Analyse 2006/13

 

Quand le grand âge se profile, il est important de s’y préparer.


Nous vivons de plus en plus âgés


La longévité s’est constamment accrue au cours des dernières décennies. Ainsi, en France elle est aujourd’hui 82,9 ans pour les femmes et 75,6 ans pour les femmes. Elle a augmenté en moyenne de 1 an et demi depuis 1992 [1]. Nous serons de plus en plus nombreux à atteindre des âges avancés. Verrons-nous le nombre de personnes dépendantes augmenter dans des proportions inquiétantes, au point de faire peser sur la société et sur l’entourage une charge insoutenable ?


On pourrait craindre en effet que l’augmentation de la proportion de personnes âgées dans la population ne fasse exploser le nombre de personnes dépendantes et provoque ainsi une inflation de préoccupations pour les familles et de dépenses de santé pour les régimes de soins de santé.


Aux dires de nombreux experts toutefois, ces craintes ne correspondraient pas à une certitude. En effet, il semble que 60% des populations actuelles ne deviendront ni infirmes, ni dépendants. Aujourd’hui déjà, à 75 ans, 5% de la population seulement se trouve en mauvaise santé. A 80 ans, 73% des personnes vivent toujours de façon autonome, tandis que 14% sont hébergées dans leur famille et 13% en maison de retraite [2]. Ces chiffres et ces statistiques concernent évidemment à la fois tout le monde et personne, mais ils peuvent et doivent nous donner à réfléchir.


« Que fait-on de no(u)s vieux ? »


Lorsqu’en 2001, au sein de l’association « Couples et Familles », nous devions choisir le titre de l’étude que nous avons consacrée alors aux personnes âgées, nous nous sommes arrêtés à celui de « Que fait-on de no(u)s vieux ? » "Que fait-on de no(u)s vieux ?", publié en 2001 et disponible aux éditions Feuilles Familiales, malgré le côté irrévérencieux, voire même dédaigneux que peut prendre cette expression dans le langage courant, dans le sens de “Qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse par exemple.


C’est que d’une part, nous avions parfois l’impression que c’était ainsi que certaines et certains parlaient de leurs vieux parents ou grands-parents, mais aussi par ailleurs que la société elle-même, débordée par l’augmentation de la longévité et le vieillissement de la population semblait ne plus trop bien savoir que faire dans ce domaine.


Pas une semaine en effet sans que nous n’entendions parler à la radio, à la télévision ou dans la presse, des difficultés qu’éprouvent les familles et les personnes âgées isolées face aux aléas de santé et au manque d’autonomie, et, par ailleurs, des problèmes budgétaires que va constituer à l’avenir pour les finances publiques, le paiement des pensions.


Comment ne pas penser aussi à ce propos, aux milliers de personnes âgées isolées qui, en France, sont mortes de la canicule l’été 2002 ? Apparemment, personne, des familles aux pouvoirs publics, n’avait su qu’en faire. Or, il ne s’agissait pas toujours de questions d’argent : c’est ainsi que parmi les corps œnon réclamés, il y en avait un qui a été identifié comme celui d’un monsieur plusieurs fois millionnaire. Il vivait seul dans une grande maison bourgeoise de la capitale française.


La mentalité individualiste d’efficacité et de rentabilité ne fait qu’accentuer le sentiment que les personnes d’âge ne servent plus à rien et qu’elles ne font que coûter à tout le monde. Cela fait naître un sentiment de ce que j’appellerai des vieillards-rebuts, tant chez certains, dans les couches les plus jeunes de la population, que chez les personnes âgées elles-mêmes, qui éprouvent de la culpabilité de ne plus pouvoir participer à la productivité de la population, tout en vivant à ses crochets.


C’est d’ailleurs le même discours culpabilisant, aux nuances de situation près, que ne manquent pas de servir certaines personnalités politiques de droite à propos des chômeurs et des chômeuses.


Oser parler de son propre vieillissement


Le titre qui fut choisi était donc, par certains de ces aspects, une provocation. Il se voulait une interpellation aussi, dans la mesure où nous avions fait en sorte qu’il pouvait se lire de deux manières : il parlait de “nos vieux”, ceux de nos familles, de nos villages et de nos quartiers, les autres quoi ! Mais simultanément, il parlait de “nous-mêmes”, vieilles et vieux peut-être déjà aujourd’hui, mais celles et ceux aussi qui le seront de toute manière demain, ce demain apparaît-il très loin encore.


