Analyse 2008/03

Pendant plusieurs années, Jean-Pierre Le brun, en sa qualité psychiatre et de psychanalyste, et André Wénin, exégète de la Bible, particulièrement de la Genèse,  et professeur à l’Université Catholique de Louvain la Neuve, à l’invitation de l’association « Le Sarment », qui organise des activités culturelles et de formation à Namur, ont confronté les fruits de leurs recherches et de leurs expériences. Les textes fondateurs de la culture judéo-chrétienne et l’approche de l’être  humain développée par la psychanalyse de Sigmund Freud à Jacques Lacan ont-ils quelque chose à voir entre eux ?


L’exercice de croisée de leurs réflexions ainsi répété ouvrit peu à peu à des perspectives particulièrement intéressantes qui donnent à penser dans les domaines aussi centraux du vivre ensemble que sont l’importance de la Loi, la gestion de la violence, la place ambiguë de la parole, le mystère de nos origines, les défis de l’éducation et les racines sexuées de tout rapport à l’autre. Un ouvrage en est sorti en février 2008[1], que « Couples et Familles » a analysé pour en mettre la « substantifique moelle » à disposition de celles et ceux pour qui ces thèmes fondent leur travail de réflexion ainsi que leurs relations aux autres et, pour certains, étayent les options qu’ils sont amenés à prendre dans leur vie professionnelle. Cette analyse les poussera par ailleurs peut-être à donner goût à ce type d’approche nouvelle encore de lectures croisées riches de perspectives entre les textes fondateurs de notre civilisation et les sciences humaines[2].


L’analyse a été effectuée thème par thème, et les approches, options et perspectives sur lesquelles « Couples et Familles » fonde son travail d’éducation permanente à leur propos sont, pour chacun d’eux, brièvement évoquées.


Introduction


Dans leur introduction, les auteurs s’accordent sur deux points :

  1. le fait de confronter le mythe biblique, de la Genèse en particulier, et la psychanalyse, ne concerne en rien une foi en Dieu ;  
  2. comme scientifiques de leur spécialisation, tous deux sont soumis à l’interprétation d’un texte tel qu’il se présente à eux : bible d’un côté et texte de l’analysant de l’autre.

Des nuances toutefois entre eux sans doute : les silences de l’un et de l’autre – mais surtout d’André Wénin – quant à certaines affirmations de l’autre. Ainsi quand Jean-Pierre Lebrun affirme que la Bible est un mythe et la psychanalyse une science, ou encore lorsqu’il affirme que le dieu du mythe est remplacé, dans l’approche scientifique, par un « processus acéphale ».


Comme association de réflexion et de formation qui se réfère à des convictions chrétiennes et qui, de ce fait, s’interroge et interroge, dans le respect d’autres convictions que les siennes, « Couples et Familles » se sent un peu frustrée par ce recul des auteurs. Il ne s’agissait certes pas de laisser le croisement d’idée s’enliser dans une confrontation des convictions de foi, mais de s’interroger sur le rôle qu’ont joué ces convictions, comme convictions, sur la perception de la personne humaine pour elle-même et en humanité.
C’est d’ailleurs, à propos de l’éducation notamment, Jean-Pierre Lebrun qui effleurera la question sur le plan de la structuration de la personne en référence à une conviction. La question nous semble pour le moins pertinente et mériterait d’être creusée.


La loi


Le langage est l’instance tierce qui génère la perte de pouvoir dire le tout de l’autre, le tout de la pensée.


Ne pas accepter la perte engendrée par cette médiation, c’est ignorer la Loi fondatrice d’un possible pour le vivre ensemble. En effet, comment accepter des lois de manière consensuelle, si ce n’est en référence à une Loi première acceptée par tous.


Ce sera, à notre sens, cette question fondamentale du centre de référence que pose l’ensemble des échanges qui constituent cet ouvrage. En effet, l’impact de la parole sur la constitution de l’humain en être de relation est abordé plus avant de manière approfondie, constitue une clé transversale de la lecture de tous les thèmes abordés par les deux auteurs. D’emblée toutefois, c’est la question du centre laissé vide au sein de la société occidentale laïcisée, par le Dieu de l’univers religieux du monde des religions monothéistes, qui est nous semble-t-il posée.


