Analyse 2020-13

En ce mois de mars 2020, environ un tiers de l’humanité est concerné par des mesures de confinement décrétées par les gouvernements des pays touchés par la pandémie de coronavirus1. Tantôt strict, tantôt plus flexible, le confinement imposé bouleverse les habitudes de tout un chacun et nécessite une importante adaptation... Certains enjeux, néanmoins, doivent être gardés à l’esprit.

Le confinement aura-t-il un impact à long terme sur nos vies ? Plusieurs études sont en cours en Belgique pour tenter de mesurer l’impact qu’aura eu le confinement sur le bien-être et l’état psychologique des personnes l’ayant vécu. Pour l’instant, les experts n’ont pas encore le recul nécessaire pour évaluer les conséquences des restrictions imposées pour limiter la propagation du Covid-19 au sein de la population belge, mais d’autres études (celles sur le confinement des Chinois ou sur la privation d’espace dans les prisons2) ont déjà démontré les effets néfastes liés à l’isolement, en mettant en évidence des symptômes semblables à ceux du stress post-traumatique. L’anxiété provoquée par les pertes (humaines, économiques, pédagogiques, etc.) et alimentée par le flux d’informations continu, l’incertitude quant à la durée des mesures de confinement, l’ennui, la frustration que certains peuvent ressentir à cause de leur impuissance face à la situation, la colère à l’égard des politiques, ou attisée par le comportement irresponsable de certains concitoyens3... Beaucoup de ces émotions s’entrechoquent aujourd’hui à l’intérieur de chaque Belge, de chaque foyer et plus généralement de la société, et peuvent provoquer des étincelles.

Des couples et des familles sous tension

Le retour des enfants à la maison, depuis la suspension des leçons le 16 mars, est un premier facteur de tension pour certaines familles. Alors que pendant les congés scolaires normaux, les parents peuvent en général compter sur les activités extra-scolaires ou les grands-parents pour s’occuper des jeunes, ces possibilités sont aujourd’hui réduites à néant. Les autorités l’ont en effet suffisamment répété : il faut éviter de solliciter les grands-parents pour la garde des enfants, puisqu’ils font partie de la population « à risque », plus susceptible de développer des complications si elle est infectée par le coronavirus. Certes, des garderies sont organisées par les établissements scolaires, mais seules les familles qui n’ont vraiment pas d’autres choix (par exemple les familles dont les parents font partie du personnel médical ou exercent un métier qui ne permet pas le télétravail) peuvent y déposer leurs enfants. Le message a d’ailleurs été bien compris par la population, puisque très peu d’élèves ont été présents à l’école depuis le début du confinement4.

Bon nombre de parents se retrouvent donc à devoir s’occuper de leurs enfants toute la journée. En fonction de l’âge de ceux-ci, cela implique de les surveiller, de gérer les disputes entre frères et sœurs, de jouer avec eux, de les encadrer pour les devoirs à domicile envoyés par les professeurs – un travail considérable, donc, et stressant pour les parents qui pensent ne pas être à la hauteur. Pour contrebalancer cette tension, les ressources dont disposent les parents habituellement ne sont plus disponibles : plus d’école pour occuper les enfants, plus non plus de loisirs pour se changer les idées et pour s’offrir un moment de pause ou de relaxation... La balance « stresseurs - ressources » est déséquilibrée5. Quel défi, par ailleurs, pour les familles monoparentales ! Leur quotidien, souvent plus difficile, l’est d’autant plus en cette période.

À côté de l’excès d’interactions vécu par ceux contraints de vivre « les uns sur les autres », la plupart des adultes doivent continuer à assumer leurs journées de travail depuis chez eux, à moins qu’ils n’aient posé des jours de congé légaux ou sans solde. Si le télétravail fait souvent partie des revendications des employés pour parvenir à un meilleur équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, il n’est certainement pas aussi bénéfique en cette période où il est d’application tous les jours, dans un contexte familial plus compliqué à gérer. D’autres personnes sont par contre au chômage économique, ce qui peut venir bouleverser le ménage, non seulement avec des préoccupations financières, mais aussi avec un chamboulement des emplois du temps et éventuellement une répartition des tâches à renégocier.

