Analyse 2006/6

Le suicide est souvent une énigme pour les proches et la problématique du suicide à l’adolescence est encore plus incompréhensible pour des parents. C’est pourtant la première cause de suicide chez les jeunes. Alors, quelle attitude adopter en tant que parents ?

 
Créer le lien


Evoquons un scénario pour débuter cette réflexion. Il s’arrête au bord de la plage déserte. Il descend de voiture, la main serrant dans sa poche le revolver chargé. Cette fois, il ne se ratera pas. Mais voilà qu’elle arrive, grande ado dégingandée. Qu’est-ce qu’elle vient foutre là ? C’est une obsédée de propreté. Elle n’arrête pas de se laver les mains, de s’essuyer, de frotter ses ustensiles de pique-nique. La voilà qui veut faire un feu et s’adresse à lui. Il l’aide. C’est pas vrai ! C’est cette fois un cycliste super équipé qui s’amène. Le voilà en plus qu’il se dévêt pour piquer une tête dans la mer. Elle peut être traîtresse la mer : le cycliste s’y noie. Il s’en aperçoit, plonge et parvient à le ramener sur le sable... Trop tard : les premiers soins qu’il lui procure sont sans effet. Il regagne sa voiture, démarre, et jette son revolver par la fenêtre. D’avoir voulu sauver une vie, c’est la sienne qu’il a épargnée. Elle reste plantée là, avec ce qu’elle croit un cadavre. Elle, qu’un rien écÅ“ure, s’approche. Elle touche ce corps et, dépassant son obsession et ses répulsions, lui fait du bouche-à-bouche, encore et encore... Soudain, un jet d’eau de mer rejeté par le noyé lui jaillit à la figure : il est sauvé ! Fin.


Happy end facile pour ce film ? Clin d’Å“il bien sûr, mais pour un message clair : on ne sauve et l’on n’est sauvé du suicide que par les liens. Encore faut-il pouvoir s’inscrire dans le lien avec la personne qu’habitent des troubles suicidaires. S’inscrire dans le lien, cela signifie occuper une place, mais jusqu’où et comment ?


Les professionnels : leurs missions et leurs limites


Si l’on est amené à se situer en professionnel (enseignant, éducateur, intervenant...) dans ce lien, il importe de réfléchir à notre mission dans ce champ d’activité. Qu’attend-on de nous, là où nous sommes ? De quels moyens disposons-nous, mais quelles sont aussi les limites dans notre relation au suicidaire ? Quand on situe bien où l’on se trouve, on acquiert la liberté de ses limites, on ne flotte plus dans le vague et l’imprécis. Le risque, devant la menace de suicide, c’est soit de se laisser tenter par le rôle de sauveur, soit de rester figé, incapable de réaction. C’est de mort qu’il s’agit, et la crainte d’en être tenu pour responsable par l’entourage joue de tout son poids. Quantité de préjugés courent aussi, comme celui de croire que le suicidaire cache son jeu. C’est faux ! Il y a toujours des signes, mais encore faut-il que l’on veuille ou que l’on puisse les voir. L’histoire de chacun peut en effet faire resurgir des peurs inconscientes qui aveuglent. Oser avoir les yeux ouverts demande un débroussaillage qui n’est pas toujours aisé.


Être parents : avoir confiance en soi


En tant que parents, il y a déjà suffisamment d’anxiété et de charges. Il ne faut pas en rajouter en se mettant à tout surveiller, de la nourriture aux vêtements en passant par les relations et les goûts littéraires, cinématographiques ou cybernétiques des adolescents. Une agitation autour de tout et de n’importe quoi fait sortir de la relation. Quantité de livres donnent des conseils de tous ordres, qui sont d’ailleurs parfois contradictoires. Pas étonnant dès lors que certains en perdent toute confiance en leur capacité d’être de bons parents. Chacune et chacun doit avoir confiance en lui, en sa relation de parent. C’est d’abord de cela que le jeune a besoin. Il ne s’agit pas de « faire » le parent, mais de l’être en relation avec lui.


Être disponible par-delà les sentiments d’échec et de culpabilité


Certes, quand des signes de repli sur soi, d’agressivité, de modification importante de la relation à la nourriture, de modification d’apparence, virant au noir par exemple, ou d’autres se prolongent, il faut pouvoir aller s’enquérir, quitte à nous faire repousser. C’est notre rôle de parents d’entreprendre cette démarche, comme le rôle de l’ado est de nous contester. L’important est de lui rester disponible et qu’il le sache. C’est nous qui devons être stables, face à lui qui est changeant, parce qu’il se cherche. Nous avons évidemment énormément de difficultés à imaginer qu’un de nos enfants veuille mourir. C’est inacceptable et le fait lui-même engendre un sentiment d’échec et de culpabilité qu’il n’est pas facile de dépasser. Mais c’est au-delà d’eux et malgré eux que doit pouvoir s’exprimer notre disponibilité.


