Analyse 2006/19

A l’écart de la vie active et professionnelle, désormais sans responsabilités directes vis-à-vis de l’éducation des enfants devenus eux-mêmes parents, les aînés se demandent parfois s’ils ont encore un rôle à jouer dans la société. Au départ d’une journée de réflexion avec des femmes du troisième âge, Danielle De Bie et Jean Hinnekens proposent de s’interroger sur quelques-uns des rôles qu’ils sont peut-être seuls à pouvoir jouer aujourd’hui.


Nous choisissons -ou la société nous impose- différents rôles ou attitudes qui nous collent parfois à la peau. Il est peut-être bon de revisiter chacun de ces rôles pour voir ce que nous en faisons. Nous analyserons 4 de ces rôles : le rôle d’aide ou de bénévolat ; le rôle d’écoute, de médiateur ; le rôle politique et le rôle d’éveilleur de sens.


Les aînés, souvent sollicités pour l’aide et le bénévolat


L’image que nous avons gardée des aînés du temps de notre jeunesse ne nous apprend pas grand chose sur ce que nous sommes aujourd’hui. Non seulement l’espérance de vie s’est considérablement allongée, mais nous restons aussi beaucoup plus tard en pleine vitalité et santé. De nombreuses personnes du « troisième âge » ont traversé sans trop d’encombres des accidents et maladies qui étaient encore mortels il y a 30 ou 50 ans. Du temps de notre enfance, les aîné(e)s nous semblaient sans occupation particulière. Ils et elles s’occupaient de leur cuisine ou de leur linge, de leur jardin, un peu comme en marge du monde et des activités de la société active. Aujourd’hui, les personnes du même âge et même plus âgées vivent une tout autre situation. Elles s’occupent toujours de leur cuisine, mais souvent aussi de celle des autres. Elles prennent souvent en charge leurs petits-enfants rentrés de l’école, quand elles ne les ont pas gardé toute la journée parce qu’ils étaient malades. Bonne-maman, qui faisait des gâteaux et tricotait des pulls aux petits-enfants est devenue « mamy dépannage ». Les papys, de leur côté, s’occupent toujours de leur jardin, du moins quand ils en ont un, mais aussi de celui des enfants, quand ils ne sont pas occuper à aider à la construction ou aux travaux de réparation de la maison des enfants. Bon-papa qui s’occupait de ses poules et de ses poireaux est devenu « papy bricolage ».


Mais il n’y a pas que la famille qui sollicite les aînés pour du travail non rémunéré. Ils et elles sont aussi sollicités pour porter les repas du CPAS, pour écouter les personnes en difficulté, pour gérer ou aider à la gestion d’associations qui sont dans l’impossibilité de se payer du personnel permanent, pour visiter ou convoyer des malades ou des plus âgés qu’eux dans les hôpitaux ou les maisons de repos. Cette description, même un peu caricaturale, décrit assez bien la situation de nombreuses personnes du troisième âge, situations qu’elles acceptent par générosité ou amour, parfois aussi par incapacité à se donner des limites et à dire non. La chance d’être encore en bonne forme et la peur parfois de se retrouver dans les pattes l’un de l’autre au moment de la mise à la retraite amène de nombreux aînés à se laisser submerger par les projets des autres, par leurs ennuis aussi. Certes, certains s’occupent autrement. Ils ne vivent que de voyage en voyage, à la mesure de leurs possibilités financières, s’occupant entre deux voyages à classer les photos et à préparer les itinéraires du suivant. Mais n’est-il pas possible de faire de cette nouvelle longévité un temps choisi et voulu ? N’est-il pas possible d’inventer une nouvelle fécondité pour le troisième et quatrième âge ? Il importe d’abord de s’interroger sur ce que nous voulons être nous-mêmes, non par égoïsme, mais pour être pleinement nous-mêmes dans cette nouvelle étape de la vie, condition indispensable pour pouvoir aller vraiment vers les autres.