L’ouvrage qui sert de base à cette analyse n’évoque pas les questions que nous semble devoir affronter ce paradigme nouveau entraîné et nous le considérons positivement par la laïcisation de nos sociétés. C’est, à notre estime, ce qui s’ouvre ainsi comme chantier et réflexion et de mise en oeuuvre, ce sont toutes les problématiques soulevées par :

  • le fonctionnement démocratique de nos sociétés, à tous les niveaux, et donc, simultanément, au niveau de la société planétaire ;
  • la reconnaissance formelle et unanime à une Déclaration Universelle des Droits Humains, serait-elle celle que nous connaissons depuis 1948 et dont nous fêtons le 60e anniversaire en cette année 2008 ;
  • l’interaction entre ces deux défis.


Si les humains ne peuvent s’entendre sur une conviction unique quant aux origines et aux finalités de l’univers en général et sur celles de l’humanité en particulier – en comment le pourrait-il ? si le centre vide est laissé  l’appréciation individuelle de chacune et de chacun, convaincu du bien fondé de son comportement en toute circonstance, hors de toute cohésion sociale, ne courrons-nous pas au chaos, sur le plan personnel comme au plan sociétal ?


C’est la question qui nous semble fondamentale aujourd’hui.


La violence


La violence comme négation de l’autre naît du refus de ne pas être « toute puissance ». Par l’inceste, qui est une prise de possession symbolique ou réelle de l’enfant considéré comme né de ma seule puissance, je le conduis au refus de toute perte, et donc à une jalousie qui conduit au meurtre.


Dans le mythe, l’homme se croit tout, et il réduit la femme à lui-même, ce qui la conduit à son tour à se proclamer le tout par rapport à l’enfant. C’est pourquoi l’inceste est d’abord situé dans le lien avec la mère. Â l’affirmation qui lui est faite d’être possédée par l’homme, la femme réduit le père au silence, lui qui est le premier autre entre elle et l’enfant.


Or, l’enfant, pour vivre et laisser vivre, doit pouvoir se détacher. La Genèse fait récit et permet donc la symbolisation de la découverte d’un chemin d’humanisation de la force vitale brute qui est en nous, humanisation qui ne peut advenir sans l’acceptation de la perte de la toute puissance, perte rendue consciente par le langage.


Mais la parole, introduisant cette connaissance de la perte de toute puissance, devient, lorsqu’elle est accessible à l’humain parce qu’il reconnaît l’autre comme autre, ce chemin d’humanisation des forces brutes de la violence. Celles-ci déferlent et détruisent lorsque la parole ne trouve pas à se frayer un chemin. Elles sont forces vitales et constructives grâce à la parole partagée.


Est-il important que cette Loi première qu’introduit le langage soit personnifiée par Dieu ? Pas nécessairement, mais il importe qu’elle soit reconnue collectivement comme référence première. Toutefois, si elle n’est pas « externalisée », elle risque d’être confisquée par un abus de pouvoir. Quelle référence sur laquelle s’entendre unanimement ?
« Couples et Familles » se retrouve largement dans ces approches de la violence. Il ne s’agit pas de « lobotomiser » ou de « corseter » les forces vives qui nous habitent. Ce qui est avenir et perspectives heureuses pour toute vie humaine et de toute société, c’est de transformer ce qu’elles sont à l’état brut, instinctuelles et animales peut-être, en force de relation et de partage.


La reconnaissance en profondeur que nous ne disposons pas de la toute puissance, ni individuellement, ni collectivement, est le fondement même de la découverte de l’autre et des autres dans leurs capacités comme dans leurs limites.


Revient ici encore chez nos auteurs, la même question du centre vide.


Parole, vérité et mensonge


Comme elle est médiatrice de la perte de toute puissance, la parole peut s’avérer la meilleure et la pire des choses : incapable de dire le tout, elle peut toutefois s’en prévaloir, comme elle peut dire sciemment le faux.


Le mensonge comme l’incapacité de dire le tout de soi sont source de conflits et de violence. Seule une parole vraie, au plus juste de ce qu’elle pourra, permettra d’en sortir. Une foi en la parole est possible, même s’il est impossible de s’accorder pleinement à LA vérité qui, elle, échappe à toute prise.


Compte tenu de l’ambivalence permanente de la parole, Bible et psychanalyse s’entendent sur ce qui se transmet bénédiction et malédiction, et sur leur mode de transition, qui se joue sur trois générations.


Nous sommes en effet le fruit d’une histoire, et c’est se faire illusion et générer la violence destructrice, en soi et vis-à-vis des autres, de croire pouvoir « s’auto fonder ». Il faut accepter l’héritage, y compris de l’inconscient personnel et collectif, à peine de ne rien pouvoir transformer, d’être contraint à la répétition.


Apprendre à parler, à se parler, à écouter, à se dire, à s’entendre, dans toutes les acceptions de ce terme. La communication, dans le couple, dans la famille, dans toute relation, sachant au mieux qu’il est possible qui l’on est et d’où l’on vient, c’est l’objectif social même de « Couples et Familles », et nous ne sommes heureusement pas la seule association à oeuvrer en ce sens.