Des signes et de la parole


Souvent, le jeune ne sait pas bien définir lui-même ce pourquoi il en est là. C’est un événement prétexte qui est invoqué, qui cache quelque chose de plus profond, que lui-même souvent ignore. Dans tous les cas, le décodage est difficile. Il arrive que, dans la famille, on trouve tout à coup un écrit, journal intime ou autre, qui évoque la possibilité d’un suicide. Même lorsque cette découverte est le résultat d’une démarche indiscrète - mais assez souvent, le jeune suicidaire laisse involontairement traîner ses secrets au vu et au su de tous -, il ne faut pas hésiter à lui en parler. Certes, il faut le faire en tenant compte du type de dialogue qui existe au sein de la famille, mais serait-il pensable de nous comporter « comme si » nous ne savions rien ?


Un des risques toutefois est de tomber dans le cercle vicieux des agressions réciproques. Si, comme parents, nous ne pouvons pas lui dire, avec une tendresse dont il peut accepter l’expression : « Je me fais du souci pour toi », qui le lui dira ? Les parents doivent également éviter de tomber dans le piège du repli sur soi et dépasser leurs sentiments de culpabilité pour oser en parler à d’autres. La parole « décongestionne », elle permet de se mettre en situation et de mobiliser toutes les potentialités.


Une présence de témoin


Si j’ai vu, je dis. J’assume ainsi une position de « témoin ». La difficulté majeure du suicidaire est en effet de se sentir seul. La présence, ne serait-ce que comme témoin, brise déjà cet enfermement en soi. Être ce témoin intéressé, cette présence lui signifie implicitement l’importance qu’il a pour nous. Il importe d’oser s’aventurer dans le lien avec le jeune, sans se centrer sur le risque du suicide, mais en s’intéressant à ce qui se passe chez lui, en lui. Tenter de faire avec lui un état des lieux en quelque sorte. Cela n’a bien sûr rien de miraculeux ou de magique, mais c’est la seule voie.


Savoir passer le relais


Mais il faut aussi permettre au jeune de prendre distance. Ce n’est pas nécessairement nous qui sommes le mieux à même de l’aider. Il faut pouvoir s’écarter parfois un peu, passer la main, déléguer. Cette délégation, il faut même parfois la provoquer, en proposant au jeune de se faire aider, en l’exigeant même s’il est mineur.


Une approche systémique


Il serait faux également de croire que seule la personne suicidaire est en cause. Elle vit dans un contexte familial qui l’influence et qu’elle influence. C’est une approche systémique de l’ensemble du milieu familial qui est donc nécessaire. Quelqu’un a envie d’y mourir et d’en mourir ! Ce n’est pas rien, et cela interpelle tous ses membres. En cas de récidive, il importe plus encore qu’il y ait recours à une aide professionnelle, pour le jeune comme pour les autres membres de la famille, et pour les parents en particulier. Le poids de la tentative de suicide vient plomber et complexifier tous les éléments qui entrent en jeu, pour toute la cellule familiale. C’est tout le monde qui doit pouvoir s’en sortir.


Conclure ?


S’il fallait conclure, ce serait en mettant en exergue deux fils rouges de conduite, que ce soit comme professionnels ou comme parents : « Être en lien » et « Pas tout seul ». Ce sont en quelque sorte le recto et le verso de la même pièce, mais ils impliquent tous deux une attention à l’autre et une humilité suffisante pour oser libérer notre parole comme la sienne, et nous faire comme le faire aider.

 

 


Texte rédigé par Jean Hinnekens, au départ d’une recontre avec Béatrix Lequeux, du Centre de Prévention du Suicide, et sur base d’une animation- débat sur ce thème avec un groupe de parents.
Centre de prévention du suicide Place du Châtelain, 46 - 1050 Bruxelles Tél : 02/640.51.56 - Fax : 02/640.65.92 cps@preventionsuicide.be - www.preventionsuicide.be Numéro vert : 0800/32.123
Le centre de prévention du suicide possède un centre de documentation où l’on peut trouver plusieurs centaines de livres, articles, revues, documentaires, films concernant le suicide, la mort, le deuil.

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants