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Analyse 2022-02

Nous avons regardé le film belge « #salepute »1(2021) réalisé par Florence Hainaut et Myriam Leroy, deux journalistes belges. Ce film dénonce le cyberharcèlement sexiste. Au sein de ce documentaire, les femmes témoignent de ce mouvement de haine dont elles sont victimes. En effet, nous apprenons au sein du documentaire que les femmes sont 27 fois plus susceptibles que les hommes d’être harcelées via internet2. Nous nous sommes inspirées de ce film pour écrire une analyse.

Avez-vous déjà ?

 Avez-vous déjà aimé une vidéo qui humilie une femme ? Commenté un post Facebook en insinuant à une telle de se taire, d’aller se rhabiller ou encore d’aller se faire violer ?

 Lorsqu’un homme écrit un commentaire sexiste,  il participe à renforcer un système violent qui touchera sa mère, sa femme, sa sœur ou sa fille. En effet, 73% des femmes à travers le monde ont déjà été confrontées, d'une manière ou d'une autre, à des violences en ligne ou en ont été victimes3. Nous pourrions penser que ces femmes l’ont bien cherché, que les femmes de notre entourage ne sont pas concernées. Alors qu’en fait, les femmes subissent des violences car elles osent s’exprimer au même titre que les hommes. Alors, souhaitons-nous réellement censurer les femmes qui nous sont chères ?

 La cyberviolence sexiste, c’est quoi ?

 L’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes propose deux définitions du sexisme4 :

La cyberviolence est un acte intentionnel opéré par un individu ou plusieurs, au moyen de formes de communications électroniques, de façon répétée à l’encontre d’une personne ou plus. Il consiste à envoyer des messages ou publier des propos insultants, dénigrants, voire menaçants.

Elle peut alors prendre plusieurs formes :

 Quel genre de femme subit du cyberharcèlement ?

 Toutes les femmes peuvent subir du cyberharcèlement. Peu importe leur profession, leur apparence ou leur appartenance religieuse, politique, ethnique. Et encore, la violence s’accentue lorsqu’une femme est racisée. Un tweet sur quinze mentionnant une femme blanche est abusif. Un tweet sur dix mentionnant une femme noire est abusif8. Mais il n’y a pas que les femmes, il y a aussi les minorités de genre. En fait, toute personne allant à l’encontre des normes structurant le modèle social blanc, hétéronormatif9 et cisnormatif10. En effet, l’expression de genre d’une personne, un handicap visible, l’orientation sexuelle, l’apparence ethnique ou religieuse peuvent mener à recevoir du harcèlement11 car elles et ils transgressent les normes sociales et de genres véhiculées par le système patriarcal. Comme l’ont dit Cameron et Kulick, les sarcasmes méprisants et paroles humiliantes ont pour ambition de faire respecter les règles sexuelles, dans le but de reproduire et réimposer l’ordre12.

Qui sont ceux qui harcèlent les femmes sur internet, et pourquoi ?

 Fabienne Baider, linguiste, écrit au sein de son article « Le discours de haine dissimulé : le mépris pour humilier » (2019) que l’anonymat procure un environnement qui nous semble moins soumis à la loi. Internet représente alors un parfait espace pour y véhiculer des discours humiliants et méprisants. C’est ce qu’elle nomme « discours de haine dissimulée. » Elle évoque également l’émotion du « mépris » comme « la relation instaurée par le mépris est celle déséquilibrée entre une personne évaluée comme ayant une faible valeur relationnelle intrinsèque  et une autre qui s’arroge ce pouvoir «immense» de pratiquer une telle discrimination éthique sur autrui. »13

 Selon Bruno Humbeeck14, le mépris est une violence perverse qui se matérialise par le dénigrement et le discrédit. Le dénigrement peut apparaître sous la forme de la dérision et de l’ironie, permettant ainsi aux harceleurs de dénigrer publiquement l’autre, tout en camouflant leur charge agressive. Alors que lorsque les répliques se répètent, le mépris s’installe envers tous et toutes qui sourient de la situation, et cautionnent la mise à l’écart du harcelé. Car l’autre « n’a rien fait, ce n’était qu’une petite phrase drôle, rien de grave ». Le discrédit peut prendre la forme du sarcasme qui détruit l’autre à coup de moqueries. En fait, l’objectif du mépris est l’exclusion. Il est tout autant destructeur qu’une insulte.

 Bruno Humbeeck15 évoque que généralement, les émotions se manifestent sur le visage de celui qui les éprouve. Alors, lorsqu’on est sur internet, ne pas être confronté au visage de l’autre aide la charge violente à se déployer sans limite. Aussi, il ajoute que sur internet, nous ne percevons pas de manière directe les dommages causés par l’agression. Alors, la charge agressive se manifeste sans mesure.

 Renaud Maes, sociologue, raconte dans le film « #salepute » que, généralement, ce sont des hommes qui agressent sur internet. Ils viennent de milieux socio-économiquement plus favorisés, issus de la classe moyenne ou moyenne supérieure. Cela révèle qu’il existe une violence structurelle dans nos sociétés émanant de dominations structurelles.