Mensonge et vérité : nous sommes toujours dans l’entre deux. Non que nous cherchions à travestir sciemment ce que nous croyons vrai pour tromper – même si cela n’est évidemment pas exclu -, mais parce que nous ne pouvons voir les choses que d’où nous les voyons comme l’autre d’où il les voit.


Apprentissage constant que de découvrir ensemble dans cet entre-deux qui nous sépare irrémédiablement, mais qui est simultanément cet espace infranchissable qui nous crée l’un par rapport à l’autre, comme autre, le plus juste de ce que nous pouvons découvrir ensemble de « la vérité » qui, elle, ne nous appartiendra jamais en totalité.


Être ensemble en dialogue permanent de recherche de chemins de vérité ? C’et ce à quoi s’emploie des associations comme la nôtre.


La question de l’origine


Par la bible, la question de l’origine est placée dans l’ordre de l’émergence inouïe d’un « jamais vu » par l’intervention d’un Dieu. Par la psychanalyse, la question de l’origine confronte à la « chambre à coucher » des parents.


Jusqu’il y a peu, l’origine était l’intervention de Dieu ou de la vie, sur laquelle les parents n’avaient qu’une prise toute relative. Avec la contraception, les parents, mais c’est aussi la perception de tous, éprouvent le sentiment qu’ils sont libérés de cet incontournable non-maîtrisable.


Fruit d’une décision perçue comme autonome, l’enfant peut être vécu et se ressentir d’emblée comme autonome à son  tour, alors que l’autonomie reste pourtant le fruit d’un travail constant. La disparition symbolique de la dimension tierce dans l’origine de la vie risque d’entraîner une instrumentalisation de l’enfant, objet de jouissance narcissique du parent. Retour donc à l’inceste, à l’incapacité de « quitter » et « d’honorer » ses parents, et donc au risque de meurtre qui s’en suit.


L’impossibilité de valoriser l’intervention « paternelle » pour accéder à sa propre parole conduit à la violence. Or, ce sont les parents qui ont charge d’amener l’enfant à devenir sujet de son propre désir, à ne pas rester confiné dans le leur, et à le mettre en capacité d’entrer en fraternité.


Toujours la même question qui revient : comment parvenir à structurer et à limiter le désir, afin de pouvoir accéder à la fraternité ? On ne naît pas frère, on le devient, par-delà le fait que l’on ne parviendra pourtant jamais à « s’entendre » complètement.


Ces composantes que le récit biblique traduisait, au départ de la réalité vécue par celui ou par ceux qui  l’ont rédigé, ne saurait évidemment tenir compte de paramètres du monde d’aujourd’hui. Il a y a toutefois des constantes dans les difficultés auxquels les humains sont confrontés et le récit de traversées de situations anciennes donne à ouvrir la pensée pour nos propres traversées.


Les humains ont toujours été en recherche de pouvoir maîtriser les origines de la vie. Les écrits découverts par les archéologues et les historiens nous permettent d’affirmer aujourd’hui que plus de 1500 ans avant J-C déjà, des « recettes » détaillaient des démarches contraceptives. Ils ne disent évidemment rien de leur efficacité. Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Nous avons même la certitude même si elle rets parfois une illusion d’avoir la maîtrise des origines de la vie, de la vie biologique en tout cas.
C’est plus qu’une révolution ! C’est l’entrée dans un monde dont nous ne connaissons pratiquement rien encore, ni en termes de relation entre l’homme et la femme, ni en termes de relation entre l’enfant et ses géniteurs.


Telles sont les convictions de « Couples et Familles » sur le tournant de l’Histoire auquel elle croit participer aujourd’hui, auquel elle souhaite et espère pouvoir apporter sa contribution pour qu’il puisse s’avérer un plus d’humanisation et un plus de bonheur aux « parents » et aux « enfants » de ce « monde nouveau qui commence[3] ».


Autorité et éducation


La psychanalyse ne règle pas son compte à la religion et ne met certainement pas ce qu’elle a permis de transmettre. Le ciel est vide serait-on tenté de dire aujourd’hui, mais si l’altérité divine ne garantit plus l’altérité humaine, celle-ci ne nous constitue pas moins.


La difficulté, c’est qu’en l’absence d’un tiers de référence commun qui faisait droit à l’autorité de qui remplissait, dans l’organisation sociale, un rôle de guide, de décideur ou de transmetteur, celles et ceux qui remplissent ces rôles aujourd’hui sont d’office suspectés d’en abuser. Comment soutenir dans ce contexte des exigences éducatives ?


