Analyse 2024-01

Fonctionnant sur base du volontariat, les familles d’accueil tournent au maximum de leur capacité. Malgré les campagnes de recrutement, la FWB peine à attirer de nouveaux candidats. Pour ce faire, elle ambitionne de professionnaliser le secteur avec une rémunération à la clef. Cela se fait déjà en France, en Flandre et aux Pays-Bas, alors pourquoi pas chez nous ? Quels sont les avantages et inconvénients d’une telle pratique ? Être famille d’accueil peut-il devenir un métier ? Couples et Familles examine ces questions.

Depuis des années, l’Aide à la Jeunesse alerte sur l’augmentation alarmante du nombre d’enfants confrontés aux négligences, aux violences conjugales ou, dans le pire des cas, aux maltraitances. L’AJ peine depuis longtemps à placer ces enfants dans un environnement sain, idéalement une famille d’accueil, mais on en manque. Les institutions sont pleines et les enfants restants « à placer » risquent l’hospitalisation sociale en pédiatrie. Le secteur frise le burn-out généralisé et aspire à « un renfort conséquent en termes de recrutement et surtout la création de places structurelles d’hébergement supplémentaires1 ». Les experts s’accordent pour dire que la vie en institution nuit sur le long terme au développement de l’enfant, alors les familles d’accueil sont de plus en plus prisées. Par ailleurs, la loi du 19 mars 2017 leur a reconnu un statut et a renforcé leur part d’autorité parentale2. Dans la foulée, la Flandre a été jusqu’à les professionnaliser.

En quoi consiste l’accueil d’enfants placés ?

Pour commencer, distinguons trois types d’accueil. Les accueils d’urgence surviennent en à peine quelques heures de délai, quand les parents sont dans l’incapacité totale de veiller sur l’enfant, et durent entre 15 et 45 jours. Les accueils à court terme durent entre 3 et 9 mois, le temps de travailler la relation parents-enfants tandis que l’enfant évolue dans un cadre familial plus stable. Dans les deux cas, le but est toujours le retour de l’enfant dans sa famille biologique, laquelle conserve d’ailleurs un droit de visite. Il existe encore l’accueil à long terme, durant 1 an et plus, mais au court duquel le retour de l’enfant dans sa famille d’origine est beaucoup plus incertain : à peine 1,6 % de ces enfants placés réintègrent leur famille, d’après une recherche de ULiège de 20193.

En Belgique, plus de 7000 enfants sont placés en institution ou en famille d’accueil, mais en 2023, « près de 10% d’entre eux n’ont pas obtenu de place en foyer d’accueil à long terme4 ». En dernier recours, ces enfants sont susceptibles d’être accueillis tant bien que mal par les hôpitaux, qui dénoncent une situation non adaptée aux besoins spécifiques des enfants placés, ils ne relèvent pas du médical et dépriment dans leurs locaux5. En 2022, sur 166 demandes de prise en charge d’enfants de 0 à 1 an enregistrées en FWB, seules 36 ont trouvé issue en famille d’accueil. Les 130 restants ont donc rejoint les pouponnières ou les services d’urgence6.

Comment devient-on famille d’accueil ?

Toute personne peut prétendre à devenir famille d’accueil, qu’elle soit isolée ou en couple, avec ou sans enfants, en famille recomposée, hétéro ou homosexuelle. L’important est d’être en mesure d’offrir un environnement stable à l’enfant accueilli. Toutefois, la contrainte de l’âge fera l’objet de concertations : il convient, par exemple, de ne pas placer un nouveau-né à long terme avec une personne déjà âgée. Enfin, toute personne domiciliée sous le toit d’accueil doit attester d’être en bonne santé, de bonnes mœurs et ne pas adhérer à une secte. L’accueillant doit s’exprimer en français et entamer un « trajet de préparation » de maximum 6 mois, composé de séances d’information et d’entretiens avec des intervenants sociaux et des psychologues. Il s’agit de vérifier l’aptitude des postulants à répondre aux besoins de l’enfant, la disponibilité, la flexibilité, l’étendue du réseau et les conditions de vie à domicile7. Dans la perspective d’une professionnalisation, il est fort à parier qu’une formation s’ajoute à ces critères.

