Analyse 2006/2

 

Les traitements qui permettent de rétablir la capacité d’érection après une ablation de la prostate sont fort coûteux parce que non remboursés par la sécurité sociale. Un obstacle pour les couples moins aisés.


Toute maladie interfère dans la vie familiale


Lorsqu’elle frappe un membre de la famille, toute maladie, comme tout accident d’ailleurs, interfère plus ou moins lourdement dans le système familial. Le souci que chacune et chacun se fait pour le malade, pour son mal être ou pour sa souffrance, les risques de séquelles ou parfois même d’issue fatale viennent peser sur tous les membres du groupe et sur les relations qui se tissent entre eux au fil des jours. La maladie d’un membre d’une famille n’est pas un événement vécu individuellement, il est un événement familial.
Dans la plupart des cas heureusement, ce ne sont que « des mauvais moments à passer », qui laissent plus de souvenirs que de traces, mais il en est d’autres qui se prolongent ou qui sont incurables, comme d’autres encore qui entraînent des handicaps qui perturbent, parfois définitivement, le fonctionnement du système familial ou la relation entre ses membres.


Non-intervention de la sécurité sociale : les séquelles d’une ablation de la prostate


Parmi ces aléas de santé qui déstabilisent, la majorité sont heureusement pris aujourd’hui en considération par la sécurité sociale, cette juste répartition collective des charges qui découlent des circonstances fortuites et pénibles auxquelles se trouvent confrontés celles et ceux que frappent le handicap, l’accident ou la maladie.


Les mesures palliatives nécessaires pour leur faire face sont alors prises en charge, totalement ou partiellement, notamment par l’intervention des caisses de soins de santé, et tout le monde y a dès lors accès sans que ce ne soit à des prix prohibitifs. On sait le privilège qui est le nôtre au sein de l’Union Européenne, et particulièrement en Belgique, d’avoir pu préserver à ce jour cet acquis social important, malgré les difficultés récurrentes que connaît son financement.


Ce n’est pas toujours le cas toutefois, notamment pour les conséquences d’une intervention chirurgicale au niveau de la prostate. Or, cette intervention entraîne presque inévitablement une perte de toute capacité d’érection, et prive dès lors du jour au lendemain le couple de ses possibilités de relations sexuelles habituelles. Elle modifie de ce fait de manière importante la vie d’intimité des conjoints.


Chaque couple a son histoire dans tous les domaines et donc aussi dans celui de son intimité, dans laquelle chacun d’eux a créé un équilibre, solide pour les uns, fragile pour d’autres. La force d’amour et de tendresse qu’il s’y sera forgé pourra certes lui permettre de passer par-delà toute épreuve, et la privation d’une partie de leur jeu érotique n’est certes pas l’écueil le plus lourd qui puisse s’imaginer. Cependant, outre que tous les couples ne peuvent pas faire aussi aisément face à une telle éventualité, le fait de pouvoir y répondre n’empêche personne de recourir aux possibilités qu’offre aujourd’hui la médecine de pouvoir retrouver au plus tôt les capacités qui étaient les siennes.


Les maladies de la prostate et plus particulièrement son cancer, qui requiert le plus souvent son ablation, ne sont évidemment pas les seules causes des troubles de l’érection. Si l’asbl « Couples et Familles » tient à l’aborder plus spécifiquement sous cet aspect, c’est qu’il est particulièrement fréquent, et que, contrairement aux autres traumatismes, il intervient du jour au lendemain de l’intervention chirurgicale, ce qui peut rendre sa gestion dans le couple d’autant plus perturbante.


Le cancer de la prostate


On s’accorde aujourd’hui pour dire que chez l’homme, c’est le cancer de la prostate qui est le plus répandu. D’après des études d’autopsies, un tiers des hommes âgés de moins de 80 ans auraient des traces de cancer de la prostate. Chez les personnes de 80 ans ou plus, cette proportion grimperait à plus de 66%. Cela ne signifie pas pour autant que ce type de cancer est toujours ce dont mourront ceux qui en sont les porteurs, mais cela donne une idée du taux de probabilité qu’ont les hommes, et donc les couples, d’y être confrontés. Or, quand il est heureusement pris à temps et que la personne qui en est atteinte en sort guérie, elle et sa compagne sont inévitablement confrontées aussi aux conséquences de l’intervention chirurgicale que le cancer a nécessité.


La prostatectomie ou ablation radicale de la prostate, incontournable dans la majorité des cas, vise certes prioritairement à assurer le meilleur contrôle carcinologique. Toutefois, les chirurgiens la pratiquent en préservant au maximum la continence et la puissance sexuelle du patient, deux fonctions directement liées à la prostate.


Le suivi post-opératoire aura dès lors le même souci de faire par priorité la prise en charge du suivi carcinologique, mais avec une préoccupation simultanée tout aussi attentive au recouvrement de la continence d’une part et de la disparition progressive des troubles de l’érection d’autre part.


Les troubles de l’érection et leurs remèdes


C’est là que le bât blesse et qu’interfèrent les possibilités financières dans l’accès aux médications prescrites et donc, en ce qui concerne les préoccupations de « Couples et Familles », dans les conditions de relations des couples confrontés à cette situation.