Myriam Leroy témoigne elle aussi dans le film pour nous dire que le harceleur peut être n’importe qui : « le harceleur le plus coriace en ce qui me concerne travaille dans le secteur bancaire, celui de Florence écrit des blagues pour la radio. Dans le cortège de ceux qui nous traquent, nous insultent et nous menacent, il y a aussi des avocats, des journalistes, des informaticiens… Ils sont parfois père de famille. Ce ne sont pas des dingues, ce ne sont pas des idiots. Ils ne sont pas des anomalies du système, ils sont le système. »

Le système qu’elle dénonce, c’est le patriarcat, un concept qui date déjà de 1970. Le patriarcat est un système omniprésent et évolutif de structures et de relations sociales dans lequel les hommes dominent et oppressent les femmes16. Les femmes auraient des dons soi-disant naturels pour effectuer des tâches « féminines » comme le ménage, la cuisine, le soin aux personnes, aux enfants et aux ainés. Même professionnalisées, ces tâches sont mal rémunérées. Puis, les activités masculines sont toujours plus valorisées, rémunérées et majoritairement aux mains des hommes. Alors, heureusement, il existe des femmes au pouvoir, des scientifiques, des cheffes d’entreprises, des rédactrices en chef, des professeures d’Université. Malheureusement, elles restent minoritaires17.

 L’objectif du système patriarcal, c’est qu’elles le restent. Les féministes dérangent, elles râlent. Si une femme souhaite circuler dans la rue la nuit, qu’elle marche. Si elle souhaite poursuivre des études de mathématiques, qu’elle s’inscrive dans ce cursus. Si elle souhaite évoluer comme cheffe d’entreprise, qu’elle prouve être à la hauteur et qu’elle le devienne. N’est-ce pas si simple ?

 La réalité est que les femmes rencontrent des obstacles que les hommes ne subissent pas. En effet, celle qui choisira de marcher la nuit se fera poursuivre, harceler, agresser, violer. Celle qui s’inscrira dans des études de mathématiques recevra des remarques désobligeantes et sexistes, lui rappelant qu’elle n’est pas à sa place, et qu’elle est plutôt sexy pour être dans des études d’hommes. Celle qui essayera d’obtenir une position plus élevée dans son entreprise ne sera pas écoutée en réunion, ou pire, moquée. Puis, lorsqu’elle deviendra cheffe, elle entendra des murmures énonçant que sa réussite doit certainement être liée à « un passage sous le bureau ».

 Françoise Héritier, anthropologue, répond à l’existence de ce patriarcat « naturel » : « le modèle archaïque masculin est universel mais pas éternel. L’humanité actuelle procède des mêmes souches qui ont donné aux mêmes questions les mêmes réponses. Mais c’est un modèle créé par l’esprit. Il n’est pas là par nécessité biologique. Il peut donc être remplacé. »18

 L’espace public et les femmes

 Dans le contexte du système patriarcal, les femmes sont victimes de ces rapports de domination entre genres. Les femmes subissent une variété d’abus de la part des hommes : insultes, violences psychologiques, physiques et économiques, viols, féminicides, politiques restrictives en matière d’avortement…19 C’est ce que nous pouvons appeler « le continuum de violence ». Le cyberharcèlement en est un parmi tant d’autres. Il est du harcèlement sexiste dans « l’espace public hors ligne20. »

 Comme l’a dit Ketsia Mutombo, présidente de l’association française « Féministes contre le cyberharcèlement21» au sein du documentaire, Internet fait partie de l’espace public. L’espace public n’est pas fait pour les femmes, ni les groupes minorés. Ces personnes doivent rester dans l’espace domestique, familial, relationnel, ne surtout pas prendre de la place.

 D’ailleurs, Laurence Rosier, linguistique belge,  ajoute dans le documentaire que la femme se doit de respecter la parole qui est attendue d’elle. Elle doit être polie, en retenue. Pourtant, Pauline Harmange, autrice française, nous explique que même lorsqu’elle discute calmement et source ses dires, elle reçoit encore des insultes. L’objectif est toujours le même : faire taire les femmes.

 Aussi, Ketsia Mutombo explique que l’espace numérique permet à des personnes que nous n’entendions pas il y a quelques années d’obtenir aujourd’hui de grandes audiences. Car auparavant, pour obtenir le droit de parole, il était nécessaire de passer par la presse écrite ou par la télévision. Ces espaces d’expression nécessitaient une grande formation académique, des relations ou de la notoriété. Finalement, la parole entendue était très peu représentative des questionnements réels au sein de la société : des luttes, des préoccupations actuelles, populaires… Et c’est ce pouvoir de parole que les auteurs de cyberviolence tentent de combattre car ils ne supportent pas qu’une personne qu’ils considèrent comme « inférieure » dispose de pouvoir ou de droit à la voix.

Conséquences sur les femmes

 Les conséquences des violences en ligne ont de réelles répercussions sur les femmes. Il est indispensable que la cyberviolence soit prise au sérieux. En effet, 76% des victimes de violences en ligne ont modifié leur manière d’utiliser internet. 32% d’entre elles ont cessé d’y exprimer leur opinion22.

 Les insultes, menaces et discours de haine reçus par internet sont très souvent minimisés car internet n’est pas considéré comme la vraie vie, mais un monde à part. Pourtant, le cyberharcèlement a déjà mené au suicide. Nous pouvons penser à la youtubeuse Mavachou, victime depuis des années de cyberharcèlement ayant mis fin à ses jours en décembre 2021. Le cyberharcèlement, au même titre que le harcèlement en face à face est tout autant destructeur. Selon Jean-Pierre Le Goff, sociologue « il est possible de détruire quelqu’un juste avec des mots, des regards, des sous-entendus : cela se nomme violence perverse ou harcèlement moral. Un processus inconscient de destruction psychologique, constitué d’agissements hostiles évidents ou cachés, d’un ou de plusieurs individus, sur un individu désigné, souffre-douleur, processus réel de destruction morale, qui peut conduire à la maladie mentale ou au suicide23. »

 Solutions, quelques idées 

Informer, sensibiliser, responsabiliser, ce qui veut dire, en autres :

  La prise en charge des plateformes dont notamment :

Un engagement de la part des institutions de différents ordres comme :

 Et vous, quelles solutions vous proposeriez ?25

  


 1 Leroy M & Hainaut F. (2021). « #salepute » [Film documentaire]. Belgique : RTBF, Proximus, Arte.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Michielsens M & Angioletti W. (2009). « Définition du concept « sexisme ». » Belgique : Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.

5 Lady Dylan. (2017). « Je veux comprendre… le slut-shaming » Consulté à l’adresse https://www.madmoizelle.com/slut-shaming-115244

6 Fédération des Centres de Planning familial des FPS. (2020). « Campagne 2020 : Le harcèlement sexiste virtuel, c’est RÉEL ! ». Consulté à l’adresse https://www.planningsfps.be/campagne-2020-le-harcelement-sexiste-virtuel-cest-reel/#:~:text=Il%20s'agit%20d'un,%2C%20selfies%2C%20vidéos%2C%20etc

7 Stassin B. (2016) « Cyberviolence & Cyberharcèlement ». Consulté à l’adresse https://eviolence.hypotheses.org/187

8 Leroy M & Hainaut F. (2021). « #salepute » [Film documentaire]. Belgique : RTBF, Proximus, Arte.

9 Adjectif qui qualifie une personne qui pense que l'hétérosexualité est la seule et unique orientation sexuelle possible.

10 Type d’identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond au genre assigné à sa naissance

11 Gayet-Viaud, C. (2021). « Le harcèlement de rue et la thèse du continuum des violences. » Déviance et Société, 45, 59-90

12 Baider, F. (2019). « Le discours de haine dissimulée : le mépris pour humilier ». Déviance et Société, 43, 359-387.

13 Dilmaç, J. & Kocadal, Ö. (2019). « Prévenir le cyberharcèlement en France et au Royaume-Uni : une tâche impossible ?. » Déviance et Société, 43, 389-419.

14 Humbeeck B. (2019). « Pour en finir avec le harcèlement : A l'école, au travail, sur le net. ». Éditions Odile Jacob. France : Paris.

15 Ibid.

16 Tremblay M. (2017). « Le système patriarcal à la base des inégalités entre les sexes. Recension de « Theorizing Patriarchy », par Sylvia Walby ». Consulté à l’adresse https://sisyphe.org/spip.php?article1080

17 Van Enis N. (2020). « Le patriarcat, une idéologie socialement et historiquement construite ». Consulté à l’adresse https://www.calliege.be/salut-fraternite/109/le-patriarcat-une-ideologie-socialement-et-historiquement-construite/

18 Ibid.

19Femmes prévoyantes - Belgique. (2020). « La lutte contre le harcèlement sexiste en ligne : enjeu féministe pour réduire la fracture numérique ! » Consulté à l’adresse https://www.femmesprevoyantes.be/wp-content/uploads/2021/02/Analyse2021-Harcelement-sexiste-en-ligne.pdf

20 Ibid.

21 Mutombo K, Achargui W, Benamrouche J.S, Salmona L & Samake C.(2016). « Féministes contre le cyberharcèlement ». Consulté à l’adresse https://www.vscyberh.org/a-propos

22 Leroy M & Hainaut F. (2021). « #salepute » [Film documentaire]. Belgique : RTBF, Proximus, Arte.

23 Le Goff, J. (2003). « Que veut dire le harcèlement moral : I. Genèse d'un syndrome. » Le Débat, 123, 141-161. 

24 Mutombo K, Achargui W, Benamrouche J.S, Salmona L & Samake C.(2016). « Féministes contre le cyberharcèlement ». Consulté à l’adresse https://www.vscyberh.org/a-propos

25 Analyse rédigée par Amandine Bernier 

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