Analyse 2006/4

 

Eduquer un enfant ou apprendre à un toxicomane à se passer d’un produit sont deux chemins vers l’autonomie. C’est pourquoi les principes essentiels qui guident l’action de Trempoline pour les toxicomanes peuvent éclairer tous les éducateurs.


Recherche de l’équilibre et du plaisir


Nous cherchons tous la même chose : de l’équilibre et du plaisir. Cela se marque par des moments de joie, de détente, d’harmonie... Pour atteindre ce bien-être, une personne non dépendante s’appuie sur un socle important : elle a appris à communiquer, à se structurer, à prendre ses responsabilités, à être solidaire ; elle a des valeurs, un projet de vie. C’est en s’appuyant sur tout cela qu’elle arrive à échapper à la peur, à la colère, au stress, à la tristesse. N’ayant pas acquis cette capacité d’autonomie, le toxicomane s’appuie sur la drogue, l’alcool ou la violence pour échapper aux sensations négatives et atteindre le bien-être.


Lorsque un être humain rencontre un obstacle dans sa recherche du bien-être, il vit du stress. Pour retrouver l’équilibre, son premier réflexe est la fuite. Dans la vie de tous les jours, cela peut vouloir dire : « N’allons pas à l’école si cela fait peur, mentons pour échapper à une difficulté, etc. ». Lorsqu’il n’y a pas moyen de fuir, la deuxième solution est l’agression : « J’insulte mes parents ou mon professeur, ils n’oseront plus rien me demander ». Cela soulage, mais seulement à court terme. Si l’on réagit toujours par la fuite ou l’agression, on finit par régresser, car ces comportements ne respectent pas l’autre ni nous-mêmes et ne construisent rien. Il existe une troisième réaction possible : le blocage de nos émotions. Mais si l’on contient trop longtemps ses émotions, cela peut provoquer des problèmes psychologiques graves, comme la dépression. C’est la raison pour laquelle certains prennent des drogues pour se débloquer, mais, de nouveau, le soulagement n’est que de temporaire. Si j’arrive à danser ou à m’exprimer grâce à l’alcool ou à l’ecstasy, j’aurai toujours besoin du produit pour le faire. Par contre, si j’apprends à exprimer mes sentiments, je n’aurai pas besoin du produit pour recommencer.


Le but de notre action est d’essayer de faire cesser les comportements de fuite, d’agressivité ou de blocage. Pour cela il faut un adulte qui rappelle les règles, et qui met des sanctions lorsque les règles ne sont pas respectées. Mais l’adulte n’est pas seulement celui qui limite, il est aussi celui qui aime et veut le bien de l’autre. Il est important qu’un adolescent, au moment où on lui met des limites, sache aussi qu’il est aimé. Et comme c’est difficile de le dire au moment de la crise, il faut l’avoir dit avant. Cela peut se dire par de toutes petites choses : « J’ai passé un bon moment avec toi cet après-midi », « Cela te va bien, ce vêtement », etc. Cela peut aussi se faire en rappelant de bons souvenirs communs, des moments de plaisir, de bonne communication.


Mais il ne suffit pas de dire « stop ». Il faut aussi écouter. Et si ce n’est pas possible sur le moment, on peut dire au jeune : « On en reparlera demain », ou bien : « Va en parler avec ta maman, ou ton copain ». En parlant à quelqu’un d’autre de ce qui s’est passé, le jeune arrive à élaborer par la parole d’autres attitudes moins destructrices que les comportements violents.


Une autre manière de réagir est de se mettre du côté de l’enfant, de le sur-protéger : « Je suis d’accord avec toi, ton prof exagère... Je vais aller le trouver ». Quand il agit ainsi, l’adulte installe une co-dépendance. L’enfant est dépendant et le sera encore davantage parce qu’il y a un adulte qui est complice et qui le laisse descendre. Il peut aussi y avoir, à l’opposé, une co-dépendance par sous-protection : « Ne compte pas sur moi ! », « Je n’ai pas le temps ! ». C’est une autre façon de ne pas permettre à l’enfant de sortir de la dépendance, en lui refusant l’assistance dont il a besoin dans certaines situations.


