Analyse 2008/01

Comment les adultes peuvent-ils réagir face à des jeunes aux comportements difficiles ? Voici quelques réflexions et quelques pistes au départ d’une expérience en institution. Elles proposent un autre regard sur ces jeunes et seront utiles aux parents comme aux éducateurs professionnels.


Face à des jeunes au comportement difficile [1] , l’objectif principal est de garder le contact, de maintenir une relation, quoi qu’il arrive. Pour cela, il est essentiel d’aller rencontrer ces jeunes sur des terrains différents de ceux qu’ils connaissent bien. Leur quotidien, c’est la violence de la rue, un père qui leur tourne le dos, une mère qui gueule... Si on les aborde sur ce terrain, ils connaissent les réponses à donner pour mettre l’interlocuteur hors de lui, le faire « grimper l’autre au cocotier ». Il faut donc chercher des terrains qui vont les surprendre, de manière à pouvoir dire quelque chose.


L’adulte n’est pas seulement acteur dans la solution


Il n’y a pas de solution miracle. S’il y en avait, ça se saurait. Mais il est important de prendre conscience qu’il n’y a pas de solution en dehors de nous. Il ne suffit pas de dire que le jeune doit changer, arrêter ses conneries. Je suis acteur dans le problème et acteur dans la solution, alors qu’on a une fâcheuse tendance à croire qu’on est acteur que dans la solution. Ce n’est pas qu’il faille se culpabiliser, mais en fonction de ce que nous sommes, nous interagissons avec les autres d’une certaine manière. Ce n’est donc pas le jeune tout seul qui a un problème, c’est le jeune avec moi. Et si on veut que la relation soit différente, il faut qu’on travaille sur les deux pôles : l’autre et moi. On peut comparer la relation à une danse. Quand je danse avec quelqu’un, j’ai intérêt à bien placer les pieds si je ne veux pas qu’on marche dessus. Mieux je les mets et plus j’ai de chance que ma partenaire les place bien également. Il est important de prendre conscience que l’on peut avoir une action directe sur son propre pied, mais aucune sur celui de l’autre. Cette notion est la clé de voûte de tout. Je suis acteur dans le changement de l’autre, mon action va faire que l’autre va bouger ou pas. Dans les problèmes que l’on rencontre avec ces jeunes très difficiles, on se met très souvent dans une position de donneur de leçon : « Tais-toi, c’est moi qui ai raison ! ». Même si j’ai raison, pour que l’autre puisse l’entendre, il va falloir que je le dise d’une certaine manière, que j’utilise les bons mots, au bon moment. Il y a des facteurs dont je suis le maître, qui vont faire que les choses vont évoluer d’une manière ou d’une autre.


Les jeunes parlent au travers de leur violence


Une deuxième chose me parait importante : l’essentiel de ce que j’ai appris, ce sont les jeunes qui me l’ont appris. Au début de mon métier d’éducateur, je croyais comme tout le monde que j’allais tout arranger, que mon enthousiasme allait faire des miracles. Et puis je me suis trouvé devant des jeunes qui m’envoyaient au diable. Je me suis donc mis à réfléchir et je me suis rendu compte que les jeunes eux-mêmes, à travers leurs actes désagréables, nous disaient quelque chose de leurs souffrances, de leurs difficultés, de leur mal être. Mais ils le disent à coups d’insultes ou de coups de poing. Face à cela, on n’a pas nécessairement envie d’aller voir ce que cela cache. Ces jeunes-là sont particulièrement doués pour le caché, ils ont des compétences spéciales pour cacher leurs compétences. C’est aux éducateurs à bien regarder et écouter, pour aller au-delà de ce qu’ils montrent et de ce qu’ils disent. Pour cela, il faut se positionner par rapport aux jeunes plutôt que par rapport à soi.