Nous sommes dans un monde de responsabilité subjective, mais comment parvenir à l’existence d’un sujet si toute exigence de structuration est proscrite. Des familleset des écoles, les écoles catholiques notamment, s’autorisent encore à donner une ossature à leurs enfants, mais font-ils le bon choix pour vivre dans le monde d’aujourd’hui ?


Dans l’éducation, tout se joue dans une parole que l’on écoute, non pas pour imposer une parole établie, mais pour instaurer le règne de la parole. Il faut donc qu’il y ait écoute, mais une écoute qui puisse recevoir comme message essentiel : « sois lucide sur les choix que tu fais ». Il importe toujours de repenser les raisons de la négativité de la Loi et des lois, non d’abord pour s’y conformer, mais pour réfléchir à ces raisons afin de dégager avec sagesse, les positivités à mettre en oeuvre.


Nous en revenons-là : le ciel est vide.


Dans les familles, la référence aux convictions de fraternité et de solidarité, fondée ou non sur une foi sur les origines et sur les finalités de l’humanité, ne va plus de soi. Elle n’est plus soutenue par une culture et des comportements qui, pour n’être peut-être que sociologiques pour beaucoup, n’en structuraient pas moins une apparence de cohésion sociale sur laquelle pouvaient s’appuyer les parents vis-à-vis de leurs enfants.


Pour « Couples et Familles », partageant en cela l’analyse qu’en font les auteurs de l’ouvrage, il importe qu’au sein de son milieu de croissance, l’enfant puisse trouver :

  • une cohérence suffisante dans la parole qui lui est dite, pour qu’elle puisse lui permettre de s’appuyer sur elle pour structurer sa personnalité et bâtir son intelligence dans une logique clairvoyante ;
  • l’appel à une interrogation personnelle sur les paroles et sur les comportements qui lui sont proposés, afin de l’amener à un esprit critique qui, plutôt que de le conduire à tout rejeter a priori parce que cela ne vient pas de lui – pauvre enfant-roi ! -, lui permet de regarder autour de lui avec le plus de clairvoyance possible, de discerner ensuite les interactions de ce qu’il a perçu, et de décider enfin des paroles et des actes qui seront les siens, en toute autonomie mais aussi en toute responsabilité, vis-à-vis de lui-même, de celles et ceux qui l’entourent e de la société en général.


Si le « centre vide » n’est pas occupé par une conviction parentale de cette cohérence, le risque est grand, pour « Couple et Familles » comme pour les auteurs de l’ouvrage, d’envoyer les enfants dans la société comme des inadaptés sociaux en révolte sans même savoir contre quoi, ou comme des moutons bêlants derrière toutes les modes – y compris idéologiques – au gré du succès médiatique de celle-ci   


Altérité et féminin


Dans la Genèse, la femme intervient au moment où est perçue la nécessité absolue de l’altérité : il faut à l’humain un « vis-à-vis », un « répondant ». C’est dans la torpeur, une perte de conscience, que l’autre apparaît. Il n’en est donc pas conscient. Dans le récit toutefois, l’homme ish s’identifie à l’humain Adama -, et il réduit l’autre « côté de l’humain », apparu dans la torpeur, en une autre, « isha », qu’il proclame sortie de lui – os de ses os, et chair de sa chair, à qui c’est lui qui donne nom, un nom qui fait écho à lui-même.


Or, l’entrée en relation implique un manque, une perte même, par rapport à un désir de toute puissance. L’altérité témoigne de ce qui me manque et de ce que l’ignore. Le Dieu du mythe « présente » à l’humain son « autre » : c’est un don qu’il lui fait. Il en va de même dans la psychanalyse : elle conduit à la reconnaissance d’un don, le langage rendant présent ce que l’analyse a conduit à accepter comme manque irréductible. En d’autres mots, la parole tue l’autre comme objet, elle l’offre comme sujet d’altérité, et ouvre à la possibilité d’une relation qui soit juste.


Comme le narrateur de la Genèse, la psychanalyse, après Lacan, refuse de réduire la femme à celle qui manque de ce que possède l’homme, le pénis. Dans cette acception, le « phallus » est en quelque sorte la contrepartie symbolique de l’ « Adama » de la Genèse : il symbolise l’humanité non encore différenciée par le langage.


Reste que le mythe comme la psychanalyse mettent en lumière la dissymétrie et la non complémentarité de la femme et de l’homme. Ils sont deux modalités de l’humain qui devront renoncer à l’être de l’autre comme à être le tout.


