., « L'addiction des ados aux smartphones : pas de conclusion hâtive », 30/11/2019 : http://www.slate.fr/ (consulté le 04/12/2019).
[6] À titre d’exemple, deux sites aux lignes éditoriales pour le moins contrastées qui se penchent sur le même sujet : ESCARAVAGE Fl., « Écrans, smartphones, Internet : la bonne claque à ces ennemis du couple ! » : http://www.elle.fr/ (consulté le 29/05/2019) ; « Gérer Internet dans son couple » : http://www.chretiensaujourdhui.com/ (consulté le 29/05/2019).
[7] BALLEYS Cl., MARTIN O. et JOCHEMS S., « Familles contemporaines et pratiques numériques : quels ajustements pour quelles normes ? », Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine, 31, 2018 : https://journals.openedition.org/ (consulté le 29/05/2019).
[8] DUPIN N., « "Attends, deux secondes, je lui réponds…" : enjeux et négociations au sein des familles autour des usages socionumériques adolescents », Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine, op. cit. 
[9] BALLEYS Cl., MARTIN O. et JOCHEMS S., op. cit.
[10] TELLIER M., « À l'ère numérique, l'attention se perd », 26/05/2019 : https://www.franceculture.fr/ (consulté le 31/05/2019) ; SCHMITT L., « L’addiction à Internet : une nouvelle maladie ? », 27/11/2013 : https://www.huffingtonpost.fr/ (consulté le 31/05/2019) ; SCHWARTZ T., « Ce qu’il arrive quand on se déconnecte vraiment », 26/04/2013 : https://www.huffingtonpost.fr/ (consulté le 31/05/2019).
[11] DUPONT B., « Et si on se faisait une Digital Detox ? », Le Vif l’Express, 5, 05/02/2016, p. 56-57.
[12] BALLEYS Cl., MARTIN O. et JOCHEMS S., op. cit.
[13] DALOZE C., « Papa, maman, mamy… en médiateur face aux écrans » et « Écrans en veille, un monde s’éveille », En Marche, 15/06/2017, p. 3.
[14] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






 

 

 

 

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