Quand un jeune me traite de « fils de pute », ou bien je réagis fort en disant « On ne me traite pas de fils de pute ! ». Ou bien je me demande pourquoi il me traite de fils de pute, quel est le problème qui le pousse à insulter les gens. Et je me positionne différemment. Je lui laisse déjà la propriété de son problème. Moi, je n’ai pas directement de problème avec les insultes : elles appartiennent à ceux qui insultent. C’est intéressant de se dire cela parce que cela permet de ne pas aborder ce jeune avec la même rage intérieure. Quand le jeune voit qu’on refuse la dynamique de l’affrontement, il est désarçonné, parce qu’il n’atteint pas l’objectif qu’il cherchait.


Ne pas enfermer le jeune dans son comportement négatif


On parle de « jeunes aux comportements difficiles » et non pas « jeunes difficiles ». C’est très différent. Si on dit à un jeune « Tu es violent », on lui laisse très peu de chances d’être autre chose : il est violent et c’est peut-être pour la vie. Pourtant, ce jeune n’est pas violent 24 heures sur 24. Si on met bout à bout tous les moments où il est agressif ou violent, cela fait peut-être une heure sur la journée. Il y a tout le reste. Mais son comportement fait que l’on a tendance à le décrire uniquement par cette étiquette. Une étiquette qui colle généralement très fort. Par contre, si l’on parle de jeune aux comportements difficiles, on peut entendre qu’il a aussi des comportements moins difficiles. Cela permet aussi de faire la différence entre les actes et la personne. Si on veut aider ces jeunes, il est important qu’ils puissent appréhender leurs comportements comme des choses qu’ils font et non qu’ils sont. Cela leur laisse une chance de changer, d’apprendre autre chose, d’agir autrement.


Une pédagogie du renforcement positif


En tant qu’adultes, il est essentiel de les mette en situation de vivre des choses positives et constructives et de les valoriser autant que nous ne valorisons les comportements négatifs. On possède toute une panoplie de réactions aux comportements négatifs, mais on a tendance à ne pas relever les comportements constructifs et à trouver cela normal. Il faudrait être tout aussi inventif pour réagir aux comportements positifs. Bien sûr, quand on est devant des jeunes qui nous agressent, on a du mal à chercher le positif. La pédagogie que j’essaie de défendre est une pédagogie de renforcement positif. Il faut se battre pour mettre en lumière les choses positives même s’il y en a quantité d’autres qui ne vont pas, pour voir que tel jeune a bien fait la vaisselle, sans se battre avec personne. Ces attitudes positives sont intéressantes à relever, parce que ce sont des leviers positifs que l’on va pouvoir utiliser. Sans ces leviers-là, il n’y a pas d’autre solution que de continuer sur le mode de l’affrontement.


Voici une anecdote éclairante. Dans une institution, l’éducateur part à la piscine avec son groupe un après-midi. Les 7 ou 8 jeunes sont dans la camionnette. Deux jeunes commencent à se battre au point qu’il doit arrêter le véhicule sur un route à grande circulation pour intervenir. C’est stressant, mais il calme les choses et va à la piscine. Au retour, il doit de nouveau s’arrêter pour les deux mêmes jeunes. Et quand je le croise dans l’institution, je lui demande : « Comment ça va ? ». Il lève les bras au ciel en me disant : « Mal ! Un tel à été épouvantable, il s’est battu. Il faudrait le sanctionner et le priver du match de foot auquel il devait assister ce soir ». Et puis je lui demande : « Et à la piscine, ça s’est bien passé ? ». Coup de chance, il avait été impeccable. En raison de l’évènement et du stress qu’il avait vécu, l’éducateur avait complètement occulté le comportement du jeune à la piscine. Si on veut aider ce jeune qui a un réel problème de violence, il faut aller le chercher sur un terrain où il a moins l’habitude qu’on aille le chercher. Et ce terrain, c’est les choses constructives qu’il sait faire. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas sanctionner son attitude violente dans la camionnette. Renforcer positivement ne veut pas dire que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». S’il y a des problèmes, on s’efforce de gérer les problèmes. Mais il y a aussi des choses constructives et positives, que l’on peut utiliser comme levier pour faire comprendre au jeune qu’il n’est pas seulement un gars qui sait cogner. Il sait aussi faire d’autres choses. Il ne le sait peut-être pas. On lui a peut-être tellement dit que c’était un violent, un bon à rien, un nul qui finirait en prison... qu’il ne peut plus rien faire d’autre que de suivre cette voie. Il réagira peut-être par un « T’es qui toi, pour me dire ça ? T’es pas mon père ! ». Dans ce cas, je lui réponds : « Je ne suis pas ton père, mais ça n’empêche pas que je puisse te dire de bonnes choses ! ». En général, ils ne savent pas trop que répondre, mais on garde le contact et on pourra peut-être aller plus loin le lendemain.


