Analyse 2006/23

L’homosexualité est moins stigmatisée socialement, elle est même "tendance" selon certains. Mais elle reste u sujet difficile pour les familles qui sont confrontées à l’homosexualité de leur enfant.


Les homosexuels : différents ou semblables ?


En ce début de siècle, femmes, hommes, couples, nous nous cherchons. Qui sommes-nous ? Sommes-nous tellement différents ? Ou tellement semblables ? Ces questions traversent toute la société. Dans ce concert d’interrogations, l’homosexualité accentue cette perplexité. Qui sont les homosexuels ? Tellement différents ? Ou tellement semblables ?


Ni l’Histoire des perceptions sociales de l’homosexualité, ni les études récentes qui lui ont été consacrées, ne permettent de préciser un tant soit peu ce qu’elle est. « La question « qu’est-ce qui définit l’homosexualité » n’a toujours pas de réponse certaine » affirme Marina Castaneda dans son ouvrage « Comprendre l’homosexualité ». Et de poursuivre : « Les limites entre homosexualité et hétérosexualité sont aussi devenues de moins en moins claires » [1] .


Pourtant, paradoxalement, ce même auteur compare les homosexuels à d’autres minorités pour lesquelles il importe de lutter pour les droits civiques. C’est là, à notre sens, une dérive du raisonnement qui conduit à confondre l’homosexualité avec cette minorité de femmes et d’hommes qui, précisément pour des raisons que personne ne maîtrise encore, se vivent comme homosexuels, et luttent pour ne pas être socialement marginalisés, voire pénalisés.


Une telle affirmation rend la question plus complexe encore. L’homosexualité pourrait-elle être autre chose que ce que vivent les personnes qui se ressentent et s’affirment comme homosexuelles ? Réciproquement, se pourrait-il que certaines de ces personnes, tout homosexuelles qu’elles se ressentent et se vivent, ne soient pas sujettes à l’homosexualité ? Pourrait-on même aller jusqu’à affirmer que l’homosexualité est un choix, une électivité affective, et non une question d’identité sexuelle ?


L’énigme reste entière, d’autant que les observations et les études les plus récentes affirment que le pourcentage de personnes qui se reconnaissent comme homosexuelles est relativement constant dans toutes les populations, soit de l’ordre de 4% pour les hommes et de 2% pour les femmes, ce qui pousserait à penser à une cause exogène de cette réalité.


Et si c’était génétique ?


S’il s’avérait que l’homosexualité a effectivement des causes biologiques ou génétiques - ce qui expliquerait ces pourcentages constants et différents selon le genre -, cela changerait bien des choses et permettrait à tout un chacun d’accepter le fait homosexuel comme une composante incontournable de l’humanité, et de le reconnaître dès lors socialement, en dehors de tout jugement d’ordre moral.


Toutes les questions que pose le fait homosexuel - et dès lors le fait « gay », donc son expression sociale - ne trouveraient pas automatiquement réponses pour autant. Il serait étonnant en effet que ce « caractère inné » fasse en sorte que tout qui en est le sujet en devienne une personne qui se sente et se vive comme homosexuelle, de même que toutes les personnes qui se sentent et se vivent telles, correspondent à ce critère. Nous disposerions peut-être d’une clé d’entrée pour comprendre et pour éduquer à l’homosexualité, mais d’une clé qui ne permettrait pas pour autant de déceler dès la naissance toutes les personnes homosexuelles.


La recherche de l’identité sexuelle n’en serait par ailleurs en rien affectée. Elle est et restera une quête plus ou moins difficile pour toutes et pour tous, hétéros ou homosexuels. Pour les personnes homosexuelles, quelle qu’en soit la cause, le fait d’éprouver une attirance inversée par rapport à la toute grande majorité des personnes de leur sexe, continuera à les interpeller sur leur propre identité sans disposer de repères et de modèles, mais aussi à les confronter à l’attitude de stigmatisation de cette identité.


Qui suis-je avec le corps qui est le mien ? Que vais-je dès lors devenir ? L’avenir sera-t-il donc pour moi sans enfants nés de moi, sans que je fonde une famille semblable à celle qui m’a vu naître ?


