Analyse 2006/9

Au départ de l’évolution de la pensée catholique à propos du corps, une réflexion sur le rapport au corps, essentiel dans toutes les relations, en particulier les relations de couple.


Le corps dans la religion catholique : le Petit Catéchisme de 1946


Le petit catéchisme catholique d’antan apprenait que nous avions une âme immortelle et un corps mortel. « Qu’est-ce que l’homme ? » interrogeait-il. Et il se répondait à lui-même : « L’homme est une créature raisonnable, composé d’une âme immortelle et d’un corps mortel [1] ». L’âme y était décrite par ailleurs comme un esprit, créée pour être unie à un corps [2] . Immortelle parce qu’esprit, elle était image et ressemblance de Dieu, douée d’intelligence et de volonté [3] . Pour ce qui était de ce corps mortel auquel elle était unie par l’intention créatrice même [4], il n’en était plus question que de manière allusive et par circonvolution qui, même en matière de tempérance et de chasteté par exemple, renvoyait aux rejets des péchés extérieurs et intérieurs : toute chose « qui peut conduire au péché » d’un côté, mais sans toutefois la moindre évocation de comportements concrets, et « les mauvais désirs et les pensées mauvaises » de l’autre [5]. On pressentait bien sûr derrière tout cela le corps, bien impur d’ailleurs, mais il n’était pas vraiment présent. Pourtant, ce même petit catéchisme affirmait avec autant de force que le corps ressusciterait au jugement dernier et qu’il serait uni de nouveau à l’âme. Preuve qu’il constituait vraiment une unité avec celle-ci. Il ajoutait d’ailleurs que ce corps serait associé à la récompense ou à la punition de l’âme. C’était même la raison pour laquelle il ressusciterait : glorieux en cas de récompense, misérable et livré aux tourments éternels si l’âme avait à être punie [6].


Le Livre de la Foi de 1987


40 ans plus tard, « Le livre de la Foi », publié par les Évêques de Belgique, n’affirmait plus de manière explicite cette partition de l’humain. Il affirmait au contraire : « Le corps est inséparable de l’homme. Il en fait partie intégrante... Le corps est saint, comme la personne : il vient de Dieu et il va à Dieu. Respecter le corps, c’est respecter la personne [7] ». Le corps, pleinement considéré comme l’incarnation de la vie, y trouvait place de manière concrète : « La santé est quelque chose de merveilleux. Elle a besoin d’hygiène, de sports, de repos en son temps... Être en bonne santé et soigner sa tenue est un don pour nous-mêmes, pour ceux qui nous entourent, pour notre conjoint, nos enfants et nos parents. » Ou encore : « La vérité de l’homme et de la femme est qu’il faut s’accepter tel qu’on est, avec le corps qu’on a. Loin du rêve publicitaire de l’éternelle jeunesse, nous vieillissons. Il n’est pas facile de vieillir sereinement et d’accepter de mourir. [8] » Même le corps sexué trouvait place de manière très concrète : « Notre sexualité est une composante fondamentale de notre personnalité ; c’est une façon d’exister, de se manifester, de communiquer avec les autres, de ressentir, d’exprimer et de vivre l’amour humain [9] ». De même il affirmait par exemple : « Tout en tenant compte de la gravité objective de la masturbation, nous devons être prudents dans l’évaluation de la responsabilité réelle de la personne [10] ». Que l’on soit ou non d’accord sur le jugement porté sur ce que ce « livre de la foi » appelait « l’auto-érotisme » ne change rien à la rupture de ton avec le « Petit Catéchisme » de 1946, le corps n’était plus tabou de la même manière : on osait en parler concrètement, jusque dans les aspects considérés, à tort ou à raison, comme déviants et donc réprouvables. Le livre de la foi ne s’était toutefois pas totalement débarrassé de cette partition de l’humain en corps et âme, puisqu’il affirmait par ailleurs : « ressusciter, c’est se recevoir de Dieu, corps et âme ». C’est que « le mystère de la mort qui nous dépasse », celle du corps et de sa résurrection plus particulièrement, suppose au moins qu’un temps, il y ait séparation entre l’écorce terrestre et l’esprit qu’elle exprimait. « Il faut accepter de mourir et de mourir vraiment. [11] »