Il y a quelque chose de bon en chacun


Deux postulats sont essentiels pour pouvoir réagir et réfléchir dans cette une optique de renforcement positif. Le premier postulat, c’est de croire qu’il y a quelque chose de bon en chacun. En général, tout le monde est d’accord avec ça. Mais quand on demande s’il y a quelque chose de bon en un Dutroux, cela devient plus difficile. Personnellement, je veux croire qu’il y a quelque chose de bon chez chacun, y compris chez Dutroux. Cela n’empêchera pas Dutroux de rester en prison. On est d’accord au moins sur ça. N’empêche, est-il possible de regarder quelque chose de constructif chez ce gars-là ? Il n’a pas fait que de tuer des enfants. Il a aimé une femme, à sa manière sans doute, et il a eu deux enfants. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est déjà ça. Si je devais travailler avec Dutroux, j’irais chercher ce levier-là. Parce que si on n’envisage que les atrocités, il n’y a qu’une chose à faire : le peloton d’exécution et on n’en parle plus. Comment voulez-vous aider des jeunes aux comportements difficiles, qui mettent certaines familles sous pression par la violence ou la drogue, si on ne veut pas croire qu’il y a malgré tout de bonnes choses chez eux ? Cela fait 30 ans que je travaille avec des jeunes et je n’en ai pas encore rencontré un seul qui n’avait pas un levier positif. Parfois, c’est difficile, il faut chercher, il faut se mettre à plusieurs, mais on trouve.


Eduquer rime avec aimer


Deuxième postulat : il n’y a pas d’éducation possible sans amour. C’est délicat de parler d’amour des enfants dans une institution. Pourtant, comment peut-on grandir si on ne se sent pas aimé ? C’est impossible. Pourquoi les enfants vont-ils à l’école ? Pour que leurs parents soient fiers d’eux, pour faire plaisir à leurs parents. Si les enfants ne sentent pas qu’on les aime, ils ne grandissent pas, ou ils ne grandissent pas bien. Quand on se trouve face à des jeunes qui ont des comportements difficiles qui nous ont insulté, agressé, qui ont volé dans notre porte-monnaie, il n’est pas simple de leur montrer qu’on les aime. On a d’abord envie de se mettre en rogne. Pourtant, c’est essentiel. Certes, on n’aime pas un jeune de la même manière si l’on son parent, son enseignant ou son éducateur. Mais cela n’empêche pas de le faire tout en restant à sa place.


Une fermeté chaleureuse


Pour rester dans cette pédagogie du renforcement positif, il y a un petit concept que j’ai appelé la « fermeté chaleureuse ». C’est cette capacité qu’il faudrait avoir pour pouvoir dire « stop » et « je t’aime bien » en même temps. Souvent, on dit stop et on engueule, on punit, et on oublie de dire « je t’aime bien ». Quand on est parent, on estime qu’il est évident que l’on aime ses enfants, qu’il n’y a pas besoin de le leur dire. Pourtant, c’est important de le dire, surtout quand c’est difficile. Et on peut dire que c’est parce qu’on l’aime bien que l’on se fâche. Ils doivent entendre qu’on les aime bien. Mais il faut aussi garder le stop. Eduquer, ce n’est pas laisser tout faire. Les enfants ont besoin de venir se heurter à des murs. S’ils peuvent toujours passer à travers, ils iront voir plus loin où est le mur. Si on met des règles à la maison, si on dit qu’on ne met pas ses pieds sur le fauteuil, il n’y a pas des moments où on peut les mettre et des moments où on ne peut pas les mettre. Sinon, le jeune ne peut pas s’y retrouver. D’où l’importance de réfléchir à la règle pour qu’elle ne soit pas idiote ou exagérée, parce qu’alors on ne pourra de toute façon pas la tenir. Non, c’est non !


