Analyse 2006/11

 

Associations et politiques s’interrogent souvent sur les besoins des familles d’aujourd’hui. Voici la manière dont "Couples et Familles" les perçoit, au départ de son travail.


Une méthode de travail


Quelle est notre perception du vécu et des besoins des familles [1] ? L’analyse présentée ici parle bien de « perception ». De fait, nous ne sommes pas un institut de sondage mais notre travail s’effectue en permanence en va et vient entre le vécu des personnes et « l’expertise » de recherche dans tous les domaines qui ont un impact sur la vie des couples et des familles. L’objectif du travail est la diffusion de réflexions et d’études par le biais de publications (dossiers ou livres) ou d’animations, en espérant ouvrir, pour celles et pour ceux avec qui nous entrons de la sorte en contact, des chemins pour se poser les bonnes questions à propos de ce qu’ils vivent, et pour pouvoir le faire avec les éléments les plus adéquats. Notre méthodologie de travail est le « voir - juger - agir ».


Les attentes des couples et des familles sont sans cesse en contraste : beaucoup d’espérance mais aussi de rêves, et dès lors d’inévitables difficultés à gérer un réel en perpétuel changement. Nous attendons tellement de cette démarche d’amour et de ce lieu familial que nous voudrions à l’abri des agressions, que les difficultés nous rendent fragiles, et que les déceptions voire les échecs et les ruptures sont à la hauteur de nos attentes. Comment avancer dans tout cela ?


Nous avons bâti cette analyse autour de trois axes pour chacun desquels nous avons privilégié un ou deux aspects. Un premier, d’ordre plutôt historique et sociétal. Un second d’ordre relationnel et un troisième d’ordre éducatif, pour terminer par un petit détour philosophique.


Pourquoi ne pas commencer par un conte ?


Il était une fois, une femme. Elle sortit de sa caverne comme tous les jours et partit à la cueillette de ce qu’elle trouverait, deux enfants sur ses pas et un pendu à sa vareuse de peau de bête. Elle ramassa et cueillit comme tous les jours. Soudain, elle eut l’esprit attiré par ce qu’elle voyait pourtant depuis des années déjà : un fruit de l’année précédente qui n’avait pas été ramassé et dont commençait à germer une plantule. Lui vint à l’esprit que c’était peut-être la promesse de nouveaux fruits, nés là où on le voudrait. Elle le cria au vent et quelques centaines d’années plus tard, il y avait des champs et des vergers.


Il était une autre fois une femme qui se lamentait : son aïeule, que tous les humains considéraient comme mystérieuse au point d’avoir fait d’un être qui lui ressemblait leur déesse, mère de tous les vivants, avait découvert la germination. Depuis, des ponts avaient été construits et beaucoup d’eau était passée dessous. Depuis donc, on s’était rendu compte qu’il en allait de même pour les bêtes puis pour les gens. Plus de mystère : le mâle déversait sa graine dans la femelle, comme la graine tombait dans la terre. Le mystère de la vie changeait de genre. C’est désormais un être qui ressemblait au mâle dominant dont ils avaient fait leur dieu. Elle, la femme, comme la terre qui n’appartenait à personne aux temps lointains de son aïeule, était devenue possession de qui l’ensemençait.


Bien plus longtemps après, une troisième femme se libérait. De bois, les ponts étaient devenus de pierre puis de métal, et des océans entiers leur étaient passés dessous. Les mystères s’évanouissaient les uns après les autres. La graine du mâle n’était qu’une demi-graine dont rien ne sortirait jamais sans la demi-graine femelle. Les dieux mâles n’avaient donc qu’à bien se tenir.


Trois étapes s’étirant certes sur des millénaires, mais dans cette histoire, la troisième étape n’a que quelques années à peine. 150 ans seulement en effet que nous connaissons le rôle des ovules dans la fécondation. Peut-être était-ce la découverte la plus perturbante pour toute l’organisation de la Société, et pour l’avenir de l’humanité entière, sans toutefois que nous ne nous en soyons encore bien aperçu, tant de découvertes de plus en plus étonnantes ayant modifié simultanément l’environnement humain [2].


Besoins de repères : valeurs et progrès de la science


S’il est vrai que ce sont les relations de l’humanité aux connaissances qu’elle a de sa propre reproduction qui ont modelé sa conception de l’organisation sociale et sa perception de la transcendance, nous ne sommes en effet qu’au début de son impact sur nos modes de vivre ensemble. Dans ce contexte en pleine révolution, nous avons toutes et tous besoin de repères. Nous courons de plus en plus vite, mais savons-nous vers où ? Pour beaucoup d’entre nous -dans l’idéal, ce devrait être pour tous- la grande question, au sein des familles, c’est de savoir comment se construire ses repères ? Comment faire « chemin de sens », sans se laisser submerger par les pouvoirs, qu’ils soient médiatiques, politiques, scientifiques ou encore religieux ? Comment entendre toutefois les interpellations et construire nos fidélités ?