Le Nouveau Catéchisme de 1996


Le « nouveau » catéchisme publié par la suite - 1992 - n’en sort pas beaucoup mieux dans cette distinction entre le corps et l’âme que la mort semble devoir imposer, à tout le moins pour un temps, à moins de croire à une mutation instantanée de corporéité à l’instant de la mort, ce en quoi personne ne semble croire. Il affirme en effet : « La personne humaine, créée à l’image de Dieu, est un être à la fois corporel et spirituel. Le corps de l’homme participe à la dignité de l’" image de Dieu " : il est corps humain précisément parce qu’il est animé par l’âme spirituelle, et c’est la personne humaine tout entière qui est destinée à devenir le Temple de l’Esprit. Corps et âme, mais vraiment un, l’homme, dans sa condition corporelle, rassemble en lui-même les éléments du monde matériel qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet. L’unité de l’âme et du corps est si profonde que l’on doit considérer l’âme comme la " forme " du corps, c’est-à-dire, c’est grâce à l’âme spirituelle que le corps constitué de matière est un corps humain et vivant ; l’esprit et la matière, dans l’homme, ne sont pas deux natures unies, mais leur union forme une unique nature. [12] »


Vivre pleinement son corps


Ainsi, rien qu’en s’en tenant aux affirmations officielles de l’Église Catholique en cinquante années à peine, on s’aperçoit que la perception du corps a fortement évolué. Mortels ou immortels, nous le sommes « corps et âme », mais comment ? Mystère certes, mais par-delà les dogmes, les hypothèses, les supputations ou les intuitions de foi, comment nous y retrouver, comment vivre l’expérience quotidienne d’être pleinement notre corps ? Il importe à une association comme « Couples et Familles » de revenir et de revenir encore sur cette question essentielle. Le corps est vécu dans le couple et dans la famille de manière tout à fait particulière, dans la mesure où ils sont les lieux même de l’extériorisation de la corporéité, que ce soit dans sa dimension de relation la plus intime comme dans celle de la transmission de la vie. CÅ“ur, corps et esprit sont des concepts qui nous définissent en nous morcelant, mais nous savons bien que lorsque l’un boîte, c’est l’ensemble qui est mis en cause et qui en souffre. Nous sommes et nous vivons un... jusqu’à ce que mort s’en suive. Nous aimons, nous pensons et nous ressentons, mais tout à la fois, cÅ“ur plus ou moins accueillant aux autres, intelligence plus ou moins cultivée, plus ou moins vive, plus ou moins curieuse, corps plus ou moins jeune, plus ou moins en bonne santé, plus ou moins beau, plus ou moins vulnérable.


Notre corporéité nous fragilise ou nous exprime


Ce « nous », vécu dans l’incarnation, nous fragilise, de la naissance à la mort, mais cette fragilité est ouverture au besoin que nous avons les uns des autres, au soin que nous pouvons nous apporter mutuellement, tantôt plus, tantôt moins, au plaisir ou à la souffrance que nous pouvons nous faire les uns aux autres. Cette fragilité nous est ainsi confiée personnellement et collectivement : nous avons à mettre toutes nos facultés au service de la gestion de notre corporéité. Notre « bonne ou mauvaise forme » d’aujourd’hui n’est-elle pas souvent le résultat de nos comportements d’hier ? Ne reflète-t-elle pas l’attention portée hier ou avant-hier à notre qualité de vie et d’environnement. Naître c’est déjà vieillir, comment gérer dès l’aube les dernières heures du soir ? Ce corps que je suis, c’est aussi mon être à moi-même et à l’autre. Il est la vitrine de ce que je suis. Il est également l’environnement des autres. Être « bien » dans sa peau, être « beau » dans sa peau, qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Quel sens cela peut-il avoir ? Corps séduisant ou corps séducteur ? Cela ne sera que ce que nous voudrons. Quelle responsabilité assumons-nous face à ce mystère et à ces questions ? Quelle éducation donnons-nous sur ce plan aux enfants et aux jeunes ? Quelle expression donnons-nous de nous-mêmes, personnellement et collectivement, à ce corps que nous sommes ? Tant sur le plan de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie ou de la théologie que sur celui des soins - dans le sens médical comme dans le sens esthétique de ce terme -, les perceptions ont fortement évolué et méritent d’être réfléchies en profondeur par chacune et chacun de nous.

 

 


Texte rédigé par Jean Hinnekens
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[1] question 47
[2] question 48
[3] question 49
[4] question 48
[5] questions 288 et 289
[6] questions 137 et 138
[7] page 77
[8] page 186
[9] page 190
[10] page 194
[11] page 78
[12] questions 363 à 365

 

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