Ne pas prendre pour soi


Autre chose importante et difficile : ne pas prendre pour soi. Avec tout ce que les enfants et les jeunes nous envoient à la tête, c’est difficile. Pourtant, moins on prendra pour soi et mieux on pourra répondre. Parce qu’on réagira avec ses méninges et pas seulement avec son affectif. Tant que je réponds avec mon cÅ“ur, même si c’est de la colère, je risque de dire ou de faire des choses que je regretterai par la suite. Si on donne une gifle dans un accès de colère, on peut toujours aller s’excuser après. Mais si on peut éviter la gifle, c’est encore mieux. Ne pas prendre sur soi, c’est aussi laisser la propriété du problème au jeune. C’est le jeune qui a un problème avec la violence, avec la drogue, avec ceci ou cela. C’est lui qui a le comportement à problème, ce n’est pas moi. Peut-être que j’ai joué un rôle dans cette histoire, d’une manière ou d’une autre, mais c’est quand même lui qui a le problème. Quand on peut déjà réfléchir comme ça, on se stresse moins et on est plus disponible pour chercher des solutions.


Voir la bouteille à moitié pleine


Autre chose importante : voir la bouteille à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide. Ces jeunes sont tous capables de faire plein de choses intéressantes. Allez à la découverte de cela. Voyez ce qu’ils savent faire. Qu’il ne range jamais sa chambre, on le sait ! Par contre, hier il a fait la vaisselle. Souvent, on réagit en disant : « Tu as fais la vaisselle hier soir, c’est bien, mais il faudrait aller ranger ta chambre ! ». Vous croyez qu’il va encore faire la vaisselle demain ? Chacun peut se retrouver dans trois piliers essentiels. Le premier, c’est la famille et les familiers, les gens qui comptent pour soi. Le deuxième pilier, c’est ce qui concerne tous les apprentissages : l’école, le travail, la formation, les choses qui sont davantage imposées. Et le troisième pilier, c’est tout ce qui touche aux loisirs. Le jeune que l’on a face à soi est peut-être très fragile dans son pilier « famille », mais est peut-être très bon en judo ou hyper doué en mathématique. Les trois piliers de vie, ça aide à aller chercher les leviers positifs pour reconnaître et valoriser les enfants ou les jeunes dont on a la charge.


En guise de conclusion


Pour terminer : cinq mots à retenir. Le premier c’est : responsabilité et respect. Le deuxième : empathie, la capacité de se mettre à la place de l’autre tout en restant soi-même. Le troisième : valorisation. Le quatrième : écoute. Le cinquième : reconnaissance. Les initiales de tous ces mots donnent « rêver ». Même dans les situations les plus difficiles, il faut toujours rêver qu’un avenir meilleur est possible.


Pour Couples et Familles, ce parti-pris délibérément positif à l’égard de jeunes aux comportements difficiles peut constituer la base d’une attitude parentale au quotidien, et plus particulièrement vis-à-vis d’adolescents au comportement parfois difficile et désarçonnant pour leur entourage. Elle insiste à la fois sur la valorisation de l’enfant et du jeune, sans oublier la nécessaire mise de limites. Dans le cadre familial, nous insisterions en outre sur l’aide que l’on peut recevoir des échanges avec d’autres parents : cela permet de prendre distance vis-à-vis de son vécu, de reprendre confiance en ses propres compétences de parent et de garder une vision à plus long terme. Rêver qu’un avenir meilleur est possible est sans doute toujours l’attitude la plus réaliste en éducation.

 

 



[1] Texte rédigé par José Gérard, au départ d’une conférence-débat animée par Jean Furnémont, directeur de l’Institut Louis-Marie à Thy-le-Château, Service Résidentiel pour Jeunes qui accueille des jeunes de 7 à 18 ans. Il se base sur une expérience de 30 ans avec des jeunes aux comportements difficiles.

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants