Analyse 2006/21

Qu’elle ait été positive ou négative, la relation que nous avons eue avec nos parents nous apprend à devenir nous-mêmes parents. Une réflexion illustrée par un échange sur un forum.

 


On n’apprend pas être parent...


Est-il ou non facile d’être parent ? Même si certaines associations comme « Couples et Familles » s’efforcent d’apporter aux parents des éléments qui leur permettent de mieux appréhender les difficultés qu’ils rencontrent, il n’y a pas beaucoup de lieux qui permettent aux futurs et aux jeunes parents de se former à ce qui, bien plus qu’un métier ou une fonction, est une relation qui conditionnera et structurera de manière indélébile la personnalité de leur enfant.


...mais on a une expérience d’enfant


Toutefois, personne n’entre les mains vides dans sa vie de parent. Si personne n’a appris à être parent, tout le monde en revanche a une expérience très complète de ce qu’est être enfant. En d’autres mots, notre enfance nous a appris, du côté de « l’éduqué », ce que peut être l’éducation.


Personne n’en a vraisemblablement retiré qu’il était facile d’être parent. Que nos père et mère nous aient été des modèles que nous admirons encore ou qu’ils aient pourri notre enfance n’y change rien : c’est notre expérience d’enfant. C’est donc en rapport positif ou négatif à elle que nous nous sommes construits ou que nous nous construisons comme parent. Un adulte qui a trouvé son équilibre et qui est resté en relation positive avec ses parents aura tendance à prendre globalement modèle sur l’éducation qu’il a reçue d’eux, même si ce n’est pas toujours conscient. Comment ne pas penser d’ailleurs à ce propos au dicton « enfants battus, parents battant », certes trop absolu dans sa concision, mais qui souligne en quoi l’inconscient de ce qui a été vécu dans l’enfance peut habiter nos réflexes d’adulte. .


Un échange sur un forum


Un jeune père affirmait dernièrement sur un forum d’Internet : « Je n’ai jamais entendu dire nulle part qu’il pouvait être "facile" d’être parent. J’irai même jusqu’à penser que ceux qui trouvent cela « facile » sont ceux qui ne s’intéressent pas à leurs enfants. L’éducation, c’est mettre des limites, des contraintes et des interdictions en permanence. Ce n’est ni gai, ni facile. Mais c’est absolument nécessaire. Mes parents n’ont jamais fait autre chose. Ça demande des efforts et une attention constante. C’est fatiguant, tuant, usant parfois. Mais le retour qu’on en a vaut mille fois tout ça. Et le sourire du matin et le bisou du soir remettent les scores à zéro. Allez, demain, on recommence » .


L’affirmation de cette transmission de modèle parental, doublée de la reconnaissance de sa réussite aux yeux de ce jeune adulte, est tout entière dans cette phrase : « Mes parents n’ont jamais fait autre chose ». Cela allait pour lui de soi, et le ton de son témoignage respirait la joie d’être père et celle d’être en relation de tendresse avec son enfant.
Pourtant, ce message reçut une réaction particulièrement dure. Qu’on en juge : « Non, mille fois non ! L’éducation, ce n’est pas mettre des limites, des contraintes et des interdictions en permanence. Le terme « en permanence » est de trop ! Votre phrase est un dictat de nos vieilles éducations catholiques complètement dépassées ! Que de frustrations à cause de celles-ci ! Combien de retardés sexuels, de complexés, de soumis, de sans personnalité, dus à cette éducation ! Et vous reprenez ce que vos parents vous ont fait ! Non, faites ce que vous pensez avec de la chaleur humaine, « shotez » dans les principes que l’on vous a enseignés, ne faites pas de vos filles des coincées qui ne savent rien de la vie, et qui ne donneront rien à celui qu’elles choisiront ! » .


La réaction de cette dame, d’une soixantaine d’année apparemment, témoigne bien plus de l’éducation qu’elle a reçue et qui la révolte encore lorsqu’elle rédige cette réponse que de ses convictions de mère et d’éducatrice. Ce n’est pas tant la manière d’être parent ou l’éducation de son interlocuteur qu’elle dénonce, mais les difficultés connues dans sa propre enfance, une enfance dans laquelle même la tendresse aura d’ailleurs dû être absente. En effet, après cette charge contre la perception de ce jeune Papa, elle poursuit en se disant rassurée par la tendresse qu’elle avait ressentie dans ces « sourires du matin et dans ces bisous du soir », qu’elle ne devait pas avoir connus dans l’éducation guindée qui semblait avoir été la sienne.


Deux éléments centraux : aimer et structurer


Ce qui apparaît de manière particulièrement sensible dans cet échange met en lumière deux des aspects centraux de toute relation parentale : le besoin d’aimer et d’être aimé d’une part, et la nécessité de structurer la personnalité en tenant compte des limites imposées par ce que nous sommes comme par le monde qui nous entoure. Comme le dit et le répète le philosophe Jean-Michel Longneaux : nous sommes limités, tout ne nous est pas dû et notre solitude doit trouver son juste équilibre dans notre relation aux autres.
La réponse que fit ce jeune papa à son interlocutrice mettait intrinsèquement en parallèle deux expériences d’enfance qui n’étaient semble-t-il opposées que dans le comportement relationnel profond de leurs parents respectifs. D’un côté comme de l’autre, des limites avaient été mises et des balises avaient été posées, mais vraisemblablement dans un tout autre esprit : rigidités comme des valeurs en soi renforcées par des impératifs fondés sur le religieux d’une part, et limites, du même ordre certainement, et tout aussi imprégnées de religieux peut-être, mais comme des chemins de découverte et de construction de soi dans la tendresse d’autre part.


