Analyse 2020-08

Au début du mois de février, des discussions ont eu lieu en commission des Affaires sociales autour d’une possible réforme du congé de paternité1. L’objectif ? Le rendre obligatoire. Certains partis entendent même aller plus loin et réclament un allongement du congé. Une perspective réjouissante pour la famille au complet.

Les pères belges bénéficient, depuis 2002, de 10 jours de congés, au lieu de 3, suite à la naissance de leur enfant2. Pour l’instant, ils ne sont pas obligés de prendre ces congés. Ils ont quatre mois à compter de la naissance du bébé pour épuiser ces 10 jours, en les prenant en un bloc ou en les posant de manière éparpillée sur plusieurs semaines. Les pères indépendants se sont vus reconnaître ce droit, de la même manière que les travailleurs salariés, au mois de mai 2019. Ces dernières années, le congé de paternité ne fait donc que s’améliorer. Pourtant, beaucoup de jeunes pères n’en profitent pas, ou que trop peu…

Rendre le congé de paternité obligatoire

Alors que de plus en plus de voix s’élèvent, tant chez les hommes que chez les femmes, pour réclamer un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, près de 3 pères sur 10 ne prennent pas les 10 jours de congé de paternité auxquels ils ont droit3. Pourquoi ?

L’aspect financier joue un rôle important dans la décision du père. Comme les femmes gagnent en moyenne moins que les hommes4, il est plus avantageux que le salaire de l’homme soit maintenu à 100%5, et cela soit sans interrompre le travail, soit en puisant dans son pot de congés payés ordinaires. Nous le savons, une naissance exerce une pression importante sur le budget des ménages et même si une prime de naissance est accordée et que les premières allocations arrivent, certains couples ne peuvent se permettre de voir leurs rentrées d’argent diminuer a fortiori au moment où les dépenses sont plus importantes.

Autre motif : la peur d’un impact négatif sur la carrière. 10% des pères avouent ne pas demander de congé de paternité pour cette raison6. En effet, ceux-ci peuvent craindre de faire mauvaise figure aux yeux de leur employeur, de donner l’impression d’un manque d’implication ou encore de perdre des opportunités de carrière. Avec un congé de paternité obligatoire, les employés n’auraient plus le sentiment de demander une faveur à leur patron puisqu’ils se verraient octroyer d’office ces congés.

Cette tendance est visible dans la majorité des pays de l’OCDE. C’est aussi le cas des stéréotypes de genre concernant la répartition des rôles au sein du foyer. La logique traditionnelle voudrait que ce soient les mères qui posent le plus de congés de type parental, pour prendre soin des enfants et les élever. Les pères, confrontés à cette vision rétrograde mais pourtant encore fort répandue, ont peur des qu’en-dira-t-on de leur entourage, de leur famille, ce qui les dissuade de prendre leur congé de paternité. Parfois eux-mêmes ancrés dans cette conception des rôles parentaux, ils n’en voient d’ailleurs pas forcément l’utilité7 ! Obliger les pères à prendre congé suite à la naissance de leur enfant serait un moyen de combattre les préjugés, de les rapprocher de leur famille et de les responsabiliser différemment.

Heureusement, de plus en plus de gens s’émancipent de ces représentations : entre 2016 et 2018, le nombre de pères ayant pris un congé de paternité est passé de 58% à 68%. Mais cela reste encore peu. Rendre le congé de paternité obligatoire participerait à déconstruire ces stéréotypes et à diminuer les pressions de l’entourage ou de l’environnement professionnel sur les pères. Cela résoudrait également le manque d’information, qui explique aussi une partie importante du non-recours au congé de paternité (27% des pères encore en 2018 ne l’ont pas pris pour cette raison)8.

