Analyse 2008-10

Pourquoi étudier ? C’est en période de blocus que la question est la plus vive, mais elle devrait se poser à tout moment. Il est en effet important de se questionner sur le sens du travail scolaire et de l’étude. Dans nos écoles secondaires, le taux de redoublement (« solution » apportée aux problèmes d’apprentissage des enfants) est en hausse[1] et seulement un élève sur deux termine sa scolarité « à l’heure »[2]. La question de la poursuite des études (supérieures ou non) pose aussi problème dans de nombreuses familles. Pourquoi étudier ? Pour sa culture et sa formation personnelle, pour être heureux, pour trouver un bon travail ? A cette question, nous vous proposons une réflexion qui tente d’approcher (non exhaustivement) plusieurs réponses.


L’amour de la connaissance, le sens de l’effort


Certaines approches peuvent être rassemblées sous la bannière de « l’amour de la connaissance, le sens de l’effort ».  Par exemple, pour Jean Larose, la connaissance peut s’élever en tant que valeur en soi et il convient de la cultiver indépendamment des besoins. Selon lui, on s’égare lorsqu’on réduit l’éducation à son aspect utilitaire. De plus, en réponse aux critiques sur des formations secondaires ou universitaires très larges, il répond que « (…) la formation générale, faite de la connaissance des langues, de l’histoire, de la philosophie et des arts, est celle qui prépare le mieux au monde de demain parce qu’elle est la formation la plus souple et qu’elle permet d’acquérir les autres formations. Dans le monde animal, la surspécialisation entraîne la mort »[3]. Dans son article « Pourquoi étudier», Philippe Dembourt[4] rejoint Larose. Pour lui, aux plaintes de certains étudiants relatives au peu d’intérêt qu’ils trouvent à certaines matières, il faut répliquer et faire en sorte qu’ils perçoivent la double finalité de l’apprentissage : le savoir et l’ouverture d’esprit à des connaissances générales mais aussi l’aiguisement de la volonté, de la mémoire, du sens de l’effort. « Oserait-on ajouter une troisième dimension : celle du plaisir qui transcende l’utilité immédiate. Qui n’a jamais éprouvé de la satisfaction devant un texte latin révélant enfin son mystère à l’étudiant chargé de le percer ? »[5]. Pour d’autres, comme Jacques Dufresnes, la « passion de la connaissance » est la meilleure raison d’étudier.


Si ces approches, parfois fort élitistes et extrêmes, ont le mérite de souligner les bienfaits liés à l’étude, aux efforts qu’il faut réaliser devant la difficulté, on doute qu’elles apportent des réponses satisfaisantes à tous les étudiants et élèves qui ont du mal à gérer une situation scolaire difficile, à ceux en manque de « motivation »[6], mais aussi aux parents qui accompagnent leurs enfants.


Sens du travail et travail du sens à l’école


Philippe Perrenoud, dans son article « Sens du travail et travail du sens à l’école »[7], remet en question l’utilisation du terme de motivation dans le traitement des problématiques du travail scolaire, des apprentissages ou encore du rapport au savoir. L’auteur assied cette base de travail notamment sur le fait qu’à l’école, « (...) ou souvent dans la vie, la motivation est généralement invoquée lorsqu’elle fait défaut ; on se trouve dans le registre du manque, des carences, de la privation, du handicap »[8]. Pour l’auteur, il suffit de consulter un échantillon de bulletins scolaires pour constater que le « manque de motivation » est un lieu commun. Selon lui, celui-ci contribue au constat d’échec, à une stigmatisation de l’élève qui ne veut pas suivre les règles du jeu ou de la recherche d’explications qui dispense l’école de chercher plus loin. « Quand on ne sait pas que dire d’un élève peu actif, on dit qu’ils « n’est pas motivé ». Que peuvent faire les parents d’un tel message ? Est-ce que ça se soigne, le manque de motivation ? De qui est-ce la faute ? »[9].


L’auteur suggère donc un autre angle d’approche moins normatif (pour notamment se « désengluer » des idées reçues et des images associées au concept de motivation), une autre option de méthode plus constructiviste et interdisciplinaire. « Je propose de parler du sens du travail, des savoirs, des situations et des apprentissages scolaires en esquissant trois thèses :

  • Le sens se construit : il n’est pas donné d’avance.
  • Il se construit à partir d’une culture, d’un ensemble de valeurs et de représentations.
  • Il se construit en situation, dans une interaction et une relation »[10].


Peu d’entre nous se résignent au non-sens. Nous essayons tous de faire en priorité ce qui a du sens à nos yeux. Dans la situation scolaire, il faut se rendre compte que l’élève est rarement maître du jeu et ne peut se soustraire (ou en tout cas difficilement) aux situations dans lesquelles on le place. « Il est donc contraint à s’engager dans un travail, la recherche d’un compromis entre ses préférences et les contraintes qu’il subit »[11]. Selon l’auteur, il est faux de postuler l’existence d’un besoin permanent et général d’apprendre qu’il suffirait de réactiver lorsqu’il fait défaut (il réfute donc les démarches décrites plus haut). Et si en classe, on manipule beaucoup d’éléments, on manipule surtout du sens. Pour reprendre les mots de l’auteur ;  « (…) s’il se construit, au moins provisoirement et partiellement, l’apprentissage devient possible ; sinon, on perpétue la comédie du savoir ! »[12]


Dans nos écoles


Perrenoud explique donc les difficultés scolaires de certains élèves par leur difficulté à construire leur propre sens : « La construction du sens est à la fois vitale -pour survivre d’aussi longues années- et difficile. Elle passe par un véritable travail mental, que nul ne peut faire à la place de l’élève, car le sens tient à sa vision de la réalité, à sa définition de ce qui est cohérent, utile, amusant, juste, ennuyeux, supportable, nécessaire… »[13]. Par rapport à ce travail, l’auteur propose plusieurs pistes pour le faciliter et pour offrir aux élèves un espace d’initiative, d’autonomie ou encore de négociation.