Face à cette question, comme de tout temps, nous nous trouvons dans une situation de tension entre deux « savoir » -, mais je serais tenté de dire, entre deux prétentions au savoir. D’une part, celle du sens des destinées de l’humanité, le savoir spirituel en quelque sorte, et de l’autre, celle du savoir scientifique. Le premier prétend déterminer les « comment vivre », sur base des valeurs qu’il défend du « pourquoi vivre », le second sur des réalités objectives des « comment vivre », en fonction de ses découvertes qu’il considère comme progrès du seul fait de les avoir découvertes.


Cette tension entre respect des valeurs et avancées des progrès de l’humanité est salutaire et ne peut se perdre. L’ennui, c’est que ces « savoirs », à nos yeux par essence transitoires et partiels, se sont toujours rigidifiés en pouvoirs qui s’affrontent plutôt que de se confronter en tension en vue d’un avenir qui toujours cheminé vers des horizons insoupçonnés.


Entre les valeurs que prétendent défendre les uns et les moyens nouveaux qu’expérimentent et que procurent à l’humanité les autres, ce n’est pas un dialogue de partenariat qui se vit, mais des invectives de traditionalisme et de ringardise d’un côté et d’immoralité voire d’inconscience de l’autre. Plus d’humilité de part et d’autre permettrait de mieux comprendre, ensemble, les véritables avancées et les vrais risques pour l’humanité.


Des pistes pour un vivre mieux


Or, aujourd’hui plus jamais, les couples et les familles sont confrontés à des choix qui impliquent, et les valeurs, et les moyens. Inutile que je vous énumère ici, pour me faire comprendre, toutes les questions éthiques que soulèvent, mais aussi toutes les perspectives qu’offrent les découvertes multiples sur les plans de la médecine, de la biologie ou encore de la génétique.


La valeur fondamentale, clé d’analyse et d’évaluation de tous nos comportements, c’est, aux yeux de « Couples et Familles », l’amour vécu concrètement et non des principes radicaux d’amour imaginés hors de toute réalité vécue. C’est cette valeur-là dont nous avons à porter le message dans la société concrète d’aujourd’hui.
Nous n’avons pas à rêver de couples et de familles qui répondraient à je ne sais quel idéal. Ce qui importe, c’est que nous portions partout et de manière crédible une question : comment, dans les situations à affronter concrètement, trouver les chemins qui permettent d’aimer plus et mieux, toutes celles et tous ceux qui croisent notre chemin ?
Enfin en ce qui concerne cette ligne de réflexion plus sociétale, il importe aussi que nous nous tournions par priorité vers les plus démunis, en bien être matériel peut-être, mais tout autant en bien être mental et moral. La priorité pour les pauvres est une exigence d’engagement économique et politique, mais tout autant une exigence de ce que Maurice Bellet appelle le grand soin. Toutes les situations dans lesquelles des personnes sont abandonnées dans la détresse se révèlent, à terme, des chancres qui blessent la société tout entière


Multiplicité des contextes de vie des couples et des familles


Pour aborder l’axe relationnel, il ne faut pas parler sur base d’une quelconque théorie, mais tenir compte de l’évolution des contextes de vie des couples et des familles. Ces contextes sont variables suivant les milieux économiques et sociaux, suivant les impacts des décisions prises au niveau politique, en ce qui concerne la sécurité sociale par exemple, mais aussi suivant les compositions concrètes des familles : élargies, nucléaires, mono-parentales, éclatées, recomposées ...


 l’origine et au coeur de tout cela, il y a la relation d’un homme et d’une femme. Je n’aborderai pas ici la situation des familles construites autour d’une relation homosexuelle, non par rejet, mais parce qu’à ce jour, les éléments sont trop peu nombreux encore pour aborder la question de manière suffisamment crédible.


L’attente et le rêve de nombreux couples, c’est celui de l’épanouissement de soi grâce à la relation de couple et à la vie de famille, dans un lieu, comme je l’évoquais plus avant, à l’abri des agressions extérieures.


Cela se traduit dans une relation de couple « donnant-donnant », « gagnant-gagnant » : je te permets de t’épanouir et j’attends de toi une réciprocité, relation de deux individus bien distincts, et c’est là une évolution positive, mais où l’épanouissement personnel prend plus d’importance que le projet de couple ou de famille : je dois prioritairement être fidèle à moi-même et m’épanouir. Pour positive que soit cette démarche, elle a des limites.