De telles interrogations sur soi, sans oser en parler avec des proches et souvent sans autres refuges que les milieux gay militants, entraînent nombre des adolescents concernés, garçons ou filles, dans les dérives de l’alcoolisme, de la drogue ou de la dépression. Il est effrayant, mais interpellant aussi, de constater à ce propos que, bien que ne constituant au tout grand maximum que 5% de la population, les suicides d’adolescents sont, pour 33%, le fait de jeunes homosexuels. C’est dire que l’acceptation de l’identité homosexuelle par une adolescente ou un adolescent est loin d’aller de soi.


Un deuil important à faire


Il arrive même fréquemment qu’un deuil important est à faire, dans la mesure où cette prise de conscience implique le renoncement à l’idée dan laquelle la personne concernée s’était déjà projetée, consciemment ou inconsciemment, dans un scénario édifié en référence à son milieu de vie : rencontre de l’être aimé de l’autre sexe, fondation avec lui d’une famille, mise au monde de nouvelles vies... Les évolutions les plus récentes des législations dans certains pays occidentaux ne lèvent vraisemblablement que partiellement les causes d’un tel deuil.


Or, on le sait, faire le deuil d’une perte affective importante, serait-elle virtuelle, peut entraîner des étapes difficiles à traverser.


Le premier réflexe est de ne pas y croire : je me trompe, ce n’est pas vrai ou si cela devait l’être, ce n’est pas juste ! Pourquoi moi ?


La seconde étape peut être une fuite dans des scénarios imaginaires dans lesquels la réalité se trouve transformée, inversée, de manière magique. Quelque chose va m’arriver qui va me faire sortir de cette perte comme d’un mauvais rêve [2] .


Troisième désert à traverser vraisemblablement, celui de la culpabilité, de la révolte et de la dépression : pourquoi n’ai-je rien pu faire pour éviter cette perte, ce drame, du fait duquel c’est la vie même qui perd son sens.


Par-delà - mais ne reste-t-on pas toujours en chemin des deuils que nous avons à faire ? -, il y a l’acceptation du fait inéluctable, soit comme un poids à porter définitivement, soit, dans les meilleurs des cas, comme une réalité nouvelle au départ de laquelle il faut repartir, rebondir, en donnant sens à la vie, à sa vie. La plupart des personnes homosexuelles sont confrontées à l’acceptation de ce deuil à faire d’une vie dont elles avaient déjà rêvé peut-être. Toutes n’y parviennent pas.


Un accueil difficile


Cette réalité intérieure trouve bien sûr aussi une partie de ses racines dans le milieu de vie. On ne se connaît différent que par rapport aux autres et, par ailleurs, il importe que les autres nous reconnaissent et nous acceptent comme différent. Or, rares encore sont aujourd’hui les milieux familiaux ou de proximité qui sont préparés à reconnaître le fait homosexuel comme allant de soi lorsqu’il advient.


Des évolutions importantes se sont fait jour et se développent heureusement , du moins dans nos pays, en ce qui concerne l’insertion familiale et sociale des personnes homosexuelles. Cela ne signifie pas pour autant que cette insertion aille de soi, peu s’en faut. Les situations concrètes de vie harmonieuse des personnes homosexuelles dans leur milieu de vie sont encore chose exceptionnelle et résultent souvent d’un cheminement lent et pénible.


La toute grande majorité des parents, voire peut-être la totalité d’entre eux, ne sont en rien préparés à l’homosexualité d’un enfant. « C’est une fille », « C’est un garçon », ce cri qui est déjà « reconnaissance » d’une orientation sexuelle dès les premières échographies, ne laisse entendre à aucune oreille que ce petit être en devenir pourrait un jour se révéler homosexuel.


Les choses changeraient vraisemblablement si l’on découvrait un jour que l’homosexualité est biologique ou génétique et rapidement décelable. Mais on l’a vu, rien ne laisse entrevoir que ce soit un jour le cas ni, si ce l’était, quand cela se découvrirait.


Aucune préparation possible dès lors, ni pour l’entourage, ni pour les personnes concernées. Aucun autre parcours imaginable que cette longue découverte, pleine d’hésitation, de doute, de crainte et de rejet peut-être, débouchant comme un coup de tonnerre sur la famille et sur l’entourage.


Ce « coming out » comme il est convenu de l’appeler, est donc pour tout le monde un moment charnière, difficile au mieux, souvent extrêmement pénible quand il ne s’avère pas un moment de rupture.


