Analyse 2006/28

Suite à des faits divers dramatiques et à l’émotion qu’ils ont provoquée, la réforme sur la loi de la protection de la jeunesse s’est accélérée en Communauté française de Belgique. Elle a notamment mis en oeuvre des "stages parentaux" pour les parents "défaillants". Au-delà de l’émotion, que penser de cette mesure ?


Des événements qui suscitent l’émotion populaire


Le 12 avril 2006, Joe Van Holsbeeck, un jeune de 17 ans est agressé dans le hall de la gare centrale à Bruxelles en pleine journée, et décède à la suite des coups de couteau qu’il a reçus. Ses agresseurs voulaient lui voler son MP3. Le 10 juin 2006, dans un tout autre contexte, Stacy et Nathalie, deux fillettes de 7 et 10 ans disparaissent à Liège. Leurs corps seront retrouvés le 28 juin, une quinzaine de jours plus tard. L’une d’elles a été violée, elles ont toutes deux été assassinées. Dans l’un et l’autre cas, les parents sont montrés du doigt. Pour le meurtre de Joe Van Holesbeek, ce sont les parents des jeunes agresseurs qui sont incriminés, dans le cas de l’enlèvement et du meurtre de Stacy et Nathalie, ce sont les parents des victimes, qui n’auraient pas bien assumé leur rôle vis-à-vis des petites. Mais ces événements ont aussi provoqué une émotion populaire considérable, qui a contraint les politiques à réagir. Ils l’ont fait de deux manières : en accélérant la mise en Å“uvre de projets en cours (comme la révision de la loi sur la protection de la jeunesse) et en décidant de mesures nouvelles (comme l’organisation de stages parentaux et l’engagement de nouveaux délégués dans les services d’aide à la jeunesse).


Des stages pour les parents


Même si ces stages ne concernent qu’une frange très limitée de la population (450 stages sont prévus par année civile en communauté française), les questions qu’ils soulèvent sont celles de l’ensemble de la problématique du soutien à la parentalité [1]


Mais de quoi s’agit-il ? Dans le cadre de la réforme de la loi sur la protection de la jeunesse de 1965, il est prévu un stage parental qui peut être ordonné par le juge ou proposé par le procureur du Roi :

  • lorsque les parents manifestent un désintérêt caractérisé à l’égard de la délinquance du mineur. Ce stage peut uniquement être ordonné comme mesure complémentaire à une mesure imposée au mineur par le Juge de la Jeunesse s’il peut être bénéfique pour le mineur délinquant lui-même ;
  • lorsque les personnes qui exercent l’autorité parentale sur le mineur qui déclare ne pas nier avoir commis un fait qualifié d’infraction, manifestent un désintérêt caractérisé à l’égard de la délinquance d’un mineur condamné et que ce désintérêt contribue aux problèmes du mineur. Ce stage peut être proposé par le Procureur du Roi, uniquement s’il peut être bénéfique pour le mineur délinquant lui-même. Ce stage (qui devrait être mis en place à partir d’avril 2007) comporterait 30 heures de prise en charge des parents et 20 heures d’accompagnement psycho-social et administratif. Se stage comporterait une phase individuelle et une autre collective et devrait permettre aux parents de réfléchir sur eux-mêmes, sur leur histoire personnelle et relationnelle ainsi que sur leur rôle de parents. Les objectifs de ces stages seront donc une prise de conscience par les parents de leurs responsabilités civiles et pénales et de leurs responsabilités éducatives. Ils devraient aussi fournir aux parents des outils qui leur permettent de répondre aux besoins de leurs enfants, en nouant avec eux une relation de dialogue, en leur posant des limites et en apprenant à résoudre les conflits. L’absence de participation au stage parental entraînera des sanctions pénales pouvant aller d’une amende à une peine d’emprisonnement.


Les aspects positifs


Les défenseurs de ces stages mettent en avant le fait qu’il s’agit d’abord de donner aux enfants qui sont impliqués un maximum de chances pour leur vie future. Et si la parentalité comporte un certain nombre d’obligations et de devoirs, la responsabilité des parents est engagée. Il est donc normal que la société réagisse lorsque certains ne peuvent pas y faire face, soit en leur proposant une aide, soit en les sanctionnant. D’autre part, ces stages ne sont pas conçus comme une sanction de type militaire, mais comme une sensibilisation des parents à leur rôle.


Les réactions négatives


Mais certains sont plus réservés et s’interrogent sur la manière dont cette mesure sera appliquée. Comment le Juge évaluera-t-il en effet le « désintérêt caractérisé des parents » ? Et comment pourra-t-il faire un lien entre ce désintérêt et la problématique de délinquance de l’enfant ?


Des associations comme Petales, qui rassemblent et soutiennent des familles parfois confrontées à des conflits très durs avec certains de leurs enfants, rappellent aussi que les parents sont parfois à bout de ressources face aux comportements de leurs enfants, sans obtenir de la Justice le soutien qu’elles lui demandent parfois. « Et celui qui aura décidé de rendre la vie impossible à ses parents, aura décidé de ne plus habiter chez eux et de vivre comme s’ils n’existaient pas -sans que la Justice ne lève le plus petit doigt pour rappeler au jeune quels sont ses devoirs ni n’enquête sur la personne qui l’héberge- va-t-il écouter davantage ses parents lorsqu’ils auront dû suivre un stage ? Il en rira et ce sera une peine supplémentaire pour ses parents. [2] D’autres font remarquer qu’il ne faut pas idéaliser l’aide qui pourrait être apportée aux parents. Que pourront 30 heures de stage, impliquant des parents aux vécus forcément très différents, face à des relations entre parents et enfants qui, si elles sont perturbées, ont une déjà bien longue histoire derrière elles. Le plus souvent, ces parents sont dans le désarroi et ce dont ils manquent le plus cruellement, c’est de pouvoir faire entendre leur voix.


Ces stages risquent en outre de produire l’effet inverse de celui escompté, en stigmatisant encore davantage ces personnes comme de mauvais parents, ce qui ne fera qu’accroître leur déqualification, alors qu’ils ont surtout besoin d’être requalifiés, de reprendre confiance en leurs capacités. Comme le dit Anne Dubois «  [3], du SPEP [4] : « Notre mission, c’est de travailler sur les ressources des parents, pas de les stigmatiser. On rencontre surtout des familles en grande difficulté, qui sont dépassées. C’est vrai qu’il existe parfois des parents qui refusent d’assumer leurs responsabilités, mais c’est une proportion infime ! Et pour eux, cette mesure ne servira à rien : on ne remettra pas les récalcitrants sur le droit chemin par un stage de 15 jours ! C’est une annonce politique qui veut rassurer à peu de frais ; mais, sur le terrain, cette mesure ne sera pas intéressante ». François Vanneste, du Sairso [5] renchérit : « Ce stage parental est un gadget politique à haute valeur ajoutée médiatique. On ne veut pas crédibiliser ce truc. Certains magistrats m’ont déjà dit qu’ils ne voulaient pas l’appliquer ».


Par ailleurs, ces stages risquent bien d’être inefficaces si la société dans son ensemble ne se met pas en cohérence avec les attitudes qu’elle prône. Comment en effet inciter des parents à mettre des limites claires à leurs enfants et à les sanctionner lorsqu’ils les dépassent, si la société ne poursuit quasiment jamais les auteurs de petits délits ? Et comment faire respecter des règles à des enfants lorsque l’actualité leur apprend que certains responsables politiques qui les édictent les contournent allègrement ?


La position de Couples et Familles


Comme les professionnels du secteur, Couples et Familles craint que cette mesure, décidée dans l’urgence en vue de répondre à une réaction émotionnelle forte dans la société, ne passe à côté de son objectif. Si elle est maintenue -et mise effectivement en Å“uvre par les Juges chargés de décider dans quels cas elle doit être appliquée-, on peut souhaiter qu’elle le soit après une véritable réflexion sur les bénéfices possibles pour les parents et les jeunes en cause, non pas pour les stigmatiser encore un peu plus, et donc saper ce qui pourrait leur rester d’autorité vis-à-vis de leurs enfants, mais pour leur offrir des lieux d’expression de leurs difficultés et de réassurance par rapport à leurs capacités propres (les seules qu’ils pourront de toute façon mettre en Å“uvre). Parallèlement, Couples et Familles espère surtout un renforcement des moyens de toutes les associations qui travaillent au quotidien avec les familles en vue de leur fournir les outils susceptibles de prévenir ou de mieux gérer les crises que comporte inévitablement toute démarche éducative aujourd’hui. Il s’agit d’un travail plus obscur et moins « médiatisable », mais n’est-ce pas le seul qui a une chance de rencontrer les véritables besoins des parents d’aujourd’hui ?

 

 


[1] voir Education et soutien à la parentalité : quand le politique s’en mêle.
[2] « Stage parental ? Reprenons la copie ! », Pétales asbl, Bulletin de liaison n°53, décembre 2006
[3] Le stage parental, gadget politique », La Libre, 22/11/2006
[4] Service de prestations éducatives et philanthropiques
[5] Centre d’orientation éducative, qui intervient sur mandat du Juge de la jeunesse de Bruxelles

 

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