Elle est d’ailleurs relativement récente, très récente même en termes d’Histoire. Elle ne s’est imposée en effet qu’il y a une bonne trentaine d’années. Les choses peuvent se résumer de la manière suivante. Auparavant, l’objectif qui faisait essentiellement sens, c’était de « faire son devoir ». Après le bouleversement qu’ont constitué la « grande guerre » et la guerre 40-45, vers les années cinquante, il s’est agi prioritairement de réussir dans la vie, d’avoir une famille, d’avoir un métier, de s’insérer socialement. Depuis une trentaine d’années, l’objectif, c’est de réussir SA vie, c’est-à-dire d’être créatif, d’être autonome.


Cette hyper aspiration à l’épanouissement risque, si elle n’est pas travaillée, d’enfermer dans l’imaginaire et dans le rêve de « toute-puissance », nous y reviendrons dans le détour philosophique par lequel nous terminerons cette analyse.


Combiner l’individuation et la relation


Sur le plan de la relation de couple, comment faire en sorte que cette attente réciproque n’enferme pas dans des démarches soit fusionnelles, soit de simple juxtaposition ? Comment conjuguer proximité et distance ? Comment s’ouvrir, individuellement et en couple, au tiers : l’enfant, l’autre du couple, la société, l’autre proche ou plus lointain, qui parfois me dérange, le Tout Autre ?


Ainsi, au niveau du couple, tout est à réinventer. Nous n’avons plus de modèle de référence. Nous n’avons plus de critères sociaux pour baliser le chemin. Que tout soit à construire, c’est une chance, si l’on est tout au moins capable de puiser en soi et dans nos traditions des points d’ancrage pour avancer en eaux profondes.


Comment inventer des relations homme/femme qui soient de réelles relations de partenaires ouverts ensemble à la vie, celle des enfants, sans doute, mais aussi celle de toute la création ? Comment se reconnaître différents et égaux sans s’enfermer, ni dans des modèles anciens mais toujours dominants du pouvoir patriarcal, ni dans des modèles inversés d’un pouvoir de la femme ? Tel est le souhait de nombreux couples, tel est alors le défi et l’enjeu auxquels ils sont confrontés.


Quand tout est ainsi à inventer, des lieux suffisamment « stables » sont nécessaires pour permettre la confrontation des convictions et le partage des expériences. Or, ces lieux font aujourd’hui souvent défaut ou, lorsqu’ils existent, ils éprouvent beaucoup de difficultés pour rassembler de jeunes couples et de jeunes parents.


Trouver du temps pour la réflexion


Ces difficultés proviennent paradoxalement parfois d’une certaine multiplicité d’offres aux objectifs souvent mal définis. Le plus souvent toutefois, elles trouvent source dans le manque de temps nécessaire à une réflexion des partenaires du couple. C’est que ce temps est littéralement et totalement « bouffé » par la vie professionnelle, par la vie sociale, par l’école des enfants, par la gestion de leurs activités parascolaires de plus en plus nombreuses, par le souci aussi de plages suffisantes du « vivre ensemble » conjugal et familial, mais également par la crainte de se faire récupérer par le discours des Institutions.


Cette question de temps (Couples et Familles a publié en 1999 une étude consacrée à la question du temps dans la vie familiale, sous le titre "J’ai pas le temps") est une question fondamentale pour les couples aujourd’hui. On n’a jamais parlé autant de temps libre et rencontré autant de personnes stressées par le temps. Il y a là aussi des questions politiques, économiques et sociologiques à soulever.


Et puis, devenir parents !


Faire couple et faire famille aujourd’hui, c’est donc bien une nouvelle aventure. Au sein de celle-ci, devenir parents en est une autre.


Les motivations à mettre un enfant au monde sont aujourd’hui en effet plus interpellées qu’hier. L’enfant s’y inscrivait comme une conséquence biologiquement incontournable pour la plupart. Il est le plus souvent aujourd’hui le fruit d’une décision. C’est plus qu’une évolution, c’est une rupture de pensée.


Mais quelle que soit cette rupture et quelles que soient les motivations qui conduisent à l’enfant, une fois qu’il paraît, les questions primordiales qui se posent aux parents d’aujourd’hui ne diffèrent pas essentiellement de celles auxquelles étaient confrontés les parents d’hier : comment leur permettre de faire face à la vie, comment leur trouver place dans la société et, mais c’est plus récent on l’a entendu, comment leur permettre de s’épanouir et d’être heureux ?