Parler de la vieillesse en général n’est que de la théorie qui ne nous touche pas. Parler de notre propre vieillissement et dès lors de notre vieillesse à tous, si jeunes que nous soyons, c’est tout autre chose.


Il importe donc de parler de « notre » vieillesse. En effet, si ce « notre » peut être entendu comme le simple fait que cela parle directement de nous - et ce n’est pas rien déjà -, il souligne aussi que cette vieillesse est “nôtre”, c’est à dire qu’elle nous appartient, qu’elle relève donc, partiellement au moins, de notre responsabilité.


Certes, des ennuis de santé pourront survenir, qui peut-être nous priveront de possibilités physiques ou même mentales dans nos vieux jours. Nous ne pourrons peut-être plus grand-chose par nous-mêmes et devrons accepter de dépendre des autres.


Il n’empêche que, même dans ces cas-là, ce que nous vivrons alors sera fortement influencé par les dispositions que nous aurons prises avant que nous ne soyons privés d’une partie de nos facultés. En d’autres mots, notre vieillesse sera, en partie tout au moins, ce que nous en aurons fait.


Devenir ce que nous voudrions être


Il y a d’abord et surtout le comportement qui sera le nôtre. Cela peut paraître à première vue bizarre de prétendre que notre comportement de demain dépend de nos attitudes d’aujourd’hui, et pourtant...


Ne constatons-nous pas régulièrement autour de nous, parmi nos proches parfois, que la plupart se caricaturent un peu en vieillissant. Qui était doux et attentif aux autres le devient plus encore. Qui ronchonne et se plaint à longueur de journée devient insupportable, estimant que tout est dû à son grand âge.


Comment l’entourage n’y serait pas sensible ? Rappellons-nous ce film d’Etienne Chatiliez de 1990 : Tatie Danielle, cette vieille dame veuve de colonel qui après avoir exercé sa tyrannie sur sa gouvernante remet cela de plus belle avec ses petits-enfants après la mort de celle-ci [3] . C’était bien sûr, une caricature de caricature, mais pas si éloignée parfois de certaines réalités.


Si nous sommes responsables de nos comportements vis-à-vis des autres, et dès lors d’une des causes possibles de leur comportement à notre égard demain, comme en écho au souvenir qu’ils ont peu à peu accumulé en eux de qui nous sommes, nous le sommes aussi, peu ou prou, des conditions sociales et matérielles dans lesquelles nous serons.


Nous refermer sur nous-mêmes aujourd’hui, c’est nous garantir l’isolement pour demain. C’est au-delà de la famille et des enfants et petits-enfants qu’il nous faut élargir nos relations. Ils ne pourront pas tout assumer vis-à-vis de nous. De plus, ce n’est pas pour qu’ils redeviennent dépendants de nous que nous les avons mis au monde et que nous leur avons appris à nous quitter.


Il importe donc, si ce n’est déjà fait, de se créer un réseau d’amis et de relations, de s’insérer socialement en fonction de nos compétences, de nos disponibilités mais aussi de ce qui nous attire. Il importe en effet de savoir ce que nous voulons comme avenir pour nous-mêmes.


Se renseigner et partager


Il y a quelques mois déjà, Belgacom avait fait passer sur les antennes une publicité pour promouvoir son numéro d’appel de renseignements. Cela donnait plus ou moins ceci. C’est une voix d’un monsieur très âgé qu’on entend : « Allo, est-ce qu’il y a une maison de repos dans les environs de Bousval ? Ma famille m’a placé ici, mais ça ne me plaît pas. Il n’y a que des vieux de plus de 80 ans qui jouent au bridge et tout ça. Moi, je joue au badminton ». Le préposé lui renseigne alors une maison à Villers-la-Ville. « Ah, ouais, ça c’est bien. Il y a des filles aussi ? Sinon c’est pas gai hein. Et qu’est-ce que je dois faire maintenant ». Le préposé lui demande où il est. « Dans ma chambre, pour qu’ils ne savent pas que je téléphone ». « Bien Monsieur, lui répond alors le préposé, appuyez sur le 1, et vous serez en communication avec la maison de repos recherchée ».


Dans sa caricature, cette publicité en forme de blague est particulièrement parlante par rapport à notre sujet : ce n’est pas au moment où les circonstances vont éventuellement nous obliger à trouver un home ou une résidence qu’il faudra y penser. Les risques seront grands alors de devoir supporter que ce soit d’autres qui doivent y penser pour nous, sans nécessairement pouvoir tenir compte de notre avis. Peut-être sans même connaître notre avis, si nous n’en n’avons jamais parlé à personne.