Situation financière actuelle des familles d’accueil

Pour l’heure8, en FWB, les accueillants familiaux ne sont pas rémunérés mais peuvent, dans le cadre des accueils de long terme (un an et plus) bénéficier de subventions mensuelles9, exonérées fiscalement, « pour couvrir les besoins journaliers10 de l’enfant, certaines fois liées à sa santé ou sa scolarité11 ». Ce qui sous-entend qu’ils peuvent aussi ne pas recevoir ces subventions si l’autorité mandante le décide ; elle ne peut en aucun cas en octroyer si l’un des parents de l’enfant est domicilié avec la famille d’accueil. L’enfant est toujours considéré comme à charge du parent d’accueil. De ce fait, les avantages parafiscaux habituels peuvent être accordés, tels que les primes à la construction, l’accès au logement social, la déduction fiscale des frais de garde ou la réduction « famille nombreuse »12. En plus de ces subventions, il peut y avoir des remboursements en cas de « frais complémentaires et ponctuels ». Ces derniers peuvent aussi être octroyés aux accueillants qui ne bénéficient pas de subventions. Dans la pratique, un Service d’Accompagnement en Accueil Familial (SAAF) encadre les accueillants familiaux et sert d’intermédiaire financier. Mais il arrive que des accueillants n’en répondent pas, souvent quand l’enfant est placé dans sa propre famille.

En outre, dans le cadre des placements à court et long termes, l’enfant placé ouvre au parent d’accueil le droit aux allocations familiales13 et à toutes les majorations idoines, telles que le supplément pour orphelin14. Jusqu’en 2019, la Flandre proposait aux accueillants un supplément « d’allocation de placement familial ». Les enfants placés avant 2019 conservent ce régime15 , mais pour ceux placés après, c’est le « Groeipakket » qui prend effet : une allocation mensuelle de base fluctue en fonction des situations : les enfants placés à court et long termes ouvrent ainsi le droit aux allocations de soins, ceux qui fréquentent un milieu d’accueil et en sortent périodiquement ouvrent le droit aux allocations de garde d’enfants16. En pratique, la législation demeure complexe et nécessite le recours aux mutuelles et aux SAAF, pour s’y retrouver.

Perspectives professionnelles

En Flandre, les accueillants familiaux professionnels bénéficient de formations et sont rémunérés à hauteur de 3550€ bruts par mois « en début de carrière17». Belga ne précise pas si le montant varie en fonction du nombre d’enfants accueillis. La mise en œuvre d’un dispositif équivalent en FWB devrait être à l’ordre du jour dès après les prochaines élections18. Cela paraît peut-être bizarre de parler de « carrière » ou de « salaire brut » dans le cadre d’une famille d’accueil, mais il faudra s’y faire, car la demande est tellement forte19 que le secteur n’aurait pas d’autres choix que de se professionnaliser pour attirer les candidats.

En France, les accueillants familiaux doivent prester 60h de stage préparatoire deux mois avant le premier accueil, puis une formation en alternance de 240 heures dans un délai de 3 ans qui donne accès au diplôme d’État d’assistant familial ; lequel peut être complété par des spécialisations, par exemple sur les placements d’urgence20, 21. Là-bas, la profession existe depuis longtemps, sa reconnaissance et sa rémunération complète ont été l’objet de revendications depuis la fin des années 1970, pour aboutir à la loi du 12 juillet 1992 qui en fixe les modalités22.

Depuis lors, les acteurs du terrain ont eu l’occasion de faire le tour de la profession, qu’ils considèrent comme un « métier caché », exercé par des professionnels « qui n’existent pas23 » : bien connu pour ses aspects les plus difficiles, le secteur souffre potentiellement des mêmes maux que n’importe quel métier contemporain. En effet, depuis peu, on parle de certains aspects tabous, tels que le bien-être au travail, les relations avec l’employeur, les inégalités salariales24 ou le burn-out25. Selon une étude récente26, 16,5 % des assistants familiaux français se sentiraient insatisfaits au travail, en cause, un sentiment de solitude, l’impact sur la vie de famille ou le fait d’être mal payés. Mais des causes encore mal connues, comme les interruptions dans la garde de l’enfant, peuvent participer à un sentiment d’insatisfaction au travail27. Couples et Familles invite le groupe de travail qui se penchera sur la professionnalisation de l’accueil familial en FWB à suivre le débat actuel en France et à amorcer sa réflexion en connaissance de cause. Créer un nouveau métier, c’est aussi créer de nouvelles sources de frustrations. Malgré tout, il faut retenir de cette étude que la grande majorité des praticiens sont plutôt satisfaits de leur travail. Un nouveau métier, c’est aussi une nouvelle source d’émancipation28.