Le comportement est un langage... qui ne ment pas


Dans nos thérapies, après avoir longtemps tout misé sur le langage verbal, on s’est rendu compte que le comportement était lui aussi très important. Il n’est pas possible de ne pas avoir un comportement : quand je me tais, quand je ne viens pas à une rencontre, c’est un comportement, le signe de quelque chose, un langage. C’est pourquoi les éducateurs doivent toujours être attentifs aux détails. On fait un cadeau à nos enfants quand on peut leur dire : « Il y a six mois tu étais toujours joyeuse, contente d’aller à l’école. Et maintenant je vois que tes résultats scolaires ont baissé, tu deviens agressive, etc. Cela m’inquiète ou me rend triste ».


L’équilibre par la relation


Face à des adultes qui lui mettent des limites, qui l’empêchent d’avoir des réactions de fuite ou d’agressivité, l’enfant est obligé de contenir ses pulsions. Après cette étape de contention, il passe à une phase d’élaboration. Prenons l’exemple du jeune enfant de deux ans en train de manger. Quand il n’a plus faim, il crache ou il jette son assiette par terre. Sa maman réagit en se fâchant : « On ne peut pas, ce n’est pas bien ! ». L’enfant mémorise la réaction de sa maman et, le lendemain, il s’efforcera de contenir sa réaction violente et d’élaborer une autre solution. Il se tournera par exemple vers sa maman en disant : « Veux pas ! ». Et si sa maman ne réagit pas avec colère et engage le dialogue avec lui : « Tu n’aimes pas ? Tu n’as plus faim ? », l’enfant mémorisera également cette réaction. C’est à force de répéter ces expériences que l’apprentissage des comportements adéquats s’effectue. Mais il est indispensable pour cela que les parents réagissent lorsque l’enfant adopte un comportement qui ne convient pas.


A noter aussi qu’il ne faut jamais juger les sentiments. On peut refuser un comportement, des insultes, par exemple. Mais on ne se fâche pas parce qu’un enfant a peur. La peur ou la colère ne portent pas atteinte à l’autre. Mais pour accepter les sentiments de l’enfant, il faut que nous puissions aussi accepter les nôtres et les exprimer par des mots : « J’ai peur, j’ai mal, je suis fâché, j’ai honte... ». C’est indispensable si nous voulons que les enfants et les jeunes en soient capables.


Quelques principes de base


Voici quelques principes de base sur lesquels nous nous appuyons dans nos thérapies. Le premier principe est la cohérence. L’enfant a besoin qu’il y ait autour de lui des adultes cohérents. Que leurs comportements soient cohérents avec ce qu’ils disent, mais aussi qu’ils soient cohérents entre eux. Même s’ils ont des points de vue différents, les parents doivent être unis concernant les objectifs à atteindre et les limites à ne pas franchir. Même s’il y a eu séparation du couple parental, il faut qu’ils continuent à se mettre d’accord sur ces objectifs et ces limites.


Le deuxième principe est la bienveillance. L’enfant a besoin de savoir que les adultes qui l’entourent lui veulent du bien, il doit se sentir respecté et aimé en tant que personne et sentir qu’il peut s’exprimer honnêtement face à un parent constructif.


Mais il faut aussi mettre la structure. Il y a des codes et des limites à respecter. Les règles et les procédures doivent être claires et ce sont les adultes qui en sont les porteurs et les garants. Si on les respecte, on gagne en sécurité, et si on les transgresse, il y a des sanctions. Cela provoquera inévitablement des conflits, mais c’est de cette manière que l’on grandit. Certains adultes se méfient des limites, parce qu’ils pensent que la limite provoque chez l’adolescent l’envie de la transgresser. Lorsque les adultes posent une limite, les jeunes peuvent réagir de trois manières. Soit ils s’arrêtent à la limite, soit ils la transgressent pour la tester puis reviennent à un comportement acceptable, soit ils la transgressent de manière durable. Si l’on ne dit pas la limite, cela ne changera sans doute pas grand chose pour ces derniers, par contre, cela risque de mettre en danger les jeunes qui auraient adopté les deux premières attitudes.


