Analyse 2020-11

Le mariage tel que nous le voyons a priori est un jour de fête, une cérémonie synonyme de joie et de promesses où l’amour est célébré. Hélas, ce n’est pas toujours le cas. Dans le monde entier, des mariages où les sentiments n’ont pas de place ont lieu. Ces mariages sans amour sont nombreux et prennent différentes formes. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les mariages arrangés sont encore largement répandus, particulièrement en Inde et ce, même dans les milieux dits privilégiés. Le mariage est perçu comme un des piliers de la société, un moyen d’organiser les familles. Parfois, cette cérémonie symbolise bien plus que l’union de deux individus, il s’agit de l’union de deux familles. C’est ainsi qu’il arrive que les parents prennent en charge la vie relationnelle de leur enfant, car si un mariage n’est pas organisé assez rapidement, ils auront droit à des répercussions de la part des autres membres de la famille, comme par exemple être rejeté des événements familiaux. En effet, une « date limite » doit être respectée, les femmes doivent se marier au plus tard à 25 ans, il en est de 28 ans pour les hommes1. Ces mariages arrangés sont causés par une grande pression sociale. Un système de caste est toujours présent dans bien des régions du monde, par conséquent, un enfant doit épouser obligatoirement une personne de la même origine2. Des sites internet ont même été créés afin de faciliter la recherche du partenaire adéquat3. Un mariage « hors-caste » risque de représenter une grande honte pour la famille, même si ce critère a tendance à s’amoindrir au sein des grandes villes, contrairement au milieu rural. Un autre élément d’une grande importance : l’orientation religieuse. Un mariage interconfessionnel est encore aujourd’hui mal vu. Certaines personnes optent alors pour une reconversion afin que l’union soit acceptée. À noter qu’il arrive que des reconversions soient forcées… Des mariages d’amour se font en dépit de la désapprobation des parents, mais cela implique de couper les liens avec toute la famille. Dans certains cas, la naissance d’un enfant permet des retrouvailles et de faire abstraction du « litige ».

Mariage arrangé rime-t-il avec mariage forcé ?

Dans la logique de ces traditions, un enfant qui ne se marie pas, c’est un échec pour toute la famille.  Cependant, ces mariages sont-ils vécus par les enfants comme un acte imposé ? Pas forcément si l’on en croit les jeunes interrogés par Tajuna Sharma, une professeure en ressources humaines exerçant à Delhi4. L’acceptation, ainsi que la confiance, règnent. Le mariage arrangé n’est pas systématiquement perçu négativement. Certains affirment même qu’ils préfèrent que ce soit leurs parents qui choisissent la personne qu’ils vont épouser. La question que cela suscite, c’est évidemment de savoir s’il s’agit d’une véritable préférence, étant donné que remettre en question des normes aussi ancrées doit être immensément difficile. Cela diffère toutefois des mariages forcés, où la notion de consentement est totalement absente.
Le mariage d’amour semble ne pas être forcément perçu comme un idéal, ce qui contraste fortement avec la vision romanesque du mariage de conte de fée, dont nous sommes abreuvés dès l’enfance. La croyance veut que les mariages arrangés soient plus stables que les mariages d’amour et présentent donc moins de risques d’échouer. Le principe de se marier passe de l’engagement au sacré. Toutefois, une inégalité subsiste : la responsabilité du mariage repose davantage sur les épaules de la femme que sur celles de l’homme. En effet, celle-ci prend le nom de son époux et a l’obligation de s’installer dans la famille de ce dernier. En cas de divorce, la femme est reniée vis-à-vis de la famille de son mari, mais aussi de la sienne. Les femmes divorcées se retrouvent déclassées socialement, seules et livrées à elles-mêmes. Ceci implique un enjeu important : celui de conserver le lien du mariage à tout prix, quitte à devoir endurer des relations toxiques, voire violentes. Et sans aller jusque-là, se résoudre à renoncer à l’épanouissement et à devoir assumer seule la répartition des tâches. Tout cela faisant suite à un environnement patriarcal persistant. Mais avec les nouvelles générations, une alternative se met petit à petit en place : « des mariages d’amour arrangés ». La tradition est respectée tout en épousant la personne de son propre choix. Ainsi, certains couples vont jusqu’à faire semblant de se rencontrer via des sites internet ou lors de réunions rassemblant les deux familles. Néanmoins, devoir en arriver à mentir à ses proches, cela pose question. Pourquoi un mariage d’amour, résultant d’un choix et de sentiments, est-il perçu comme moins fiable et donc illégitime ? Comment justifier le fait que l’amour, mais aussi le libre-arbitre, soient jugés inférieurs aux conventions, encore aujourd’hui, en 2020 ?

Mariage précoce : mineures en danger

Le mariage précoce a pour caractéristique le jeune âge de la mariée, mineure donc. Parfois, des jeunes filles âgées d'environ 7 à 10 ans peuvent être données en mariage à des hommes âgés de 40 ans. C’est en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud que la pratique de ce genre de mariage est la plus répandue. On retrouve aussi des mariages précoces dans certaines catégories de population au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans certaines autres parties de l’Asie5. Indirectement, ces situations touchent également l'Europe, où les filles sont renvoyées dans leur pays d'origine pour contracter le mariage. Comme il s'agit de très jeunes mineures, il est impossible de parler de consentement. Lors de ces dernières années, la baisse du nombre de mineures mariées de force a diminué de façon significative. Cependant, c'est un phénomène qui est toujours d'actualité et auquel il est absolument nécessaire de mettre fin. En effet, comme on peut s'en douter, ses conséquences sur le bien-être physique et psychologique des fillettes sont extrêmement néfastes. Leur santé est négligée et le risque de grossesse précoce est considérable. Elles sont aussi plus vulnérables aux IST (infections sexuellement transmissibles) puisque les rapports sexuels ne sont pas protégés. Leur éducation et vie sociale sont également malmenées : généralement, les filles n’ont plus accès à l’école une fois mariées. Officiellement il existe des lois pour contrer cette « coutume », mais elles sont contournées avec facilité. Le contexte religieux et traditionnel surpasse bien souvent le pouvoir judiciaire. Le mariage d’enfants trouve son origine dans l’inégalité des genres, les filles étant considérées comme inférieures aux garçons, lesquels ne sont bien sûr pas contraints au mariage précoce. Ce sont également les situations de pauvreté extrême qui conduisent les parents à marier leurs filles à des hommes plus âgés et fortunés. C’est devenu un moyen, discutable certes, de protéger leurs filles. Bien évidemment, la plupart n’a pas conscience des violences que leurs enfants subiront. D’autant que, si un mariage vient à être annulé, les filles sont punies, sont susceptibles de devenir victimes d’un « crime d’honneur » commis par leur propre famille. Heureusement, des études estiment que, grâce au milieu associatif, 25 millions de mariages précoces ont été évités lors de ces 10 dernières années6. Le problème est néanmoins loin d’être résolu et il est important de rappeler qu’il n’a pas de frontière.

En blanc ou en gris ?

Le mariage blanc se réalise dans le but d’obtenir un avantage, c’est-à-dire un permis de droit de séjour, un permis de travail ou encore de l’argent. Les deux personnes sont d’accord sur le fait que leur union soit factice. La notion d’amour ou de sentiment n’entre donc pas en ligne de compte. Cette « pratique » est répandue partout dans le monde et la Belgique n’y fait pas exception. Le mariage est contracté afin que l’une des personnes puisse acquérir rapidement la nationalité belge. C’est aussi un moyen de se soustraire aux lois sur l’expulsion des étrangers. Le mariage blanc est à différencier du mariage gris, dans lequel l’une des deux personnes ignore les intentions de l’autre et croit s’unir dans un mariage d’amour. On parle alors « d’escroquerie sentimentale ». Afin de faire face à l’injustice ainsi qu’aux préjudices moraux qu’un mariage blanc ou gris peut causer, le Code civil belge dispose d’articles consacrés à ces derniers7. Des sanctions sont à prévoir lors de mariages simulés ou forcés. Cependant, apporter la preuve que les époux n’ont pas la volonté de mener une vie commune n’est guère aisé. Le seul moyen est d’obtenir une « combinaison de circonstances » qui pourrait amener à conclure que le mariage est effectivement simulé.

Se marier uniquement pour des papiers, ce n’est pas un geste anodin. C’est probablement un signe que les permis de séjour ou de travail ne sont pas suffisamment accessibles, et que certaines personnes ne trouvent pas d’autres solutions. Obtenir ces droits demande non seulement du temps mais aussi de l’argent, il est nécessaire de prouver que l’on dispose de moyens de subsistance suffisants. Mais que faire lorsqu’on ne dispose pas de ces moyens ? Certes, il est occasionnellement possible, selon le statut que l’on occupe, d’être dispensé de cette mesure, mais il demeure que  toutes ces procédures relèvent bien souvent d’un véritable parcours du combattant. Cela ne justifie bien sûr pas les mariages blancs ou gris, mais le fait est que ces mariages illicites mettent en lumière des injustices sociales qu’on ne peut plus ignorer.

La Déclaration universelle des droits de l’homme nous dit que : « Toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux8. » Il revient à nos sociétés, politiques et gouvernements de s’engager afin que ces droits soient véritablement respectés, notamment via la prévention et la garantie de l’égalité des chances. Le mariage évoque différentes représentations pour chaque individu, comme nous le relatons dans le dossier 127 Le(s) mariage(s). C’est à nous toutes et tous de faire en sorte que le mariage reste un moment heureux, et ce, pour tout le monde9.

 

Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

 


 

1. PELTIER A., « En Inde, le mariage reste une affaire de famille », 07/02/2020 : http://www.slate.fr/ (consulté le 10/02/2020).
2. Cela concerne également les pays de l’Occident, avec par exemple les États-Unis où le système de castes est encore très marqué.
3. Par exemple « BharatMatrimony » ou « IITIIMShaadi ».
4. PELTIER A., op. cit.
5. « Le mariage d’enfant » : https://www.unicef.org/ (consulté le 11/02/2020).
6. RUBETTI M., « Chaque année, 12 millions de mineures sont mariées de force dans le monde », 19/09/18 : https://www.lefigaro.fr/ (consulté le 11/02/2020).
7. « Le mariage blanc » : https://www.actualitesdroitbelge.be/ (consulté le 10/02/2020).
8. Article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
9. Analyse rédigée par Violette Soyez.

 

 

 

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