Un défi pour « Couples et Familles »


Divers membres de l’association « Couples et Familles » ont été confrontés ces derniers mois à des demandes d’accompagnement, ou simplement à des « besoins de parole », de personnes souvent désemparées par l’annonce de l’homosexualité de leur enfant, qu’il soit jeune ou déjà adulte.


Certes, il est rarement question d’un rejet pur et dur, mais il reste pour le moins un malaise, des blessures, des questions ...


La personne homosexuelle concernée éprouve souvent, elle aussi, des difficultés face à ce « coming out » qui lui est pourtant indispensable pour vivre en harmonie et en cohérence avec elle-même.


Si, d’une façon générale, le fait de l’homosexualité est médiatisé, accepté, voire perçu par certains comme « tendance », l’ensemble de la population est loin de la considérer comme un élément naturel de son univers.


Entre le rejet, les idées toutes faites, la recherche des causes et les débats passionnels autour du mariage homosexuel ou de l’homoparentalité, rares sont les lieux où peut s’exprimer et partager une parole sereine qui ne soit ni militante, ni culpabilisante.


C’est pour contribuer à ouvrir de tels espaces de parole que « Couples et Familles » compte mettre à l’étude cette question du « coming out » avec pour objectif d’aider à la fois les personnes homosexuelles concernées et celles de leur entourage, les parents en premier lieu, en recherchant la possibilité d’ouvrir des pistes d’approches mutuelles de cette réalité émergente, approches qui puissent conduire à des relations les plus respectueuses et les plus sereines possible.


Il s’agirait de songer plus particulièrement aux questions relatives :

 

  • à la culpabilisation. Culpabilisation de la personne qui se sent homosexuelle suite à l’image qu’elle-même s’est faite de l’homosexualité. Culpabilisation aussi des parents et de l’entourage : « qu’avons-nous fait, qu’avons-nous rater dans notre éducation, dans nos relations avec elle, pour qu’elle se s’éprouve aujourd’hui comme homosexuelle ?
  • au qu’en dira-t-on. Nombre de peurs à exprimer ce « coming out », comme nombre de réactions agressives à cette annonce trouvent source, avant tout autre considération, dans la manière dont il faudra par la suite affronter le regard des autres ;
  • aux fausses représentations :

* ainsi de la conviction de beaucoup que l’homosexualité masculine implique la sodomisation, alors qu’elle n’est qu’un comportement minoritaire (23%). A ce propos d’ailleurs, comme à propos d’autres comportements de relation au plaisir sexuel, il y aura à aborder l’impact du comportement sexuel des personnes qui apprennent l’homosexualité de quelqu’un et du jugement qu’elles portent sur les comportements sexuels au sein de l’hétérosexualité. Il est clair en effet qu’un couple parental qui n’a de préventions, ni contre la fellation, ni contre le cunnilingus, aura moins de rejet phantasmatique des relations homosexuelles que pourrait avoir leur fille ou leur fils qui vient de leur annoncer son homosexualité ;


* celle aussi du papillonnage affectif : il est en effet courant, semble-t-il, de considérer que les couples homosexuels sont moins stables que les couples hétérosexuels ou, pis encore, que les homosexuels sont en majorité des dévergondés sexuels voire des pervers. Il n’est même pas rare de rencontrer des personnes qui, de bonne foi, assimilent l’homosexualité, masculine en tout cas, à la pédophilie ;


* l’image majoritairement donnée par les médias qui, il est vrai, jouent souvent un rôle ambigu par rapport aux comportements des personnes homosexuelles. Ainsi des « gay pride » : le comportement travesti ou carnavalesque est mis en avant avec complaisance, alors qu’il n’est pas plus caractéristique de la population homosexuelle qu’hétérosexuelle. D’ailleurs, qui pourrait croire que les milliers de personnes qui participent à ces événements « techno » sont toutes des personnes homosexuelles ?
Il ne s’agirait pas de théoriser à propos de ces divers aspects, mais de les aborder de manière concrète et qui puisse fournir quelques pistes et quelques lieux de ressourcement et d’aide, tant pour les personnes qui se trouvent confrontées à devoir annoncer leur homosexualité, qu’aux parents et aux proches qui ont du mal à en accepter le fait.

 

 


[1] Marina Castaneda, « Comprendre l’homosexualité », -Editions Robert Laffont, Collection « réponses » , 2006, page 19 et 21.
[2] Voir à propos de ces étapes « L’expérience du mal », de Jean-Michel Longneaux, éditions Namuroises, 2004, pages 37 à 49.

 

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