Analyse 2006/15

Une enquête a été réalisée par l’Union française des fédérations régionales des associations de maisons d’accueil de familles et de proches de personnes incarcérées, à propos de l’impact du maintien des liens familiaux sur la réinsertion des détenus.


« Couples et familles », en relation de travail avec cette association, a travaillé tout particulièrement les aspects familiaux de cette enquête, afin de dégager des éléments de rapprochement avec la situation des détenus en Belgique.


L’objectif de l’enquête et des études qui l’ont suivie consistait en l’examen des liens entre le système familial des détenus et les personnes détenues elles-mêmes. Organisée par les associations de maisons d’accueil et l’Administration Pénitentiaire de France, elle a recueilli les avis de plus de 700 personnes et a reçu un accueil particulièrement intéressant.
Comment ces liens étaient-ils respectés et quel rôle jouaient-ils sur la vie en détention et sur la réinsertion sociale, telles étaient donc les préoccupation de l’ensemble de la démarche.


Peu de détenus concernés


La question de ces liens ne concerne toutefois qu’une fraction minoritaire des détenus, en Belgique comme en France d’ailleurs. Si les personnes incarcérées préventivement ou pour des peines de courte durée gardent en effet des liens importants avec leur famille et leurs proches, la toute grande majorité des personnes condamnées pour des peines de longue durée n’a plus que de très rares liens avec l’extérieur.


Ainsi, alors que dans la prison de St Martin, sur l’île de Ré, 460 détenus y purgeaient de très longues peines, il n’y a eu, au cours de l’année 2004, que 200 demandes de permis de visite et 150 d’entre elles seulement ont été effectivement utilisées.


Or, chacun s’accorde à reconnaître que la réinsertion sociale des détenusse trouve fortement aidée par la qualité des liens familiaux et sociaux. Comme ce sont les détenus de longue durée qui connaissent les plus grandes difficultés de réinsertion, les conséquences de l’absence du maintien de ces liens se font particulièrement ressentir.
Cet aspect relationnel de la réinsertion des détenus demande donc une réflexion approfondie dans laquelle l’expérience des aumôniers des diverses convictions et les associations de visiteurs de prisons auraient à être consultés.


Urgence pédagogique dans un contexte peu favorable


Dans la conception actuelle de la Justice dans nos pays, il appartient à l’État d’assurer, dans le suivi des actes qu’il réprime, à côté de la privation de liberté du condamné, sa réinsertion sociale ultérieure. Or, celle-ci demande que des moyens soient mis en Å“uvre pour permettre à la personne qui sort de détention d’adhérer au contrat social auquel il a contrevenu, et ne plus être dès lors une menace pour la société.


Ce discours ne va toutefois pas de soi dans le contexte actuel. En effet, à l’incivilité et à l’insécurité au quotidien, s’ajoutent les craintes du terrorisme qui ne cessent de croître au fur et à mesure que des attentats se multiplient de par le monde.


Les discours sécuritaires ont dès lors le vent en poupe et il n’est guère facile de les contrer. Les populations les plus sensibles à leurs appels sont en effet relativement imperméables à l’idée de réinsertion, lorsqu’elles ne sont pas scandalisées d’entendre parler de droits des détenus et de compassion pour leurs proches. Â leurs yeux, il ne peut être question de droit pour qui a été condamné, et toute démarche qui tend à prendre en considération l’avenir des détenus est ressentie comme une faveur qui leur est faite et dont elles ne comprennent pas la raison d’être. Les instances administratives et politiques chargées des questions de justice devraient y être attentives, car il y a urgence à faire évoluer les mentalités par la promotion du rôle de réinsertion sociale, au détriment de la seule conception répressive.


Le milieu carcéral et la famille


L’importance d’une recherche sur les liens entre les détenus et leurs proches ne tient pas seulement en ce qu’elle aboutit à certaines revendications et prend ainsi force de proposition mais, qu’au-delà, elle conduit à des réponses aux problèmes concrets que vivent les familles de détenus et les détenus eux-mêmes. Ces réponses, en permettant de maintenir le lien familial, contribuent donc simultanément à la réinsertion sociale du détenu.


Or, le plus souvent, les proches du détenu, et plus particulièrement sa famille, subissent de plein fouet les condamnations. Cette affirmation n’a évidemment rien à voir avec l’exercice même de la Justice et donc avec l’application des lois, puisque c’est le condamné et lui seul qui est condamné et privé de sa liberté.


