Analyse 2020-20

sexto sexting revenge porn

S’échanger des messages, des photos et des vidéos érotiques ou sexuellement explicites de soi est une pratique assez répandue, y compris chez les adolescents. Pour certains, c’est une manière d’évoquer ses sentiments, d’accorder sa confiance, d’exprimer son besoin ou son désir de partager un part de son intimité… Quels liens entretiennent les sextos (contraction de « sexe » et de « texto ») avec la notion de consentement ? À quels risques s’expose-t-on en envoyant un message de ce type ?

Dans certains cas bien précis, l’auteur du sexto est totalement fautif : si le destinataire n’est pas demandeur de ce type de photos ou de vidéos, il ne faut évidemment pas les lui imposer1. Dans cette analyse, il sera plutôt question des cas où l’envoi d’un message érotique prend place dans le cadre d’une relation de confiance. Mais cette confiance n’est pas sans faille. Le « revenge porn », c’est-à-dire la « diffusion de photos ou vidéos intimes, nues et/ou sexuelles, à l’insu de la personne qui y est représentée2 », prend de plus en plus d’ampleur, notamment avec la période de confinement : les jeunes « s’ennuient », la quantité d’images échangées explose, l’audience sur Internet est plus importante et les victimes plus isolées3. Comment combattre au mieux ce phénomène ?

La sexualité et les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont indéniablement des nouveaux espaces de discussion, de drague et de flirt entre amis et entre partenaires amoureux. Les paroles ne sont pas les seuls contenus échangés ; des photos et des vidéos s’invitent également dans ces discussions instantanées. Si les messageries privées des réseaux sociaux laissent croire à leurs utilisateurs qu’ils communiquent dans un espace privé, intime à deux personnes (ou un petit groupe de personnes), en réalité, la frontière entre l’intime et le public se brouille de plus en plus4. Mais cela n’a pas empêché la pratique du « sexting », ou l’envoi de « sexto », de gagner de l’ampleur.

Les adolescents forment un groupe tout désigné de cette pratique, de par leur utilisation massive et régulière des réseaux sociaux, couplée aux nouvelles expériences propres à leur âge, dont des rapprochements et des jeux de séduction, aussi bien dans le monde réel que dans le virtuel. En cela, les réseaux sociaux répondent aux enjeux de l’adolescence, puisqu’ils permettent d’entretenir à distance des relations extra-familiales (amicales ou amoureuses) et puisque l’image et la mise en récit de soi, dans le but d’obtenir l’approbation des pairs (des « j’aime » et des commentaires), y tiennent une place prépondérante. L’envoi d’un sexto, pour un adolescent, peut être considéré comme un don, un gage d’amour, un symbole de confiance ou encore un rite d’engagement5.

Deux études réalisées en Belgique se sont penchées sur la pratique du sexting chez les adolescents. Les résultats de la première étude, sur base des réponses fournies par plus de 1300 jeunes, indiquent que 18,7 % d’entre eux ont déjà « envoyé ou posté des messages, photos ou vidéos sexy d’eux-mêmes ». Dans plus de 60 % des cas, ceux-ci étaient destinés à un partenaire amoureux, ou en tout cas à une personne significative. La seconde étude rapporte que 26 % des adolescents interrogés ont envoyé ou posté ce type de contenu au cours de l’année écoulée. Les garçons semblent par ailleurs plus souvent concernés que les filles6.

Parfois problématique

Lorsque l’envoi de photos ou vidéos suggestives voire sexuellement explicites trouve sa motivation dans une autre source que le simple désir ou besoin de partager une part de son intimité, cela pose un réel problème. Certaines personnes se voient contraintes d’envoyer un sexto, sous la pression d’un partenaire amoureux insistant, de peur par exemple que celui-ci rompe si elle ne s’exécute pas. Il peut également s’agir d’attirer ou de garder l’attention d’une personne importante à ses yeux. Dans une des deux enquêtes menées en Belgique, évoquées plus haut, 78% des filles interrogées considèrent que le sexting résulte de ce type de pression7.