Rendre le congé de paternité obligatoire permettrait enfin d’aller vers plus d’égalité entre hommes et femmes. En effet, les employeurs sont parfois réticents à l’idée d’engager des femmes ayant le projet d’avoir un ou des enfant(s). Cette discrimination à l’embauche serait – un peu – adoucie si les futurs pères présentaient eux aussi un risque d’absence accru. De plus, la mère ne serait plus la seule pénalisée en ce qui concerne la baisse de salaire résultant du congé, même s’il y aurait toujours une différence de traitement. Pour l’instant, la mère reçoit une indemnité de la mutualité équivalant à 82% de son salaire brut durant les 30 premiers jours de son congé, puis équivalant à 75% de son salaire brut (plafonné) pour les jours suivants. Le père, de son côté, bénéficie de 3 jours de congé rémunérés normalement, à charge l’employeur, suivis de 7 jours à 82% du salaire brut payé par la mutualité9.

Allonger le congé de paternité

En plus de le rendre obligatoire, de nombreux partis souhaitent également allonger le congé de paternité. Les socialistes souhaiteraient en doubler la durée. Les écologistes, quant à eux, voudraient également que le nombre de jours de congé pour les pères passent à 20, mais avec 5 jours supplémentaires imposés directement après la naissance. Ils bénéficieraient donc d’un total de 25 jours de congé de paternité. Et, en plus, ils auraient la possibilité d’obtenir encore 5 jours en cas de naissance multiple. Du côté des libéraux flamands, une autre idée a été émise : la mère pourrait transférer une partie de ses congés au père de l’enfant. Le transfert serait toutefois plafonné à 5 semaines. Cette idée, qui, sur le papier, permet de parvenir à une meilleure égalité homme-femme, est pourtant dangereusement menaçante pour les acquis des mères10.

Ces propositions se basent sur le désir exprimé par les pères eux-mêmes. Dans un sondage de la Ligue des Familles, 60% des pères sont favorables à un congé de paternité aussi long que celui de maternité11 ! C’est d’ailleurs la solution que préconise l’association pour une meilleure égalité des sexes : chaque parent devrait avoir droit à 15 semaines, de sorte que le risque professionnel (difficulté à l’embauche, perte de salaire, d’opportunités de carrière…) soit équivalent pour les deux membres du couple12.

Quant au coût que représenterait le passage de 10 à 20 jours de congé de paternité, la Cour des comptes l’a estimé à 74 millions d’euros13… C’est une somme impressionnante, mais quelle somme ne l’est pas dans le budget de la sécu ? Car, une chose est sûre pour l’Union des classes moyennes, c’est que ce coût ne doit pas être supporté par les petites et moyennes entreprises, qui devront déjà faire face à une désorganisation du travail due à l’absence de l’employé parti en congé14.

Un plus pour toute la famille…

Pour Couples et Familles, les discussions qui ont eu lieu en commission parlementaire sont certainement de bon augure. L’adoption d’une loi en faveur d’un allongement et d’une obligation du congé de paternité permettrait de réaffirmer le rôle clé de la présence du papa à la maison dans les premières semaines de la vie de l’enfant, qui est démontré depuis de nombreuses années15.

Par ailleurs, le congé de naissance est l’occasion pour les pères de prendre du temps pour eux-mêmes. L’arrivée d’un nourrisson au sein du foyer est synonyme de grand bouleversement. Le père doit aussi apprendre à le connaître, à devenir parent, à s’adapter à sa nouvelle vie. Et si les tâches qui incombent d’office à la mère (l’accouchement, la convalescence post-partum, l’allaitement éventuel) sont sans conteste les plus épuisantes, on oublie souvent que les nuits des pères sont aussi écourtées par les pleurs et les soins à prodiguer, et ce durant plusieurs mois après la naissance. Pouvoir équilibrer vie familiale et vie professionnelle est un droit pour les papas également.

La dernière personne à profiter du congé de paternité obligatoire et allongé, c’est la mère ! Pour toutes les raisons déjà énumérées, une réforme du congé de paternité en ce sens permettrait d’instaurer plus d’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan professionnel. Mais elle introduirait aussi plus d’égalité sur le plan familial, puisque la mère ne serait pas seule à gérer cet aspect. C’est seulement en s’aidant mutuellement à organiser l’arrivée du bébé, en s’occupant à tour de rôle des éventuels grands frères et grandes sœurs, en passant du temps en famille et en construisant sa relation avec le nouveau-né, que le couple aura l’impression d’avoir profité d’un « congé » ou d’un « repos ».