Perspectives solidaires

Cela dit, sur le principe, le métier de famille d’accueil n’existe-t-il pas déjà ? Le volontariat n’engage pas moins la responsabilité, la motivation. C’est peut-être même à travers lui qu’on distingue les personnes animées d’une vocation de celles appelées par l’appât du gain. Couples et Familles se demande si introduire l’argent dans l’équation ne risque pas d’attirer des personnes qui se sentiraient moins concernées par les valeurs qu’implique toute forme de parentalité, comme la solidarité et la bienveillance. Au Québec, on se posait les mêmes questions il y a une dizaine d’années. Là-bas, les accueillants sont rémunérés, mais vers 2015, une loi a étendu la rémunération aux proches quand ceux-ci deviennent famille d’accueil. Suite à cela, des dérives précises ont pu être observées : par exemple, une grand-mère s’arrangeait pour être reconnue famille d’accueil puis hébergeait en douce sa propre fille29.

L’accueil d’un enfant au sein de sa propre famille peut-il décemment être traité comme un métier et rétribué ? Ne devrait-ce pas être plutôt un devoir familial ? Mais la démarche québécoise visait à réduire les inégalités : si des grands-parents ne peuvent s’occuper de leur petit-enfant faute de moyens, la société doit-elle laisser cela sans réagir ? Non. Mais peut-être que les pouvoirs publics peuvent répondre à ce défaut par d’autres avantages : l’acquisition d’une voiture et d’un siège auto adaptés, le défraiement systématique des frais liés à l’enfant (plafonnés pour éviter les abus), des réductions et des gratuités dans les restaurants, les cinémas, les parcs..., l’accès au tarif social pour l’énergie, une intervention dans l’achat d’électroménager, etc. Ce serait une façon d’encourager à la construction d’une société basée sur la solidarité et non sur la reconnaissance salariale.

D’un autre côté, un nouveau métier pourrait permettre à certaines personnes demandeuses d’emploi, à l’aise avec cette activité, de réintégrer le circuit du travail, ou à d’autres de se reconvertir dans un métier qui correspond davantage à leurs besoins. Le volontariat ne doit pas cesser pour autant, car il est le ciment d’une société solidaire, mais les aides financières, tout aussi solidaires, sont les bienvenues. Le métier de famille d’accueil existe déjà, la question est comment veut-on le valoriser ? Au-delà de l’argent, l’acquisition de compétences spécifiques et leur reconnaissance, par exemple par l’obtention d’un diplôme, serait un bon début pour faire sortir de l’ombre ce métier méconnu. Mais qui dit métier dit aussi bien-être au travail, l’aspect familial ne doit pas occulter les réalités professionnelles, sources de tracas observables. Couples et Familles plaide ici pour une vision solidaire à tout point de vue30.

 


 

1 Marc Sirlereau, « "On bricole, on trimballe les enfants" : le secteur de l’aide à la jeunesse, en ébullition depuis des mois, manifeste ce matin à Bruxelles », dans www.rtbf.be, 28/05/2023 (page consultée le 06/03/2024).

2 « Loi du 19 mars 2017 modifiant la législation en vue de l'instauration d'un statut pour les accueillants familiaux », publiée le 05/04/2017. En ligne sur etaamb.openjustice.be (page consultée le 07/03/2024).

3 Julie Blondiau, interviewée par Le Ligueur, « On ne cherche pas des familles parfaites, on cherche des familles solides », dans Le Ligueur, 2024/1 (mensuel), p. 18-19.

4 Fanny Guéret, « Comment se construisent les bébés retirés de leur famille ? », dans www.rtbf.be, 26/02/2024 (page consultée le 06/03/2024).

5 Dr. Adrien Cailleaux, interviewé par Corentin Laurent, « Mons : le secteur de l’aide à la jeunesse crie son manque de moyens », dans www.rtbf.be, 20/04/2023 (page consultée le 06/03/2024).

6 David Courier, et al., « Fédération Wallonie-Bruxelles : environ 130 bébés de 0 à 1 an en attente d’une famille d’accueil », dans bx1.be, 26/12/2022 (page consultée le 06/03/2024).