Que répond en effet ce jeune père à sa correspondante que son intervention avait visiblement choquée : « Que voilà une réaction bien emportée. Je ne pense pas que mes parents se soient trompés en m’expliquant qu’il existe des limites à tout et que, malheureusement, ce qu’on doit faire passe bien souvent avant ce qu’on veut faire. Je ne suis pourtant ni un retardé sexuel, ni un complexé. Des frustrations ? Bien sûr. Qui n’en a pas ? Le fait d’expliquer à l’enfant qu’il n’est pas le roi, qu’il doit vivre avec les autres et que cela lui impose un certain nombre de choses n’empêche pas de le faire avec amour et tendresse. Lui permettre tout et n’importe quoi ne peut que le transformer en bombe à retardement qui ne manquera pas d’exploser dès que les parents ne seront plus là pour assumer ses écarts. Je ne prétends pas qu’il soit nécessaire de tomber dans une éducation rigoriste. Je continue à penser toutefois que pour faire des enfants épanouis, ouverts au monde et bien dans leur peau et dans le monde dans lequel ils vivent, il convient qu’ils en connaissent les règles de vie et les lois, et qu’ils sachent vivre dans le respect de l’autre, ce qui impose automatiquement des limites » .


L’échange en resta là, mais aurait-il pu aller plus avant ? Il y a fort à parier que si nos interlocuteurs s’étaient rencontrés pour discuter de parentalité et d’éducation, ils ne seraient pas seulement tombés d’accord sur la nécessité de mettre des limites dans la relation aux enfants, de ne pas leur donner l’illusion qu’ils sont des petites reines et des petits rois qui n’ont qu’à donner des ordres pour que tous leurs désirs se réalisent, et de leur apprendre à s’ouvrir aux autres dans le respect de leur dignité et dans la tendresse. Ce qui apparemment les opposait devait être ailleurs, tout ailleurs : dans leur relation d’enfants aux parents qu’ils avaient eus l’un et l’autre.


Il n’est donc pas « facile » d’être parent, mais là n’est pas la vraie préoccupation. La seule et la vraie question c’est, comme parents, d’aimer nos enfants, non pour les attacher à nous, non pour qu’ils nous ressemblent, non pour qu’ils pensent demain comme nous, mais pour qu’ils puissent acquérir de quoi vivre en plénitude de ce qu’ils sont, là où la vie les mènera.


Mettre des mots sur les limites que l’on impose


C’est là que résident pour beaucoup de parents les véritables écueils : comment les aimer et pourtant être en même temps celui et celle qui s’opposent aux caprices, qui refusent ce qui n’est pas accessible ou qui n’est pas jugé valable, qui obligent à structurer son temps, à discipliner son alimentation, à se soigner, etc. Et l’on sait que la liste est longue de ces limites et de ces obligations tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Et c’est vrai, comme l’affirme ce jeune père, que : « c’est fatiguant, tuant, usant parfois ». C’est inquiétant aussi très souvent, surtout de ne pas savoir si ce que nous croyons devoir faire est vraiment ce qui doit l’être. C’est précisément là qu’est toute la différence : dans la relation que l’on a à l’enfant par-delà les limites et les obligations qu’on lui impose, mais aussi dans la parole que l’on met sur ces limites et sur ces obligations. S’il n’est pas nécessaire, ni même indiqué d’ailleurs, de vouloir tout expliquer aux enfants à propos de tous nos refus et de tous nos comportements vis-à-vis d’eux, comme s’il fallait constamment les leur justifier, il est par contre important que ce que nous exigeons d’eux soit cohérent avec ce que nous leur disons, comme aussi avec ce qu’ils nous entendent dire par ailleurs et avec ce qu’ils nous voient vivre.


Agir en accord avec les discours


C’est ainsi, dans la tendresse et dans la fermeté, mais aussi dans l’humilité qui sait reconnaître ses erreurs, même face à ses enfants, mais aussi dans cette vérité d’être qui fait que le dire coïncide à l’agir dans le quotidien de nos vies, que nous apprendrons à nos enfants, dans l’expérience de l’enfance qu’ils auront vécue à nos côtés, l’art d’être parent. Ils croiront pourtant n’en rien savoir lorsqu’ils accueilleront, démunis et pourtant plus préparés qu’ils ne le croiront, leur premier enfant.


Quelques pistes


On n’apprend pas à être parent... mais il existe néanmoins plusieurs pistes pour s’y préparer.


Comme cela a été explicité dans ce texte, sans toujours en prendre conscience, nous nous basons toujours sur notre exepérience d’enfant.


On peut aussi échanger avec d’autres parents, confrontés souvent eux aussi aux mêmes situations et questions. Le fait d’en parler à d’autres permet de se sentir moins seul face aux difficultes et de clarifier la situation. A noter qu’internet offre aujourd’hui de nouvelles possibilités d’échanges, comme en témoigne l’échange par le biais d’un forum évoqué dans ce texte.


On peut aussi recourir à l’éclairage de spécialistes, soit par des lectures, en assistant à des conférences, en participant à des formations.


Enfin, en cas de difficultés particulières, on peut toujours faire appel à l’aide d’un psy qui aidera à clarifier la situation et peut-être aussi à mettre en oeuvre des stratégies différentes.

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants