Analyse 2022-01

Une première boite à bébé bruxelloise tente de faire son apparition à Evere en 2017. L’objectif principal est de permettre aux mères en situation de précarité d’abandonner leur enfant en toute sécurité. Depuis, l’annonce fait parler d’elle.

Les autorités communales se sont immédiatement opposées au dispositif car, selon elles, la boite inciterait à commettre l’abandon, or, il est illégal en Belgique d’abandonner un enfant anonymement1. L’ASBL Corvia2 a rétorqué en entamant une procédure au Conseil d’État qui a finalement annulé la décision des autorités communales3. Combat gagné pour Corvia ? Pas encore. Le bourgmestre d’Evere refuse encore l’installation d’une boîte à bébés aujourd’hui, justifiant sa décision par des raisons urbanistiques4. Pourquoi la boite à bébé bouscule-t-elle les codes de notre société ? Quelles sont les fonctions de ce dispositif ?

 Retour en arrière

Jusqu’au XIXe, siècle, les parents abandonnaient leur enfant par « l’exposition ». Autrement dit, ils déposaient le nouveau-né non désiré dans un endroit public, dans le but qu’il soit trouvé et pris en charge, maintenant ainsi l’anonymat. Au Moyen-Âge, afin de permettre à l’enfant d’obtenir plus de sécurité lors de l’abandon, des « coquilles » ou « berceaux » étaient disposés en face d’hospices. Ensuite, des tours d’abandon ont fait leur apparition. D’abord en Italie, en 789, puis  un  peu partout dans le monde (France, Angleterre, Allemagne, Italie, Japon, Mexique, Brésil…). Les parents disposaient de la possibilité d’abandonner anonymement leur nouveau-né afin qu’il soit pris en charge par des hôpitaux, des centres sociaux ou des orphelinats. Les tours se présentaient sous la forme d’un tourniquet sur lequel  actionner une cloche pour avertir le personnel d’un nouveau « dépôt ». Les raisons principales de la mise en place de ces tours, à l’époque, étaient d’apporter une sécurité puis un foyer à des enfants non désirés, conçus hors mariage, par exemple. Ces tours présentaient donc une alternative à l’infanticide5.

 Depuis la fin des années 90, l’Allemagne a introduit un mécanisme plus innovant que des tours d’abandon : les babyklappe (littéralement « trappe à bébé » en français). L’association belge Moeders voor Moeders s’en inspire et installe une « boite à bébés » à Anvers au cours de l’année 2000. Nous apprenons par le témoignage6 de Katrin, bénévole au sein de l’association, que le dispositif de la boite belge dispose d’un numéro d’appel d’aide pour les mères en détresse. La boite à bébé est dotée d’un lit chauffé, avec couchage et vêtements. Lorsque le hayon se referme éléctromagnétiquement après qu’un parent ait déposé le nouveau-né, une alarme s’enclenche 15 minutes plus tard afin de permettre à la maman (ou, plus rarement, au père) de quitter les lieux anonymement. Un médecin se déplace et vérifie l’état de santé du bébé qui sera ensuite pris en charge par les services sociaux et placé au sein d’une famille d’accueil. Les parents biologiques peuvent récupérer l’enfant jusqu’à 3 mois après l’abandon.

 Depuis 2013, en Allemagne, les boites à bébé ont évolué suite à la légalisation de l’accouchement sous X, avec le maintien du secret jusqu’à 16 ans7, justifiant que ces boites présentaient une entrave aux droits des enfants à connaître leurs origines. Ce droit des origines est inscrit dans la Déclaration universelle relative aux droits de l’enfant, ratifiée en 1990. D’après les témoignages des adoptés eux-mêmes, il est d’une grande souffrance de ne pas avoir accès à ses origines. L’historisation, et donc la mémoire de soi, est un processus actif de la création du passé de l’individu qui lui permet de lui offrir une identité8. Par souci de l’importance des droits à l’origine, l’association y apporte une petite attention sous forme d’une carte que le parent trouve dans la boite à bébé. Elle est unique, en forme de puzzle, et est emportée par le parent. Cette carte lui permettra d’être identifiée au bébé et de reprendre contact un jour si souhaité.