Le droit ne tient donc aucun compte de la famille ou, quand cela arrive, c’est de manière tout à fait marginale, en prenant par exemple en considération l’influence ou l’exercice de l’autorité parentale, et ce n’est en tout cas pas pour maintenir la qualité des liens.


Dans la vie quotidienne pourtant, l’affirmation d’une condamnation concomitante de la famille du condamné a toute sa pertinence. L’institution pénitentiaire elle-même doit s’accommoder de l’existence de familles. Elles lui sont en effet présentes par leurs demandes et par celles des détenus dans la mesure où des liens qui leur importaient ne trouvent plus de possibilité d’expression. Ces liens risquent dès lors de se flétrir et de se détériorer faute de pouvoir être nourris par la relation.


Il importe que les associations qui se préoccupent de la détention carcérale et de ses impacts sur leurs proches, incitent l’institution pénitentiaire et le monde politique à prendre en considération la dimension familiale et de proximité de l’incarcération. Du travail est évidemment à entreprendre ou à poursuivre au plan de la recherche dans ce domaine.
Pour l’Union française des fédérations régionales des associations de maisons d’accueil de familles et de proches de personnes incarcérées, perception que partage « Couples et Familles », il y a parallèlement lieu de mettre sur pied un plan global d’aménagement des lieux de détention mais aussi de leurs réglementations, tant internes que relatives aux relations avec le monde extérieur, et plus particulièrement avec les familles.


Repenser le système carcéral en profondeur


Un tel plan global d’aménagement, l’association « Couples et Familles », même si elle l’estime nécessaire et urgent, conçoit qu’il ne saurait atteindre tous ses objectifs dans le court terme. Les problèmes de surpopulation des prisons comme de la vétusté de certaines de celles-ci, mais aussi celui du contexte sécuritaire évoqué plus avant, ne sauraient trouver de réponses immédiates dans tous leurs aspects. Un financement important devrait donc lui être affecté.


Cependant, des choses pourraient être étudiées et entrer en vigueur dans des délais relativement courts suivant les lieux de détention. Des bâtiments et des règlements sont en effet plus aisément aménageables que d’autres, par exemple en matière de parloir conjugal et familial.


De même, les détenus pourraient être incarcérés dans les lieux qui tiennent mieux compte de leurs attaches familiales, que ce soit en matière de déplacements à effectuer, d’heures et de durée de parloir ou de possibilités de parloir conjugal et familial.


La généralisation d’autres aménagements, comme la mise à disposition d’unités de vie familiales, chambres ou appartements conçus pour des séjours familiaux en milieux fermés, n’est pensable à brève échéance que dans certaines institutions carcérales. Elle ne pourrait se réaliser dans l’ensemble des bâtiments pénitentiaires qu’à plus long terme, mais elle ne le sera donc que si elle est programmée politiquement et si les budgets pour les réaliser sont reconduits d’année en année.


Il ne s’agit pas de prétendre que le maintien de la qualité du lien familial - ou de sa restauration d’ailleurs, dans la mesure où ce lien a souvent été sérieusement ébranlé par les événements qui ont conduit à l’incarcération, est de la responsabilité du seul Ministère de la Justice et de l’Administration Pénitentiaire. Ce n’est pas leur mission. Mais au moins leur appartient-il de mettre tout en Å“uvre pour rendre possible et efficace le travail des autres administrations concernées - Ministères en charge de la Famille par exemple - et des associations qui ont dans leur compétence ou qui se sont donné pour mission de s’occuper de la qualité de ces liens, pour autant toutefois que leur soient reconnues cette compétence et que leur soient alloués les moyens nécessaires à l’accomplir.


« Couples et Familles », en collaboration avec d’autres association qui se préoccupent des personnes incarcérées et du régime pénitentiaire, entend poursuivre la réflexion et promouvoir la sensibilisation des milieux politiques et sociaux sur les thèmes ci-après :
une pédagogie auprès des populations pour promouvoir une Justice de réinsertion sociale valable ;
une amélioration de la législation, pour éviter que les lieux de détention soient des lieux de non-droit ;
un aménagement des lieux de détention et de leur règlement de vie interne et de relation avec le monde extérieur, plus particulièrement avec les familles ;
une affectation des lieux de détention pour les personnes condamnées ou incarcérées préventivement, compte tenu de la localisation de leurs attaches familiales ;
des aspects relationnels de la réinsertion des détenus de longue durée sans liens de proximité avec l’extérieur . C’est la réinsertion sociale des détenus, et dès lors toute la société, qui en seront les bénéficiaires.

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