Aujourd’hui comme hier, ces questions sont toutefois réfléchies et vécues fort différemment en fonction des objectifs que les parents se donnent. Il semble, à regarder ce qui se passe autour de nous, que les domaines qui sont les plus intégrés dans l’agir des parents, ce sont les préoccupations d’ordre psychologique et médical, dans une perspective à la fois double et contradictoire : celle de la survalorisation de l’enfant d’une part et celle du souhait qu’il soit le moins encombrant possible de l’autre. Ce ne sont évidemment pas des comportements totalement généralisés, mais ils correspondent néanmoins à une large couche de la population.


C’est en cela que des démarches comme celles de notre association ont leurs raisons d’être : donner aux parents des pistes qui leur permettent d’aborder les questions qui se posent à eux de la meilleure façon possible, avec un souci, dans toute la mesure du possible, des familles les plus démunies.


L’autonomie de l’enfant comme horizon


Pour « Couples et Familles », l’horizon de l’éducation, c’est l’autonomie vers laquelle conduire pas à pas cette humanité nouvelle qu’est chaque enfant.


Première exigence dès lors, celle d’instaurer progressivement une distance entre l’enfant et les parents, non pas cette distanciation froide de certaines familles bourgeoises du dix-n,euvième et du vingtième siècle, mais l’accompagnement de l’enfant dans sa prise de conscience progressive, dans un climat de tendresse, qu’il aura à tracer seul son chemin dans la vie.


Mais il ne pourra le tracer qu’à certaines conditions et plus particulièrement :

 

  • de se sentir reconnu et aimé comme un être unique et digne de confiance ;
  • d’apprendre, à travers la confrontation aux limites qui sont les siennes mais aussi à celles qu’impose la vie en collectivité, à se structurer, à savoir se dire « non » pour mieux savoir dire « oui » et à se tenir aux choix pour lesquels il optera ;
  • de disposer de repères auxquels se référer pour opérer ses propres options de vie ;
  • d’avoir un esprit critique aiguisé dans tous les domaines, de sorte à ne pas laisser à d’autres de dominer les choix dont il aura à assumer les responsabilités.


Or, ces objectifs essentiels sont en tension constante entre eux :

 

  • entourer l’enfant d’affection et de tendresse est un élan qui ne s’accorde pas toujours facilement avec l’absolue nécessité de lui dire non et de lui fixer fermement des limites ;
  • lui donner des repères et lui partager dès lors ce en quoi nous croyons et qui est essentiel à nos yeux, mais lui apprendre simultanément à les mettre en question pour qu’il puisse à son tour, soit les faire vraiment siennes, soit opter pour d’autres, mais en connaissance de cause et en pleine responsabilité.


Etre parent : tout un programme


Être parent, c’est donc, vis-à-vis de chaque enfant, se mettre en tension permanente, une tension qui s’apparente parfois au rapport de force, ceci afin qu’il puisse nous quitter et prendre son envol - car c’est là qu’est vraiment l’objectif.


Être parent, c’est du fait même, vis-à-vis de soi-même, se placer dans la situation de devoir se remettre en question, en situation d’évaluer ses propres repères et ses propres limites.


Remise en question et évaluation constantes aussi, au sein du couple, de la manière d’assumer en vérité les responsabilités parentales, par une vérification constante de la connivence des conjoints comme parents, sur chaque aspect que nous venons d’évoquer.


Être parent c’est bien évidemment accompagner les enfants à l’école de la vie, mais c’est tout autant se mettre soi-même en « rééducation » dans le monde en mouvance, voire en effervescence, vers lequel nous les accompagnerons, jusqu’à ces carrefours de route où nos chemins et les leurs iront se séparant.


Donner certes des racines, mais des ailes, aussi et tout autant.


Un rien de philosophie


Mais revenons pour terminer sur cette notion de toute-puissance, nous référant pour cela aux travaux réalisés par « Couples et Familles » avec Jean-Michel Longneaux, Philisophe des Facultés Notre-Dame de Namur.


Parmi la multiplicité des désirs humains, il y a trois ressorts fondamentaux qui constituent l’existence humaine. Ces trois ressorts ont besoin d’être travaillés, épurés, pour être moteur d’humanité et pour éviter les dérives infantilisantes.


1. Le premier ressort est celui du désir de toute-puissance : tout est toujours possible, je me veux irréprochable, parfait, tout est accessible... Vous avez sûrement diverses images en tête. Or, le réel est limité, le réel est finitude : il y a la mort, il y a le temps, l’espace.