Peut-être se trouvera-t-il des praticiens qui évoqueront la possibilité de substituer aux médications généralement prescrites en cas de troubles de l’érection, les exercices requis pour résorber à plus ou moins brève échéance les conséquences de la prostatectomie sur la continence. Ces exercices, dit de Kegel, consistent à effectuer certaines contractions musculaires en vue de renforcer les muscles du plancher pelvien. Sans prétendre pouvoir contester cette affirmation, notamment pour une récupération naturelle à terme de la capacité érectile - ces exercices étant requis pour retrouver la capacité de continence, leur pratique est de toute manière proposée aux personnes qui ont dû subir l’ablation prostatique -, il n’en reste pas moins que pendant une période plus ou moins longue après l’intervention chirurgicale, ce sont d’autres médications que prescrit le corps médical.
Depuis quelques années déjà, il s’agit de trois médicaments : le Viagra, qui a fait l’objet de nombreux échos médiatiques à sa sortie, le Cialis et le Levitra. Ces médications ont permis un progrès indéniable dans le traitement des difficultés d’érection mais, bien qu’efficaces dans de nombreux cas, ils n’apportent pas une solution de manière universelle, notamment du fait de leurs effets secondaires possibles chez les personnes atteintes de problèmes cardio-vasculaires. Leur utilisation est toutefois proposée dans plus de 70% des cas. L’avancée est donc remarquable et permet à de nombreux couples de retrouver, sans intervention perturbante, la vie qu’ils menaient avant l’intervention chirurgicale.


Toutefois, outre les contre-indications évoquées, ces médicaments restent sans effets chez un certain nombre d’hommes. L’autre solution proposée est alors les injections intra-caverneuses de prostaglandine, piqûres à pratiquer dans le pénis. Le fait que ces injections, peu douloureuses pourtant, rebutent certains hommes ou peuvent même perturber l’imaginaire de leur compagne n’est pas ici notre propos, mais bien que le coût de ces injections comme ceux des médicaments prescrits est fort élevé.


Un coût prohibitif ou des risques inconsidérés


En effet, alors qu’elles sont proposées non seulement pour rendre possible une relation avec pénétration entre les partenaires, mais de manière plus régulière, en vue d’une restauration des capacités naturelles d’érection, leur prescription équivaut à une dépense hebdomadaire d’environ 40 € pour les injections comme pour les médicaments. Ce n’est pas rien quand le budget familial n’est pas particulièrement large.


Par ailleurs, et même si la remarque est marginale par rapport à la raison d’être de la position que prend ici « Couples et Familles », le fait que ces médications soient à ce point coûteuses est à l’origine de nombreuses contrefaçons. Elles ne sont bien sûr pas accessibles en pharmacie mais, sur Internet par exemple, des médicaments présentés comme analogues sont proposés à des prix nettement plus bas et sans ordonnance.


Il s’agit bien sûr de substances de fabrication et de distribution illégales et donc non contrôlées. Recourir à de telles substances, c’est courir le risque :

  • soit de prendre des produits sans aucun des effets qu’ils promettent - ce qui est encore un moindre mal, mais inutilement onéreux alors que l’objectif est d’obtenir des résultats à moindre coût -,
  • soit d’ingérer des substances aux effets secondaires incontrôlés, risque d’autant plus inconsidéré qu’il ne saurait se faire qu’en dehors de tout suivi médical.

Une bonne raison d’intervention de la sécurité sociale


Le fait de ne pas reprendre ces médications susceptibles de restaurer au sein du couple la relation sexuelle, notamment après une prostatectomie, n’est donc pas, aux yeux de « Couples et Familles », une simple question de sauvegarde de l’intégrité physique de l’homme. Elle constitue, de fait, un refus de l’autorité publique de permettre à des couples moins aisés sur le plan financier, de retrouver pleinement le plaisir sexuel.


Qu’on ne se méprenne pas sur la portée de cette argumentation. Dans toute relation de couple, la relation et le plaisir sexuels sont des éléments du dialogue des partenaires. Leur place dans leurs témoignages de tendresse et d’affection est dès lors en évolution constante et fait partie de leur dialogue. Que, dans cette perspective de relation amoureuse, l’impossibilité, temporaire ou définitive, de proximité sexuelle avec pénétration puisse fort bien se vivre sans nuire à la plénitude d’épanouissement du couple n’est pas ici en cause.


Ce qui l’est, c’est que ce soit aujourd’hui une situation que doivent assumer les couples financièrement les plus démunis, alors que d’autres chemins sont accessibles aux mieux nantis. Ce qui l’est plus encore peut-être, c’est que cette discrimination réside dans la non-prise en charge par la sécurité sociale des médications qui permettent aujourd’hui de pallier un handicap au moins autant relationnel que physique, voire à conduire progressivement à son extinction.


N’y aurait-il pas là, politiquement et en équité, de bonnes raisons de revoir cette situation ?

 


Réflexion proposée par Jean Hinnekens suite à une soirée de réflexion en mars 2006.

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