Si le destinataire fait mauvais usage du contenu qui lui est envoyé, cela est également problématique. L’envoi de ce type de message témoigne de la confiance qu’a l’expéditeur ou l’expéditrice envers son interlocuteur, une confiance que ce dernier brise parfois en en diffusant le contenu, pour quelque motif que ce soit : se moquer, créer un buzz, en tirer profit financièrement, etc. Parfois, le ou la destinataire se sert de la diffusion de l’image « compromettante » pour se venger de son ex-partenaire ou menace de la diffuser en cas de rupture (chantage dans le cadre de violences conjugales).

La diffusion non consentie et malintentionnée d’images à caractère sexuel est appelée « revenge porn ». Si l’on cerne bien le phénomène de « vengeance » par la publication des photos de nus ou de parties intimes à travers ces termes, ceux-ci sont néanmoins assez réducteurs, voire occulteurs, de la réalité. Tout d’abord, le mot « porn » (pornographie) prête à confusion : le sexto ne relève-t-il pas plus de l’érotisme que de la pornographie ? L’emploi de ce dernier terme paraît inapproprié, si pas complètement déplacé dans le cas de photos de nus d’adolescents8. Par ailleurs, les termes « revenge porn » ne prennent en considération que les cas de figure où la diffusion permet à quelqu’un de se venger, alors qu’elle est parfois motivée par d’autres raisons, nous l’avons vu. De plus, l’idée de « prendre sa revanche » impliquerait qu’une faute initiale est commise par l’expéditeur ou l’expéditrice du sexto. Pour le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, réfléchir à la terminologie importe car « mal qualifier un phénomène le rend peu accessible, cohérent et légitime9 ».

Cyberviolence et cybersexisme

La notion de « revanche » présente dans la désignation « revenge porn » participe donc à désigner les victimes de ce phénomène comme responsables, du moins en partie, de ce qui leur arrive, puisque ce sont elles qui ont initialement produit le contenu. L’on entend par exemple qu’elles auraient dû penser aux conséquences avant d’envoyer une vidéo ou une photo. Cette responsabilisation, qui porte principalement sur les filles, est facilitée par les conceptions sexistes malheureusement bien établies dans la société. Contrairement aux garçons, les filles peu pudiques sont facilement qualifiées de « salopes ». Les réactions sexistes se traduisent parfois même par un appel au viol10. Ainsi, dans une des enquêtes menées en Belgique, certains garçons ont donné leur avis sur le « revenge porn » en commentant : « Qu’elles arrêtent d’exciter en se montrant et ensuite se plaindre de les voir excités11. »

Pourtant, la victime en est bien une. Si l’envoi d’un sexto est parfois – mais pas toujours – un acte consenti, ce n’est pas le cas de la diffusion à large échelle. Diffuser ce genre d’images ou menacer de le faire, sont des violences cybersexuelles répréhensibles par la loi. Il en va de même pour la diffusion d’images prises à l’insu de la personne représentée, ou encore obtenues par vol ou hackage. Ces cyberviolences sexuelles ne s’arrêtent pas à la diffusion. Elles se poursuivent à chaque partage, à chaque commentaire. Toutes les personnes qui dénigrent, insultent ou harcèlent la personne exposée (reconnaissable sur l’image ou identifiée par l’auteur de la diffusion) participent à la victimisation. Les conséquences psychologiques (dépression, stress post-traumatique, alcoolisme, etc.) ou économiques (perte de son travail, pour les adultes) peuvent être désastreuses et s’étaler sur le long terme12.

Sanctionner plus… ou éduquer plus ?

Depuis février 2016, le Code pénal belge prévoit une peine d’emprisonnement, variable entre 6 mois et 5 ans, pour avoir « montré, rendu accessible ou diffusé l’enregistrement visuel ou audio d’une personne dénudée ou se livrant à une activité sexuelle explicite, sans son accord ou à son insu, même si cette personne a consenti à sa réalisation13 ». Mais un nouvelle loi, prévoyant une circonstance aggravante en cas de « revenge porn » (donc d’« intention méchante »), entrera en vigueur le 1er juillet 202014. Pour l’Observatoire international des prisons, cette loi risque d’augmenter la surpopulation carcérale sans régler le problème : à part le fait de rendre plus rapide et efficace l’effacement des images, elle améliore peu l’accompagnement des victimes. L’Observatoire regrette que l’accent ne soit pas mis sur des solutions de type préventif ou des processus de médiation15.

L’asbl Couples et Familles pense également que la prévention – par l’information, la sensibilisation16, l’éducation – est plus efficace, a fortiori dans le cas des adolescents, que le renforcement des sanctions déjà existantes. Pour combattre le « revenge porn », l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) et l’éducation aux médias doivent se compléter. Le rôle de l’EVRAS est notamment d’inculquer le respect entre partenaires et l’importance du consentement. L’EVRAS doit aussi servir à déconstruire les logiques sexistes à l’œuvre dès l’adolescence : les filles n’ont pas à être sexy, à la mode ou dénudées pour être intéressantes. L’éducation aux médias permet quant à elle d’éveiller les jeunes, non pas à l’utilisation des moyens de communication, qu’ils maîtrisent déjà avec une agilité presque innée, mais bien à des notions primordiales pourtant souvent méconnues : le droit à l’image, la vie privée, le cyber-harcèlement mais aussi le hackage et le discernement requis face à un ou une inconnu(e) sur Internet.

Il ne faut donc pas se limiter à exposer les risques du sexting, en expliquant par exemple aux jeunes de ne pas afficher sur une même photo ou vidéo ses parties intimes et son visage ou tout autre signe distinctif, ou encore de ne pas dévoiler son mot de passe17. Le réel enjeu se situe dans une éducation au respect et à l’égalité, que ce soit dans les relations affectives ou au quotidien. Pour cela, il est aussi nécessaire d’entendre et de répondre aux appels du corps enseignant, qui déplore un manque de moyens et d’outils pour aborder, plus et mieux, les sujets « sensibles » comme le sexting et ses dérives18,19.

 

 

 

 

 


 

1. « Échanger, envoyer ou recevoir des photos sexy » : https://childfocus.be/ (consulté le 09/06/2020).
2. BALLOUT M., « Revenge porn : critique d’un phénomène social et des mots pour le décrire », analyse du Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, décembre 2018 : https://www.cvfe.be/ (consulté le 27/05/2020).
3. KHOUIEL L., « Quand le revenge porn s'adapte au confinement », 08/04/2020 : https://www.vice.com/ (consulté le 09/06/2020).
4. BALLOUT M., op. cit.
5. GLOWACZ F. et GOBLET M., « Sexting à l’adolescence : des frontières de l’intimité du couple à l’extimité à risque », Enfances Familles Générations. Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine, 34, 2019 : https://journals.openedition.org/ (consulté le 27/05/2020).
6. Ibid.
7. Ibid.
8. ROBITAILLE-FROIDURE A., « Sexting : les adolescents victimes (consentantes ?) de la révolution numérique », La Revue des droits de l’homme, 5, 2014 : http://journals.openedition.org/, p. 5-7 (consulté le 27/05/2020).
9. BALLOUT M., op. cit.
10. Ibid.
11. GLOWACZ F. et GOBLET M., op. cit.
12. BALLOUT M., op. cit.
13. Loi du 1er février 2016 modifiant diverses dispositions en ce qui concerne l'attentat à la pudeur et le voyeurisme.
14. Loi du 4 mai 2020 visant à combattre la diffusion non consensuelle d'images et d'enregistrements à caractère sexuel. Le texte ne comporte plus la notion de « revenge porn » comme c’était le cas dans la proposition de loi, avant amendements.
15. « Proposition de loi visant à (encore) sanctionner le  "revenge porn", l’OIP dénonce un coup d’épée dans l’eau », communiqué de presse de l’Observatoire international des prisons – Section belge, 19/02/2020 : http://oipbelgique.be/ (consulté le 09/06/2020).
16. La websérie #Arrête, c’est de la violence aborde le « revenge porn » dans son deuxième épisode. Elle a été réalisée et diffusée dans le cadre d’une campagne menée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Wallonie et la Cocof en 2018 pour sensibiliser les jeunes aux violences sexuelles dans les relations amoureuses (https://www.youtube.com/).
17. BALLOUT M., op. cit.
18. GLOWACZ F. et GOBLET M., op. cit.
19. Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.

 

 

 

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