Les aînés, sollicités pour l’écoute et la médiation


Dans ce mouvement vers les autres, au-delà des aides ponctuelles, les aînés se voient souvent sollicités dans un rôle que la société leur attribue de plus en plus souvent : celui d’écoute et de médiation. Dans un monde où tout change très vite, les aînés représentent souvent la stabilité et dons les repères. Un des éléments qui caractérise les aînés est un rapport différent au temps. Ils sont moins rapides, mais ils ont aussi la possibilité de goûter des moments de calme et de bonheur, même quand ils sont fugaces ou fragiles. Hors des temps de crises ou d’urgences (maladie, hospitalisation, etc.), si les aînés n’ont pas le temps de vivre à leur rythme, il est peut-être urgent qu’ils s’interrogent sur leur emploi du temps et sur les priorités qu’ils veulent se donner. Parce que c’est précisément ce temps choisi, ce temps à rythme humain qu’ils peuvent offrir à ceux qui les entourent. Pensons au nombre de fois que les parents doivent employer le mot vite en une journée avec leurs jeunes enfants ! Il faut se dépêcher de se lever, de s’habiller, de déjeuner, de partir à l’école, d’aller au cours de solfège ou à l’entraînement de foot, de faire ses devoirs, de souper, prendre le bain, etc. Pour être à l’écoute des autres (famille, amis, proches), il faut prendre le temps d’être à l’écoute de soi-même : pour entendre leurs joies, leurs découvertes, leurs difficultés, leurs doutes, pour pouvoir les entendre sans les juger ni leur imposer nos solutions, les entendre en taisant nos doutes et nos craintes, nos questions, pour que l’écoute soit une vraie rencontre. C’est parfois bien difficile quand les enfants nous font les témoins de leurs difficultés de couple, de leurs accrochages et conflits . Nous souffrons parfois de la séparation de leur couple, nous souffrons de ne plus voir cette belle-fille ou de beau-fils que l’on appréciait et qui était devenu un de nos enfants, nous souffrons de voir les petits-enfants qui ont du mal à se situer dans tous les chamboulements que la séparation provoque... S’ils nous font la confiance de se confier, il faut veiller à être des passeurs, des médiateurs, à inviter à réfléchir aux priorités. Veillons aussi à dire nos propres tristesses, nos désaccords...


Au-delà de ce rôle dans les relations interpersonnelles, les aînés ont aussi un rôle plus social à jouer. Il leur revient aussi de s’interroger sur les évolutions de la société qui amènent tant de bouleversements dans les familles, seuls ou en équipes dans les associations. Le rôle des aînés se mue alors en rôle politique.


Les aînés peuvent exercer leurs droits et leur responsabilité citoyenne non seulement pour défendre leurs pensions ou leurs droits de locataires ou propriétaires, mais aussi pour peser sur les décisions politiques d’aujourd’hui, qui conditionneront le monde de demain, celui des enfants et petits-enfants. Cette citoyenneté se vit aussi sur le plan économique puisque, par les choix qu’ils posent dans leurs dépenses, les aînés pèsent sur les orientations du monde.


Les aînés : des éveilleurs de sens ?


Il est un rôle dont on parle peut-être moins, celui d’éveilleur de sens, d’éveilleur du beau, du juste, du gratuit, de la spiritualité, en particulier auprès des petits-enfants. Les aînés n’en ont pas le monopole et doivent bien sûr en laisser la responsabilité aux parents, surtout s’il s’agit de foi religieuse ou de spiritualité, mais ils peuvent informer leurs enfants de leur disponibilité à cet égard.


Quelques exemples : un jeune couple demande le mariage religieux après le décès d’une grand-mère, parce que c’est auprès d’elle qu’ils ont découvert qu’être croyant pouvait avoir du sens ; une petite de 10 ans demande à sa grand-mère de la préparer au baptême et à la première communion ; lors de leur mariage, des enfants demandent à leurs parents d’être le lien de la tradition... Certes, la réflexion de sens et le passage de témoin ne se limitent pas à ses aspects religieux. C’est chez leurs grands-parents que les enfants prennent conscience qu’ils s’inscrivent dans une lignée. N’hésitons jamais à leur parler de leurs parents lorsqu’ils étaient enfants, cela peut meubler leur imaginaire d’autres réalités, moins stéréotypées que celles des feuilletons ou des spots qu’ils voient à la télé.


Le sens, c’est aussi le beau, la féminité. Qui mieux qu’une mamy peut discuter avec sa petite-fille de l’évolution vestimentaire, l’interroger sur le pourquoi de ses choix, la guider, lui opposer un avis négatif en dehors de notions d’obéissance ou de limites budgétaires ? Une fois encore, cela ne pourra se faire que si les aînés se tiennent éveillés sur l’évolution des choses et se font porteurs de leurs richesses, de leur vécu, de leur histoire... bien ancrés dans l’aujourd’hui. Et de nouveau, cela ne se vit que dans le cadre familial, mais aussi dans les groupes locaux, comités de quartier, etc. où les aînés peuvent être partie prenante et apporter leur regard de sagesse, de lucidité et de rêve.


En conclusion


En guise de conclusion, rappelons-nous quelques défis qui ne posent pas seulement propres aînés, mais qu’il faut rencontrer si l’on veut vivre en harmonie. Tout être humain aspire à la fois à créer des liens et à vivre librement. Mais comment conjuguer proximité et distance ? Comment dire par exemple aux enfants son désir de tendresse sans pour autant tout accepter d’eux ? La vie est précieuse mais la mort est un horizon incontournable. Comment dès lors vivre chaque instant avec intensité en apprenant en même temps à cultiver le détachement ? Apprenons aussi à avoir confiance en nos propres capacités. Les femmes en particulier sont encore souvent tributaires d’une éducation qui les incitait à ne pas se mettre en avant. On ne peut éveiller l’autre à la confiance que si l’on a soi-même confiance en soi...

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