Pour d’autres, un isolement double

La « distanciation sociale » à respecter lors des sorties – qui doivent demeurer exceptionnelles – touche aussi les couples et les familles : certains proches se retrouvent séparés, confinés en des lieux différents6. L’isolement et le manque de contact social et physique peuvent être alors très difficiles à vivre. Cela peut aussi être le cas des célibataires, des parents isolés, ou encore des personnes « solitaires ». Bien que certains d’entre eux sont seuls par choix, il n’empêche qu’ils ont habituellement des interactions au cours de la journée. Actuellement, celles-ci sont considérablement réduites.

Les personnes plus âgées sont également particulièrement concernées par l’isolement. Déjà d’ordinaire, cette solitude constitue une réelle problématique pour le bien-être des aînés : certains d’entre eux voient peu de gens en dehors de leurs familles – et encore. Maintenant qu’on les encourage à ne plus sortir, à rester chez eux, la coupure avec le reste du monde est encore plus importante. Dans les maisons de repos wallonnes, par exemple, les visites en personne sont désormais interdites jusqu’à nouvel ordre7. Les contacts virtuels sont par contre encouragés : lettres et dessins d’enfants pour remonter le moral des personnes âgées, mais aussi appels téléphoniques ou par webcam. À cet égard, la barrière technologique tente d’être levée par le personnel soignant, mais également par le geste de solidarité d’une startup belge, qui a décidé d’offrir des smartphones aux maisons de repos pour reconnecter les familles8... L’occasion, peut-être, pour les plus âgés, de s’initier aux nouveaux moyens de communication ?

Les rites familiaux mis entre parenthèses

Beaucoup de fêtes familiales et d’événements en famille sont suspendus durant cette période. Les anniversaires se fêtent entre personnes habitant sous le même toit. Les réunions de familles sont fortement déconseillées. L’incertitude plane encore autour de ce qui sera autorisé pour fêter Pâques. Si les mariages à la commune peuvent toujours être célébrés, la cérémonie religieuse et les festivités doivent être reportées9.

Pour les familles qui doivent traverser l’épreuve d’un deuil, la situation est encore plus pénible que d’habitude. Le cas échéant, les services religieux peuvent se poursuivre, mais doivent se dérouler en cercle restreint et en respectant la fameuse règle de « distanciation sociale ». Que ce soit l’enterrement des personnes décédées d’une infection liée au coronavirus ou bien celui d’autres défunts, le fait de limiter les rassemblements des familles et des personnes chères est très difficile à endurer...

Comment réagir ?

Il n’y a pas lieu de discuter des mesures de confinement, incontestablement nécessaires pour endiguer la propagation du virus. Mais il faut rester conscient que celles-ci entraînent des situations très difficiles et ne pas les occulter.

Tout d’abord, concernant les élèves en « décrochage » forcé, il est important de comprendre que tous ne sont pas logés à la même enseigne. Dans certaines familles, les parents ne sont pas aptes à fournir un cadre de travail adéquat à leurs enfants. Pensons notamment aux familles dont les parents ne parlent pas français ou sont analphabètes10, aux familles qui ne disposent que d’un ordinateur, réquisitionné à la fois pour les tâches professionnelles et les tâches scolaires, aux familles plus précaires dont l’espace de vie est réduit et n’offre pas le calme nécessaire à la concentration...

Ensuite, il est essentiel de prévenir un maximum les cas d’épuisement parental11, dont le nombre est vraisemblablement susceptible de croître avec le confinement, pour les raisons décrites plus haut dans l’analyse. Dans cette optique, un numéro spécial « SOS Parents » a été créé pour offrir aux parents un soutien psychologique gratuit12. La Ligue des Familles a fait un pas de plus en réclamant un congé payé spécifique pour les parents qui doivent s’occuper de jeunes enfants, comme c’est le cas en France pour les parents d’enfants de moins de 16 ans, qui peuvent bénéficier d’un arrêt de travail indemnisé allant jusqu’à 14 jours (un seul parent peut en bénéficier à la fois)13.  

Enfin, il faut rester attentif aux violences intrafamiliales qui, dans ce contexte, sont loin de disparaître. Au contraire, les violences éducatives, autant physiques que psychologiques, sont plus fréquentes maintenant qu’enfants et parents se retrouvent 24 heures sur 24 ensemble et que l’école n’est plus là pour servir de refuge ou pour alerter les services de protection à l’enfance en cas de suspicion. En atteste le cas de la France, où le numéro d’appel pour les enfants en danger serait saturé pour l’instant14. Des violences entre partenaires sont également susceptibles d’éclater de plus belle. Les associations de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences de genre y sont très attentives et ont rappelé le numéro « Écoute violences conjugales »15. L’on sait en tout cas que le nombre de divorces a augmenté durant le confinement en Chine16, et l’on doit peut-être s’attendre à la même situation en Europe.

Quant aux conséquences de cette crise sur la vie de tout un chacun, elles seront peut-être financières, psychologiques, ou se matérialiseront par la perte d’un proche… mais elles ne pourront être réellement évaluées qu’à la fin. En attendant, ce qu’il nous reste à espérer, c’est que l’impact de cette crise sur les liens sociaux et le bien-être des couples et des familles soit limité ; mais également que soit limitée l’accentuation des inégalités et des violences.

Une fois n’est pas coutume, nous devons faire passer la santé publique avant nos libertés individuelles, ce qui n’est pas facile dans nos cultures occidentales individualistes17. Mais c’est un apprentissage important pour maintenant, et sans doute aussi pour l’avenir18.

 

 

 

 

 

 


 

1.  « Coronavirus : les mesures de confinement touchent un tiers de l'humanité », 25/03/2020 : https://www.lepoint.fr/ (consulté le 25/03/2020).
2. « Confinement : tous en route vers la détresse psychique », 19/03/2020 : http://geographiesenmouvement.blogs.liberation.fr/ (consulté le 26/03/2020).
3. « Confinement Covid-19 : il y aura des conséquences pour la santé mentale des Belges », 20/03/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 25/03/2020).
4. « Coronavirus : consignes respectées, à peine 2 à 3% d’élèves présents dans les écoles lundi matin », 16/03/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 26/03/2020).
5. Moïra Mikolajczak, intervention dans le Journal télévisé de la RTBF, 20/03/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 25/03/2020).
6. Heureusement, le gouvernement a laissé la possibilité aux parents divorcés ou séparés de continuer à pratiquer l’hébergement alterné de leurs enfants... Et la non-présentation de l’enfant peut d’ailleurs être lourdement sanctionnée, même au vu des circonstances exceptionnelles (« Coronavirus : condamné à des astreintes de 1.000 euros par jour pour non-présentation d’enfant », 25/03/2020 : https://plus.lesoir.be/ (consulté le 26/03/2020)).
7. « Coronavirus : pourrez-vous rendre visite aux personnes âgées dans les maisons de repos ? Le point région par région », 11/03/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 26/03/2020).
8. « Une startup belge offre des smartphones aux maisons de repos pour reconnecter les familles », 23/03/2020 : https://geeko.lesoir.be/ (consulté le 26/03/2020).
9. « Mesures pour les festivités et événements de vie » : https://www.info-coronavirus.be/ (consulté le 26/03/2020).
10. Voir à ce sujet « Contre les dégâts de l’illettrisme au sein des familles », analyse 2019-12 de Couples et Familles.
11. Voir à ce sujet : « Le burn-out parental, fléau de notre époque ? », analyse 2017-26 de Couples et Familles et Burn-out au boulot et à la maison, dossier n° 110 des Nouvelles Feuilles Familiales, décembre 2014.
12. Le numéro se trouve sur le site www.burnoutparental.com, site qui offre par ailleurs de nombreuses pistes pour éviter le burn-out parental en période de confinement.
13. DUPIÈREUX Th., « Coronavirus : des congés payés spécifiques pour les parents ? », 11/03/2020, mis à jour le 21/03/2020 : https://www.laligue.be/ (consulté le 26/03/2020).
14. « La violence sur enfant, autre face du confinement », 23/03/2020 : https://destinationsante.com/ (consulté le 26/03/2020) ; Moïra Mikolajczak, op. cit.
15. Le numéro est le suivant : 0800 30 030.
16. « Les demandes de divorce explosent en Chine à la suite du confinement », 18/03/2020 : https://quebec.huffingtonpost.ca/ (consulté le 26/03/2020).
17. Moïra Mikolajczak, op. cit.
18. Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.

 

 

 

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