7 Fédération des Services d’Accompagnement en Accueil Familial, « Procédures », dans www.familledaccueil.be, s. d. (page consultée le 06/03/2024).

8 Nous publions cette analyse en mars 2024.

9 Fixées par « Arrêté du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles relatif aux subventions et interventions pour frais individuels liés à la prise en charge de l’enfant (suivi par les 12 annexes) ». Tous les montants indiqués le sont à l’index du 1/03/2020. Les montants journaliers sont détaillés sur le site « Mes aides financières » dans la rubrique « Allocations familiales ».

10 Soit les frais d’alimentation, d’habillement, de blanchisserie, frais scolaires, de classes de dépaysement, de loisirs, frais pharmaceutiques et surveillance médicale. Le parent d’accueil est en outre tenu de couvrir l’enfant placé via la mutuelle de son choix, en ce compris une assurance complémentaire, et de veiller au suivi médical : vaccination et traitements spécifiques requis : logopédie, psychothérapie…

11 FSAAF, op. cit. : 7.

12 Il y a aussi la réduction du précompte immobilier et les bourses d’études.

13 L’autorité mandante peut aussi décider que l’allocation va au parent biologique ou sera placée sur un compte épargne de l’enfant.

14 En outre, il existe beaucoup d’autres situations qui exigent une répartition équitable des allocations entre différentes intervenants, comme les institutions : le détail de ces variations est exposé sur le portail de l’Aide à la Jeunesse, dans la rubrique « Service de l’administration » à l’article « Service des allocations familiales ».

15 KidsLife Wallonie, « Allocation de placement familial », dans www.kidslife.be, s. d. (page consultée le 06/03/2024).

16 Liantis, « Groeipakket : le nouveau régime d’allocations familiales en Flandre », dans www.liantis.be, s. d. (page consultée le 06/03/2024).

17 Belga, « Aide à la jeunesse : la FWB envisage de recourir à des familles d’accueil professionnelles », dans bx1.be, 07/02/2024 (page consultée le 06/03/2024).

18  Ibid.

19 « Un groupe de travail devrait être mis en place dans les prochains jours par le gouvernement afin de définir les conditions du lancement d’un projet-pilote en ce sens en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le nombre de familles d’accueil qui seront créées dans le cadre de ce projet n’a pas encore été arrêté, "mais cela n’aura de sens que si l’on atteint une taille critique", selon le cabinet de la ministre de la Jeunesse, Françoise Bertieaux (MR). » [Belga, op. cit. : 17]

20 Office national d’information sur les enseignements et les professions, « Diplôme d’État d’assistant familial », dans www.onisep.fr, s. d. (page consultée le 06/03/2024).

21 Fondation Action Enfance, « Assistant familial et famille d’accueil : comment ça marche ? », dans www.actionenfance.org, 24/07/2023 (page consultée le 06/03/2024).

22 Union fédérative nationale des familles d’accueil et assistants maternels, « Historique de la profession », dans ufnafaam.org, 04/11/2014 (page consultée le 07/03/2024).

23 Elsa Gambin, « "On n’existe pas, c’est un métier caché" : vers une pénurie de familles d’accueil pour les enfants placés », dans basta.media, 13/03/2023 (page consulté le 08/03/2024)

24 En France, les assistants familiaux ont le choix entre deux catégories d’employeurs : les associations ou le Conseil départemental.

25 Sur ce sujet, voyez notre analyse « Le burn-out parental, fléau de notre époque ? ».

26 Nathalie Chapon, « Baromètre national de la qualité de vie et des conditions de travail des assistants familiaux », Laboratoire de psychologie de Besançon, 2023. En ligne sur : https://hal.science (page consultée le 07/03/2024).

27 Nathalie Chapon, « Famille d’accueil : une profession dans laquelle on est heureux ? », dans theconversation.com, 05/04/2023 (page consultée le 07/03/2024).

28 L’étude française pilotée par Nathalie Chapon nous apprend aussi que les reconversions professionnelles vers le métier d’assistant familial sont en hausse. Ce qui montre que ce type de métier peut constituer une valeur refuge.

29 Katia Gagnon, « Familles d'accueil : la prochaine rémunération bonifiée fait craindre des "dérives" », dans www.lapresse.ca, 19/01/2015 (page consultée le 07/03/2024).

30 Analyse rédigée par Olivier Monseur.

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