Il y a tout d’abord, le développement en classe de ce qu’il appelle la « métacommunication »[14] : « L’école pourrait Å“uvrer beaucoup plus ouvertement et intensivement au travail du sens du travail scolaire et des apprentissages si elle accordait à cette construction collective davantage de temps, de légitimité, de rigueur méthodologique »[15]. Pour l’auteur, l’école devrait faire évoluer son discours normatif sur le rapport au savoir (dans le sens où elle exprime que l’élève doit être intéressé, actif, participatif, curieux, autonome, etc.) et devrait mieux porter attention aux comportements des élèves qui ne correspondent pas à cette norme (si on s’aperçoit qu’une partie des élèves n’ont pas eu l’air d’écouter la leçon, ne pas laisser passer la chose). Le concept de métacommunication appliquée à l’apprentissage revient à considérer qu’il faut parler ensemble, dialoguer avec les élèves qui n’étaient pas « présents » lors de la séquence pédagogique. Pour notamment parler ensemble, objectiver les processus de ce qui se passe en classe et orienter la construction du sens vers cet échange avec les élèves. Cette approche peut aussi se placer dans une dynamique plus globale à l’échelle de l’école entière.


Une autre piste de travail serait de construire à l’école une culture commune. « L’école dépend fortement, souvent sans le reconnaître, de l’héritage culturel des élèves, celui qui vient de leur famille et de leur classe sociale et celui qu’ils reçoivent de leurs pairs. L’héritage social et familial est extrêmement diversifié et inégalitaire »[16]. Selon Perrenoud, au lieu d’ignorer ces représentations, l’école devrait investir dans la construction d’une « contre-culture » à l’échelle de la classe et de l’école, mais aussi autour du statut du travail et du savoir. Pour ce faire, il ne faut pas partir des normes et des idéaux qui font partie du discours de l’école et qui sont éloignés des apprenants, mais partir des propres représentations de ces derniers (partir de ce qu’ils savent déjà, de leurs expériences). « Créer une culture commune, c’est prendre ici encore le temps de l’échange à propos de tout ce qui se joue dans le rapport pédagogique »[17], pour justement prendre le contre-pied de l’attitude normative de l’école.


Les pistes de Perrenoud pour une participation plus active des élèves nous paraissent pertinentes. Elles se rapprochent d’ailleurs de la pédagogie du projet qui se développe peu à peu dans nos écoles.  La pédagogie de projet peut se définir comme « (…) un processus d'apprentissage qui met un groupe de personnes en situation d'exprimer des envies, des questions, des besoins, des manques, des ambitions; - de rechercher les moyens d'y répondre;  de planifier collectivement la mise en oeuvre du projet et de le vivre »[18]. Si cette approche pédagogique, basée sur l’autonomisation et la responsabilisation, éprouve aussi ses limites[19], elle a le mérite d’essayer de mettre l’élève, ses expériences, ses envies, au centre de l’apprentissage.


Et si l’école joue (et doit jouer) un rôle énorme, ce n’est pas elle seule qui peut faire ce travail. Il est aussi important que les parents puissent travailler sur cette question du sens avec leurs enfants et de se questionner sur leurs propres représentations à ce sujet[20].      

 

 


 
[1] Le redoublement est de plus en plus fréquent, 13% de plus qu’il y a dix ans. Référence : « Trop de redoublements » article du Guide Social du 31/01/08. http://www.guidesocial.be
[2] Selon les chiffres de la Communauté Française. Référence : « Le dannemark, exemple d’une pédagogie efficace et conviviale », article du Guide Social du 10/03/08. http://www.guidesocial.be
[3] « Pourquoi étudier » de Daniel Baril sur le site http://www.forum.utmonreal.ca
[4] « Pourquoi étudier ? » de Philippe Dembourt dans La Libre du 16/05/08.  http://www.lalibre.be
[5] Idem.
[6] L’utilisation de ce terme est remis en question par certains auteurs, nous le verrons dans le chapitre suivant.
[7] « Sens du travail et travail du sens à l’école » de Philippe Perrenoud dans Cahiers pédagogiques n°314-315, 1993.  Voir l’ouvrage « Métier d’élève et sens du travail » de l’auteur aux Editions ESF, 1996.
[8] Idem.
[9] Idem.
[10] Idem.
[11] « Sens du travail et travail du sens à l’école » de Philippe Perrenoud dans Cahiers pédagogiques n°314-315, 1993.
[12] Idem.
[13] Idem.
[14] « La métacommunication est un échange d’informations, donc une communication, qui a pour objet la communication en elle-même ou la relation entre les deux personnes communiquant. C’est-à-dire une communication sur la communication ». http://www.lorio.eu/dossier/communication_et_metacommunication.html
[15] « Sens du travail et travail du sens à l’école » de Philippe Perrenoud dans Cahiers pédagogiques n°314-315, 1993.
[16] Idem.
[17] Idem.
[18] « La pédagogie de projet : outil pour l'éducation à l'environnement » par le Réseau Ecole et Nature, aux Editions L'Harmattan, 1996.
[19] Voir les réflexions des professeurs utilisant cette démarche pédagogique sur http://www.lmg.ulg.ac.be/competences/chantier/methodo/meth_projet.html
[20] Analyse réalisée par Marie Gérard.

 

 

 

 

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