Une solution de secours

Cependant, les boites présentent plusieurs fonctions. D’abord, celle d’y déposer les bébés. La boite anversoise existe depuis 20 ans. A ce jour, 19 bébés y ont été recueillis. Puis, il existe un numéro de crise sur la boite, faisant office de relais et de possible prise en charge d’accompagnement de la mère. Il arrive que les femmes téléphonent à ce numéro avant l’accouchement et entrent en contact avec les bénévoles de Moeders voor Moeders qui réfléchissent, ensemble, à la solution adaptée pour la mère et son enfant9.

 En 2021, la sociologue Julie Ancian écrit une étude sur l’invisibilisation des inégalités sociales de santé dans les procès de néonaticide10. Le néonaticide étant l’homicide d’un nouveau-né dans les 24 heures qui suivent sa naissance. Nous apprenons qu’en Cour de Justice, suite à un néonaticide, les femmes sont tenues responsables de leur contraception. Le présupposé étant le suivant : à l’heure actuelle, il existe de nombreux moyens contraceptifs. Les femmes devraient alors être capables d’éviter une grossesse et d’être à l’écoute de leur corps. Pourtant, c’est un fait établi, même si la contraception est prise correctement, elle n’est pas pleinement efficace. À cela s’ajoutent les dénis de grossesse. Dans ce cas, les signes de grossesse sont alors méconnus par la femme elle-même. Si la grossesse n’est découverte que le jour de l’accouchement, la mère peut alors être prise au dépourvu.

 En effet, il existe un mythe autour de la maternité heureuse. Une mère est censée aimer son enfant dès qu’elle le sent en elle. Il s’agirait de quelque chose d’instinctif voire primal. Pourtant, certaines femmes ne perçoivent pas la grossesse comme un bonheur absolu, elles ne se comblent pas d’amour lorsqu’elles découvrent qu’elles sont enceintes. Au contraire, la grossesse peut représenter une catastrophe11 sans issue.

 De plus, les inégalités sociales de santé touchent beaucoup de femmes en situation de précarité. Il arrive qu’elles manquent de confiance envers les hôpitaux, qu’elles craignent le jugement, qu’elles ne soient pas suivies régulièrement par un gynécologue/un médecin par manque de revenus et qu’elles n’aient donc pas accès aux informations quant à la contraception adaptée à leur mode de vie ou quant aux délais légaux pour pratiquer l’IVG. À la précarité s’ajoute un quotidien qui peut être rythmé par des violences physiques, psychologiques, sexuelles. L’isolement, l’emprise et les violences rendent ces femmes prisonnières de leur situation. Il est alors difficile pour elles de se tourner vers l’extérieur pour obtenir une aide. Dans ce contexte, la grossesse représente alors une catastrophe qui doit être cachée, annihilée : soit pour ne pas exacerber les violences dans le couple, soit pour ne pas plonger dans une précarisation accrue tant les revenus ne leur permettent pas de s’occuper de l’enfant, soit pour ne pas aggraver la maladie, le trouble ou le handicap éventuel de la femme12.

 Nous pouvons nous demander, en effet, comment il serait possible pour ces femmes de prendre soin d’un enfant alors qu’elles souffrent elles-mêmes d’une détresse sociale et psychologique qui ne leur permet déjà pas de répondre à leurs propres besoins. Nous apprenons d’une étude de la sociologue Julie Ancian sur le néonaticide, en France, pays où l’accouchement sous X est légalisé, que la légalisation de l’accouchement sous X n’empêche pas que des femmes accouchent seules chez elles et en viennent à effectuer ce geste irréparable qu’est le néonaticide. De fait, quelles solutions s’offrent à elles ? Que faire d’un nouveau-né non désiré lorsqu’elles n’ont plus aucune confiance envers le monde médical et que la honte les anime ? Amener un enfant au monde qui vivra dans la précarité et la violence ? L’abandonner sur la place publique ? Pratiquer l’infanticide ?

Les boites à bébé, les boites à sécurité ?

Depuis le jour de leur existence, les lieux de recueil des bébés permettent d’assurer leur sécurité. Le néonaticide existe, lui aussi, depuis toujours. Pour éviter ce geste extrême, la boite à bébé peut être une solution de secours. La bénévole de Moeders voor Moeders le dit : « Ce n’est pas une bonne solution, mais c’est une dernière solution13. » Ces boites offrent une solution à des femmes qui accouchent à domicile, dans le secret, et qui ne voient plus aucune issue. Par l’intermédiaire de ces boites, elles peuvent aussi entrer en contact avec des bénévoles qui pourront les aider à trouver une solution. Ces bénévoles, attachées à l’accompagnement de femmes en situation de précarité, représentent des personnes de confiance vers qui les femmes peuvent se tourner.