2. Le deuxième désir est celui de proximité, de reconnaissance. C’est ce qui nous permet d’être en relation. Mais derrière ce désir, il y a le besoin que l’autre me rassure sur moi-même et, à l’inverse, que l’autre soit tel que je le souhaite. Pensez aux attitudes des petits enfants, à leurs rages, à leurs peurs .... Or, nous sommes fondamentalement solitude. Dans la relation, ce n’est que quand on accepte cette solitude qu’on libère l’autre de l’obligation de nous prouver qu’on est aimable.


3. Il y a aussi un désir de « tout m’est dû ». Si je travaille, j’aurai de bons points. Si je suis gentil, je serai aimé. Si je mange bien, si je fais du sport, je serai en bonne santé. Pensez par exemple à l’expression : « Qu’est-ce que j’ai fait pour que ça ne marche pas ? ». Dans le réel, rien n’est dû, tout est incertitude.


Dit comme cela en couples d’opposition - toute-puissance/finitude, proximité/solitude, tout m’est dû/incertitude -, cela peut paraître très théorique. Pourtant, en creusant un peu, nous trouverons vite des exemples en nous et autour de nous.


Le désir est un moteur puissant et positif, mais lorsqu’il ne s’articule pas au réel, à la réalité, il nous pousse à nous évader dans un monde imaginaire qui, tôt ou tard, nous confronte à l’insatisfaction. L’hypertrophie de ces différents désirs nous fait vivre dans le ressentiment, la déception ou la recherche sans cesse d’un ailleurs qui collerait à nos rêves. Pour vivre pleinement la réalité, il faut faire le deuil de sa toute-puissance. Pour vivre le bonheur de sa famille, il faut faire le deuil de la famille idéale qui, d’ailleurs, n’a sans doute jamais existé que dans l’imaginaire, fut-ce l’imaginaire des publicistes. Vivre le couple, être en relation avec ses enfants, c’est renoncer, on l’a vu, à des démarches fusionnelles.


L’humain est toujours déchiré entre l’imaginaire et le réel : les repères et les lois structurent le réel. Les enseignants le savent bien : les enfants qui ne sont que dans l’imaginaire - et c’est terriblement paniquant pour eux et pour leur entourage -, cherchent, en provoquant toujours plus loin, à obtenir des limites pour sortir de l’angoisse de la toute-puissance. Ces désirs de toute-puissance, de fusion, de « tout m’est dû », on peut le vivre dans la famille, dans le couple, mais cela peut se vivre aussi dans nos institutions. Peut-être faut-il mourir pour vivre, perdre pour gagner.


Ce type de réflexion, nous l’avons éprouvé, permet d’aller au cÅ“ur de ce que vit l’humanité, quand « Couples et Familles » travaille dans des groupes de quartier ou d’associations, avec des enseignants, ou encore avec des personnes émergeant à un CPAS qui font appel à nous pour réapprendre à « faire lien ».
Peut-être est-ce aussi une clé de lecture pour accepter de ne pas savoir, de ne pas maîtriser ce que sera la famille demain. En accepter l’incertitude tout en nous réjouissant de ce qui germe ici et là et en retroussant nos manches pour qu’advienne une réalité féconde.


Outil pour creuser


Pour travailler ces différents aspects en ateliers ou en groupe de réflexion, plusieurs méthodes sont évidemment envisageables. A titre d’exemple, nous proposons en conclusion de cette analyse et pour la prolonger les deux questions suivantes :


Dans votre vie de tous les jours et en dehors de votre situation personnelle - milieu de travail, amis, connaissances ... - , où et comment rencontrez-vous concrètement les questions familiales ? Quelles sont ainsi les questions rencontrées ?
Pour rejoindre ces questions, que pouvons-nous puiser comme repères dans nos convictions sur le sens de la vie et nos aspirations de vie en société ? Comment pouvoir en faire, pour nous-mêmes et nos contemporains, des moteurs de développement humains accessibles à toutes et à tous, sans nous complaire dans des rêves illusoires de restauration ?

 

 


[1] cette réflexion a été rédigée par Jean Hinnekens, suite à son intervention et celle de Danielle De Bie dans le cadre de la journée de réflexion organisée par le CIL le samedi 14 octobre 2006. Ce texte tient compte de la présentation initiale ainsi que du travail en ateliers et en assemblée plénière
[2] cette vision de l’évolution a été traduite sous forme d’un poème, édité aux Feuilles Familiales : "L’Autre Histoire", de Jean Hinnekens, illustré par des gravures de Jean-François Favre. Cet ouvrage est toujours disponible au prix de 16,10€

 

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