En plus de la cohérence, de la bienveillance et de la structure, il faut aussi promouvoir la coopération. Chacun est responsable de résoudre ses problèmes, mais il doit pouvoir compter sur la coopération des autres. Quand l’enfant est tout petit, on fait tout pour lui. Mais plus il grandit, et plus il doit résoudre de problèmes lui-même ou en sollicitant l’aide de ceux qui l’entourent : les copains, les professeurs, d’autres adultes... C’est la position médiane entre deux dérives : penser que l’on doit tout faire tout seul ou rester passif en attendant que les autres fassent tout à notre place. Les obstacles sont constructifs, parce que c’est en y étant confronté que l’on apprend à les dépasser.


Il faut aussi du sens. Il faut que le projet éducatif et les valeurs des adultes soient clairs et que cela transparaisse dans leurs comportements. Il ne sert à rien de dire à un enfant : « Sois honnête », si moi-même je ne le suis pas. Après avoir contesté les valeurs de ses parents, le jeune devra pouvoir se choisir ses propres valeurs ? C’est grâce à la confrontation qu’il pourra se construire ses propres options. Dans notre centre, qui est un centre pluraliste, les valeurs communes sont très claires. D’une part, il est interdit de se faire du tort ou de faire du tort à l’autre, de se mettre en danger ou de mettre l’autre en danger. Et d’autre part, chacun a droit au respect et tous les comportements doivent être marqués par le respect de l’autre et de soi-même. Les jeunes sont capables d’accepter cela s’ils ont en face d’eux des adultes qui sont cohérents avec ces valeurs.


Dernier élément : l’information. Il est important que les jeunes sachent où ils peuvent se faire aider et quelles seront les conséquences de leurs comportements.


L’idéal est que ces six principes forment un ensemble équilibré et que les adultes qui entourent l’enfant ou le jeune aient intégré ces valeurs de base. S’il y a beaucoup de bienveillance mais peu de structure ou l’inverse, le système est déséquilibré. Dans ses différents milieux de vie, l’enfant va voir comment les adultes s’y prennent pour surmonter les obstacles qui se présentent à eux. C’est de cette manière qu’il apprendra, lui aussi, à affronter les obstacles.


Pour Couples et Familles


Pour Couples et Familles, les difficultés qu’expriment les toxicomanes qui recourent aux services de Trempoline révèlent, au moins partiellement, un mal-être plus global, qui trouve son origine dans l’évolution des familles et de la société. L’attitude insuffisamment structurante des adultes en est sans doute une des causes. Aussi, les principes mis en avant pas Trempoline inspireront utilement tous les éducateurs. Cette cohérence et cette structuration que peuvent offrir les adultes n’est pas donnée du simple fait de devenir parents. C’est souvent par l’échange et la confrontation avec d’autres parents qui se posent eux aussi des questions qu’elles se construisent. A cet effet, des associations comme Couples et Familles, offrent des lieux et des outils pour y aider. Il est plus important que jamais que ces actions de "soutien à la parentalité" reçoivent le l’appui nécessaire.

 


Texte rédigé par José Gérard (Couples et Familles) au départ de la conférence débat animée par Georges van der Straten, directeur de Trempoline, dans le cadre des Midis de la Famille organisés en partenariat avec la commune d’Ixelles en 2006. La première mission de Trempoline est d’apprendre aux personnes toxicomanes à autogérer leur existence sans recourir aux produits psychotropes ni à d’autres conduites destructrices. L’association offre également des services destinés à la famille et aux proches des toxicomanes et développe des actions d’information et de formation à destination du grand public. Trempoline, asbl (Grand Rue, 3 - 6200 Châtelet - Tél : 071/40.27.27 - Fax : 071/38.78.86 - info@trempoline.be - www.trempoline.be)

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