 Afin d’obtenir des solutions durables pour la sécurité des femmes et des enfants, il pourrait être plus efficace d’améliorer notre système actuel. Pour ne pas reproduire ces situations désemparées, il serait intéressant d’augmenter les lieux d’accès aux soins gratuits dans chaque commune, les lieux d’accompagnement pour les femmes précarisées et victimes de violence, la prévention et l’éducation à la sexualité auprès des jeunes dans les écoles défavorisées, l’écoute envers les associations luttant au quotidien contre la pauvreté et qui disposent de tant de savoir concernant les rouages de la vie précarisée.

En conclusion

L’abandon de nouveau-nés est un acte qui existe depuis toujours, pour diverses raisons. L’encadrement de ces abandons par les tours, puis par les boites, permet à la fois d’assurer la sécurité de l’enfant abandonné, mais aussi d’offrir une solution à une femme qui n’en a plus. Le dispositif existant, il leur offre à la fois l’opportunité d’éviter l’abandon d’un nourrisson sur l’espace public, ce qui représente un grand risque pour sa survie, et également la possibilité, en tant que mère, d’être prise en charge par une association.

À cela, les boites à bébé représentent un dispositif inscrit dans un mouvement de lutte contre la pauvreté. Elles concernent des femmes dont le quotidien est cadencé par la précarité, l’isolement et les violences. Ne pas accepter les boites pour obliger ces dernières à accoucher à l’hôpital n’est pas une solution appropriée à leur situation précaire. Il serait plutôt préférable de renforcer en amont les systèmes existants : permettre l’accès aux soins pour tous, multiplier les systèmes de soutien, de prévention et d’accompagnement des jeunes filles et jeunes garçons dans les écoles ainsi que des femmes précarisées et/ou victimes de violence.

Alors, continuons-nous à culpabiliser les femmes précaires ou essayons-nous de leur offrir une aide, la compréhension, un dispositif… le choix ?14

 


1 Ringelheim et Scheenaerts (2017). Une « boite à bébé » ouvre à Evere. [Reportage en ligne]. Consulté à l’adresse : https://bx1.be/communes/evere/boite-a-bebe-ouvre-a-evere/

2 ASBL qui lutte contre la pauvreté depuis 2010, porte-parole auprès du gouvernement et dans la société concernant les questions de pauvreté

3 Belga (2020). La première boite à bébé bruxelloise autorisée à Evere. Consulté à l’adresse : https://www.rtbf.be/info/regions/detail_la-premiere-boite-a-bebe-bruxelloise-autorisee-a-evere?id=10580326

4 Belga (2021). Evere refuse « la boîte à bébé » de l’ASBL Corvia pour des motifs légaux et urbanistiques. Consulté à l’adresse : https://www.rtbf.be/info/regions/detail_evere-refuse-la-boite-a-bebe-de-l-asbl-corvia-pour-des-motifs-legaux-et-urbanistiques?id=1070399

5 Verdier, P. (2012). Le point de vue historique, du Moyen Âge aux années 1970. Journal du droit des jeunes, 311, 35-43. doi : https://doi.org/10.3917/jdj.311.0035

6 Konbini News (2021). En Belgique, une boîte à bébés pour déposer son enfant anonymement. Le speech de Katrin. [Reportage en ligne]. Consulté à l’adresse : https://www.dailymotion.com/video/x82mwd7

7 Lestrade, B. (2014). Actualité sociale, juillet 2014. Allemagne d'aujourd'hui, 209, 42-48. doi : https://doi.org/10.3917/all.209.0042

8 Cyrulnik, B. (1989). Sous le signe du lien. Paris : Hachette Littératures.

9Voir 6

10 Ancian, J. (2021). Grossesses sous contraintes: L’invisibilisation des inégalités sociales de santé dans les procès de néonaticide. Actes de la recherche en sciences sociales, 236-237, 40-53. doi : https://doi.org/10.3917/arss.236.0040

11 Terme de Ancian au sein de son article « Grossesses sous contraintes: L’invisibilisation des inégalités sociales de santé dans les procès de néonaticide » (2021)

12 Voir 10

13 Voir 11

14 Analyse rédigée par Amandine Bernier

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants