Analyse 2006/25

Lors de chaque élection, on s’étonne de la proportion importante de votes pour des partis d’extrême droite, dont les discours sont pourtant souvent haineux et racistes. Mais on a souvent tendance à étiqueter de « racistes » les seules personnes qui votent pour les partis d’extrême droite, comme si elles n’avaient rien de commun avec nous. Une évidence qui mérite d’être analysée et abordée en famille ?


Reconnaître la peur de l’autre


Dans chaque être humain, il y a une certaine peur de ce qui est différent et des autres qui incarnent un aspect de cette différence par leur couleur de peau, leur langue, leur culture, leur religion, leur comportement, leurs habitudes alimentaires ou vestimentaires, etc. La différence est d’abord perçue comme une menace et c’est une démarche culturelle et un travail d’humanisation de découvrir que l’autre peut m’enrichir de sa différence. C’est donc un travail d’éducation et il est essentiel de l’aborder en famille comme à l’école. Mais cette éducation n’est pas seulement affaire de grands discours. Si les parents, sur le chemin de l’école, pestent sur les femmes au volant ou sur les étrangers qui conduisent n’importe comment, il y a fort à parier que les enfants prendront eux aussi l’habitude de râler sur les femmes, les étrangers, les politiciens, les enseignants, etc., bref « les autres », responsables de tout ce qui va mal.


Le racisme, le nationalisme, qui sont des manières de décliner le refus de l’autre, se basent sur des sentiments présents de façon forte ou latente chez beaucoup d’entre nous. Ne pas prendre cela en compte, c’est s’empêcher d’entendre ce que veulent nous crier une part de ceux qui votent pour l’extrême droite, c’est se priver des moyens pour enrayer ce fléau.


Pourquoi des votes extrémistes ?


Qu’expriment ces votes pour des partis extrémistes ? On dit souvent que les partis extrémistes canalisent un part importante de votes de rejet : les électeurs ne votent pas tellement « pour eux » que « contre » les partis traditionnels qui les ont déçu, qui n’ont pas véritablement tenu leurs promesses, qui n’ont en tout cas pas pu améliorer de manière significative la vie d’un bon nombre de citoyens. Ces votes sont en effet souvent le fait de personnes qui vivent dans des zones d’insécurité, de précarité, de chômage. Toutes ces explications sont évidemment pertinentes, mais elles n’expliquent cependant pas ce type de vote dans certains quartiers aisés de grandes villes comme Anvers ou Bruxelles, où le niveau de vie des habitants est élevé, les infrastructures communales de bonne qualité et la présence d’îlots d’insécurité fort limitée. Il semble donc que le vote d’extrême droite, dans ces quartiers en tout cas, est très lié au racisme, au rejet de l’étranger. Il faut d’ailleurs reconnaître que c’est bien souvent le seul point du programme que relève et retient le grand public.


Reconnaître la peur en soi


Cette peur de l’autre, de celui qui n’a pas la même langue, la même culture, de celui que je ne comprends pas, cette peur nous habite tous à des degrés divers à un moment ou à un autre de notre vie. Cette peur, cette angoisse est d’autant plus forte lorsque je me sens fragile dans ma propre identité, lorsque je ne suis pas certain de la légitimité de mes privilèges, lorsque le malheur me touche... Alors je cherche chez l’autre - le différent - la cause de tous mes ennuis.


Oser reconnaître ces sentiments de racisme, c’est déjà se donner les moyens de les dépasser et d’avancer vers plus d’humanité. Entendre que ces réactions de racisme, ou en tout cas de méfiance par rapport à l’autre, à l’étranger, se situent souvent au niveau de l’émotion - comment s’en étonner d’ailleurs dans une société où la sphère émotionnelle est hypertrophiée par les médias -, c’est se rendre compte que les réponses logiques et rationnelles ne permettront pas de rencontrer celui dont la peur n’est pas prise en compte, puisque les deux discours se situent sur des plans différents.


Que faire alors ?


Peut-être commencer par accepter et recevoir en toute vérité ces émotions de peur, de rejet, etc., telles qu’elles sont et pour ce qu’elles sont, ni bonnes ni mauvaises, tant qu’elles restent des émotions. Il n’y a pas lieu de poser un jugement éthique sur une émotion. La question ne se pose que lorsque cette émotion donne lieu à un comportement. Il importe de les recevoir et pas seulement de les écouter distraitement. Il importe de les faire résonner dans les expériences des uns et des autres, autochtones ou allochtones et, en éducation, dans les expériences vécues par les enfants eux-mêmes ou par des témoignages de situations que nous avons nous-mêmes rencontrées. Les enfants, selon les situations dans lesquelles ils sont plongés, peuvent être amenés à faire des expériences négatives des autres « différents » (le comportement agressif ou identifié comme tel d’un autre enfant atteint d’un handicap, issu d’une communauté étrangère, etc.) ou être exposés à des discours qui les stigmatisent de manière simpliste. Seule la présence attentive des parents permettra de décrypter ces discours. C’est dans ce type de concrétisation qu’un travail de distanciation pourra s’amorcer entre les sentiments, les actions, les réponses.


Derrière le racisme, le fascisme


Ce n’est qu’ensuite qu’on pourra travailler sur les approches plus théoriques, plus culturelles, plus éthiques et, dans le concret de la vie politique, sur les programmes. Cela permettra de découvrir que derrière l’utilisation perverse et l’exacerbation par quelques-uns du sentiment raciste se cache en réalité une idéologie fasciste dangereuse. Dès qu’on prend la peine de lire les programmes de ces partis extrémistes au-delà de quelques slogans racoleurs, on constate combien ils recèlent aussi des menaces pour les libertés individuelle et les droits les plus élémentaires, de manière tout aussi nette - et parfois avec les mêmes accents, en ce qui concerne les femmes par exemple - qu’ils ne le sont par ailleurs par ceux que l’on qualifie aujourd’hui d’islamistes extrémistes. Ce sont en réalité deux démarches parallèles de rejet de l’autre, même si, chez nous en tout cas et heureusement jusqu’ici, l’extrême droite se manifeste sans autres violences exacerbées que celles de la parole.


Un contact régulier avec l’actualité


Cela implique également d’amener les enfants à s’intéresser à l’actualité [1] et à dépasser un peu la manière souvent dichotomique (nous sommes les bons, les islamistes sont un danger) dont l’actualité est présentée ou perçue. Chacun a évidemment le droit le plus strict de s’intéresser ou non à ce qui se passe à côté de chez lui et plus loin. S’y intéressant, chacun approche les faits avec son bagage intellectuel, son tempérament, son histoire, son propre équilibre intérieur. Certains ont les capacités -affectives, socio-culturelles, économiques- de faire de l’actualité un point de départ d’un questionnement, d’une invitation à aller plus loin, à s’interroger, à apprendre encore et à reconsidérer ce qu’ils savent, croient ou croient savoir... D’autres, plus fragiles, plus inquiets de l’avenir, n’ont pas les moyens d’accueillir l’actualité comme une invitation à élargir leurs horizons, ils ont peur, ils se replient. Comment les condamner ? L’actualité nous fait toucher du doigt tout à la fois nos propres limites, notre impuissance et notre capacité d’agir là où nous sommes, si peu que nous le puissions. Il faut être bien dans sa tête et dans sa vie pour pouvoir affronter tout ce qui se passe et nous étonne, nous amuse, nous choque aussi.
Il nous faut oser cette éducation à plus d’humanité, auprès de nos enfants certes, mais aussi pour nous-mêmes. Il nous faut la réclamer de la part de toutes les autorités, qu’elles soient politiques ou morales, comme les responsables des différentes religions ou des obédiences philosophiques, les artistes mais aussi et surtout peut-être des journalistes et des responsables des médias. C’est urgent si nous voulons continuer à vivre dans un Etat de droit où les différends se règlent par la négociation et la justice. C’est urgent si nous voulons que nos enfants n’aient pas à connaître les dérives fascistes et totalitaires qui ont forcé nos parents à s’affronter à la barbarie.


En bref, en famille, avec les enfants :

  • Reconnaître et accepter la peur de l’autre présente en chacun.
  • Apprendre à reconnaître l’enrichissement qu’apporte la différence de l’autre.
  • Comprendre les raisons des votes extrémistes.
  • Aiguiser un regard critique et décoder les programmes des partis extrémistes.
  • Dépasser une vision en noir et blanc des faits d’actualité

 

 


[1] on consultera à ce propos le dossier NFF « Les enfants face à l’actualité », dossier n°72, 2005

 

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