Le langage qui les ouvre à cela leur permet toutefois de travestir leur désir d’être en « semblant », semblant d’avoir le tout le pénis pour lui, semblant d’être le tout désiré par lui, pour elle. Double mouvement de dépendance. De son côté, la femme croit pouvoir éluder cette dépendance en devenant, puis en s’accrochant le cas échéant, à sa maternité. Parallélisme une fois encore entre la psychanalyse et le récit biblique : Ish « connaît » sa femme, et celle-ci « acquiert un homme avec Dieu ».


De même, si le serpent du récit biblique tend à faire croire à la femme et à l’homme qu’ils n’ont pas à accepter le manque, ce qui conduira à l’inceste et au meurtre, la psychanalyse a théorisé le fait que l’homme et la femme sont tous deux tributaires, de manière asymétrique, de l’impossibilité de mettre la main sur l’altérité.


Le Dieu de la Genèse ne dit pas ce qu’est le bien ni le mal, c’est un Dieu d’alliance et donc un Dieu de relation qui, par définition, ne saurait être un Dieu qui sait déjà tout. C’est que bien et mal ne sont pas objets de savoir, mais de sagesse. Ce récit ne propose donc pas une morale, mais souligne en quoi l’humain doit tenir compte de ce qui le structure dès sa naissance.


Ainsi, il affirme que « l’ish – l’homme - quittera son père et sa mère » pour « s’attacher à sa isha – la femme - ». C’est que l’altérité n’est accessible que si l’on quitte le giron parental, réellement peut-être, mais symboliquement surtout, et l’on sait que dans nombre de couples, l’autre n’est pas vraiment  « autre », mais qu’il n’est que le substitut parental, la continuité du giron originel. Tout homme doit se quitter comme fils et comme frère s’il veut pouvoir advenir comme homme et comme époux. Toute femme, elle, ne peut se contenter de « se laisser dire », sans y perdre jusqu’à sa féminité. C’est son « autreté » qu’elle doit affirmer.


Le récit biblique, des premiers avatars de l’ « Adama » aux tribulations de Joseph et de ses frères, en passant par celles du couple d’Abraham et de Sarah, fait état de ce que l’altérité est en chacun de nous, avec notre peur face au vertige qu’elle ouvre, mais un vertige qui est la source même de la pensée humaine.  Et l’altérité entre les sexes est le symbole éclairant de toute altérité. Le récit biblique invite à penser et fait apparaître qu’il ne faut jamais s’arrêter sur ce chemin d’humanisation … si ce n’est pour penser au choix des pas suivant. Nécessité donc de faire régulièrement Sabbat ! Ainsi se conclut cet ouvrage.


Voilà un chapitre qui, tant sur le plan de l’exégèse que de la psychanalyse, est plus complexe, mais qui renvoie, dans le vécu des couples et des familles, à des situations bien concrètes.


Que de couples ne se sont-ils pas construits et ne se construisent pas, sur ces « semblants » de « toute puissance » elle encore !, qui trop souvent  nous imprègnent, hommes et femmes. Il n’est pas évident après des siècles de contexte patriarcal, de renverser la perception d’une différence affirmée comme complémentaire, non pas en réciprocité, mais dans laquelle la femme venait « compléter » l’homme.


« Couples et familles » n’a de cesse de traquer les séquelles de cette perception millénaires. Ni la dépendance réciproque qui tue la relation, ni l’indépendance convenue qui laisse la relation à la surface de ce qu’elle pourrait être, ni la complémentarité organisée qui case les conjoints dans des rôles, ne sont des chemins de rencontres vraies entre les partenaires d’un couple. C’est la reconnaissance réciproque de l’autre comme autre, totalement autre, avec qui, l’un et l’autre, veulent conjuguer leur vie en connivence.


Une Loi pour nous construire, qui trouve et donne autorité aux parents dans une référence commune, qui  donne poids à la parole qui se dit et qui s’écoute dans une volonté de se structurer et de choisir de manière autonome et responsable, tels sont les axes principaux des activités de réflexion et de formation qu’entend suivre l’association « Couples et Familles ». Elles se trouvent amplement confirmées par cet ouvrage[4].

 

 


 

[1] Des lois pour les humains » - éditions Érès -
[2] Voir dans le même esprit, les ouvrages de Marie Balmary aux éditions Grasset : « Le Sacrifice Interdit, « La Divine Origine » et « Abel, ou la Traversée de l’Eden ».
[3] Les éditons « Feuilles Familiales » ont publié en 1994 déjà, un récit poétique de Jean Hinnekens qui dessinait cette évolution et qui se terminait sur ces mots.
[4] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

 

 

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