… et même toutes les familles

En réalité, c’est aussi du congé de coparentalité dont il est question : dans les familles non-traditionnelles, le rôle du coparent (l’homme qui vit ou est marié avec la mère et qui a l’intention d’élever l’enfant en l’absence du père) ou de la coparente (compagne ou épouse de la mère dans un couple homoparental) est tout aussi important que le rôle attribué au père, aussi bien pour ce qui est de sa présence auprès du nourrisson, de sa participation à l’organisation du ménage durant les premiers mois de la vie de celui-ci et du soutien qu’il ou elle apporte à la mère ayant donné naissance à l’enfant. Ainsi, les coparents ont aussi droit à leur version du congé de paternité, de 10 jours également, à prendre dans les 4 mois qui suivent l’arrivée du bébé. Si une réforme du congé de paternité et du congé de coparentalité a lieu, peut-être faudrait-il saisir l’occasion pour transformer leur intitulé en « congé de naissance », une formule bien plus inclusive.

En Finlande, un projet de loi, qui prévoit d’accorder à chaque parent le même nombre de jours de congé (6,6 mois !), n’entend pas faire allusion au sexe du parent : ce seront des congés « parentaux »16, tout simplement. Voilà une manière d’établir une vraie égalité des sexes et de tenir compte de tous les schémas familiaux. Autre point amené sur la table par le projet de loi : les familles monoparentales pourraient peut-être cumuler les deux congés17… Une source d’inspiration pour les prochaines discussions de la commission parlementaire ?18

 

 

 

 

 


 

1. QUACH Th. D., « Congé de paternité : vers une obligation et un allongement de la durée ? », 05/02/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 10/02/2020).
2. Congé de paternité. Choisir d’être présent, 2003 : https://igvm-iefh.belgium.be/ (consulté le 12/02/2020).
3. Le baromètre des parents, Service d’Études et d’action politique de la Ligue des familles, novembre 2018, p. 16 : https://www.laligue.be/ (consulté le 12/02/2020).
4. Voir « Quand Monopoly joue avec l’inégalité salariale », analyse 2019-21 de Couples et Familles.
5. Les 3 premiers jours du congé de paternité sont rémunérés à 100% par l’employeur. Les 7 suivants sont à charge de la mutualité et payés à 82% du salaire brut.
6. Le baromètre des parents, op. cit., p. 20.
7. « Les pères pour l’égalité des sexes » : www.oecd.org/ (consulté le 10/10/2020).
8. Le baromètre des parents, op. cit., p. 16.
9. « Congés et interruption de carrière » : https://www.belgium.be/ (consulté le 17/02/2020).
10. « Congé maternité : maman pourrait en donner à papa », 06/09/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 10/02/2020).
11. Le baromètre des parents, op. cit.
12. CHABBERT D., « Un congé de paternité de 15 semaines : et si on osait ? », 10/06/2018 : https://www.laligue.be/ (consulté le 17/02/2020).
13. « Allongement du congé paternité : la facture de 74 millions d’euros par an est "loin d’être insurmontable" », 07/02/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 10/02/2020).
14. « Faut-il allonger et obliger le congé de paternité », Ce qui fait débat : https://www.rtbf.be/ (consulté le 13/02/2020).
15. SENK P., « Le lien père-enfant important dès les premiers mois », 27/07/2012 : https://sante.lefigaro.fr/ (consulté le 17/02/2020).
16. À noter que le congé parental existe également en Belgique, mais ne désigne pas la même chose. Dans notre pays, chacun des deux parents a droit à un congé parental de 4 mois non transférable, afin de prendre soin de son enfant avant les 12 ans de celui-ci. Durant cette interruption de carrière (complète, à mi-temps ou d’un cinquième), le parent reçoit une allocation forfaitaire de la part de l’ONEM (« Congé parental », 03/02/2020 : https://www.onem.be/ (consulté le 18/02/2020)).
17. RYCKMANS Gr., « Finlande : le congé de paternité devrait être porté à près de 7 mois comme pour les mamans », 07/02/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 10/10/2020).
18. Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






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