C’est qu’il faut oser parler et se renseigner, en fonction des possibilités financières qui sont les nôtres notamment. Visiter, faire part de ce que nous souhaiterions, et cela quelle que soit la situation dans laquelle nous pourrions être.


Mais avant cela, pour la plupart d’entre nous j’imagine, nous préférerions garder une autonomie suffisante pour rester chez nous le plus longtemps possible. Cela aussi se prépare.
Ainsi de notre lieu d’habitation Voir [4], appartement ou maison : n’a-t-il pas à être aménagé compte tenu, par exemple, d’une mobilité réduite qui pourrait être la nôtre demain. C’est parfois un aménagement tout à fait envisageable et peu onéreux qui pourrait être réalisé maintenant, mais qui ne saurait être fait demain dans l’urgence, et dont l’absence pourrait nous précipiter vers des solutions que nous préférerions éviter.


C’est aussi, bien avant d’en avoir besoin, de nous renseigner à propos des services qui existent autour de nous ou même peut-être en d’autres lieux pas trop éloignés, en matière d’aide familiale, de soins à domicile, de distribution de repas ou encore de réseau d’appel de sécurité.


Tout ne nous est pas accessible et tout ne saurait être prévu et géré à l’avance. Il faut aussi que nous fassions confiance à la vie et à ceux qui nous entourent et il est possible qu’il nous faudra savoir accepter d’être dépendants des autres et savoir nous abandonner à eux, mais il dépend au moins partiellement de nous aujourd’hui, de faire en sorte que nous pesions le moins possible sur notre entourage.


Celui-ci nous en sera redevable et reconnaissant peut-être, mais en tout état de cause, songeant ainsi au bien-être des autres face aux éventuelles difficultés de notre grand âge à venir, c’est à notre propre bien-être en ces jours-là que nous travaillerons.


Notre association propose sur ce thème des animations pour des personnes qui souhaiteraient réfléchir et partager en groupe des façons de se préparer une vieillesse heureuse et sereine, sur base notamment de cette analyse [5].


Outils disponibles :

 

  • « Que fait-on de no(u)s vieux ? », dossier NFF n°58, 2001.
  • « Et si nous habitions autrement ? » , éd. Feuilles Familiales, 2001. Publication qui a fait suite au colloque organisé sur le thème de l’habitat groupé organisé par Couples et Familles en partenariat avec City and Shelter. Cette publication comporte, entre autres, des renseignements sur les formes juridiques que peut prendre un habitat groupé.
  • L’association « Abbeyfield » est une association qui met en Å“uvre des habitats groupés à destination des personnes âgées, mais c’est aussi un mouvement de volontaires qui aide des aînés le plus souvent isolés mais autonomes à partager un cadre de vie épanouissant. Contact pour la Belgique : rue de l’Aurore, 1A, 1000 Bruxelles, abbeyfield.asbl@skynet.be, www.abbeyfield.be.
  • « Un autre chez soi. Guide d’entrée en maison de repos », brochure des Mutualités socialistes. Ce guide aborde l’entrée en maison de repos ou en résidence-services en Wallonie et fait le point sur les démarches, le coût d’hébergement, les droits et obligations de chacun, et sur la protection des biens des personne âgée.
  • « Vieillir et rester autonome », brochure de l’UCP (union chrétienne des pensionnés), 2005. Une information sur les services et formes d’aide à la disposition de toute personne soucieuse de son autonomie.
  • « Vieillir et garder son autonomie », brochure de l’UCP, 2005. Que se passe-t-il lorsqu’une personne âgée devient dépendante ? Comment faire ? Cette brochure propose une série de pistes et de conseils utiles.
  • Site des recherches multi-disciplinaires sur la santé et le vieillissement, le système d’aide et de soins aux personnnes âgées : www.inserm.fr

 


[1] Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques www.insee/fr
[2] idem
[3] Ce film a été publié en DVD par TF1 et peut faire l’objet d’une bonne introduction à un débat sur le comportement ... à éviter à tout prix une fois l’âge venu.
[4] à ce propos « Et si nous habitions autrement », éd. Feuilles Familiales, 2001, qui aborde la question particulière de l’habitat groupé.
[5] texte rédigé par Jean Hinnekens

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