Analyse 2008-11  

Le cannabis est le produit psycho-actif le plus expérimenté et le plus consommé par les jeunes. Selon une étude du CRIOC[1], la première utilisation se situe en moyenne à l’âge de 14 ans et 7 mois. Fumer un joint est presque devenu un acte de consommation banal, mais non sans risques. Comment comprendre cette banalisation ? Comment réagir face à un jeune consommateur ? Comment gérer les différences de représentations vis-à-vis de cette drogue ?


Banalisation


Si de nombreuses études ont déjà été faites sur l’usage du cannabis chez les jeunes, il faut malheureusement traiter aujourd’hui de cette problématique sous l’angle de la banalisation. Plusieurs études, belges et françaises[2], sorties récemment sont unanimes ; l’essai du cannabis est en augmentation par rapport aux études précédentes : on observe une augmentation de 15% en 2005 à 26% en 2007. Les utilisateurs réguliers sont passés de 8% en 2006 à 13% en 2007[3]. Cette banalisation peut aussi se vérifier sur le travail de terrain avec les jeunes : fumer un joint est devenu pratique courante, aussi banale que de boire une bière. Selon l’étude de l’OFDT[4], l’expérimentation du cannabis est devenu un « modèle dominant » chez les jeunes, toutes catégories sociales confondues. L’expérimentation devient d’ailleurs de plus en plus précoce et le prix d’achat ne cesse de diminuer (plus ou moins 5 euros le gramme pour de l’herbe, pour l’équivalent d’une dizaine de joints). Cette démocratisation de l’accès au cannabis joue aussi son rôle. Vu ce phénomène de banalisation, la plupart des jeunes ne comprennent pas les réactions inquiètes de la part de leurs parents, de l’école, des intervenants sociaux. Mis à part le fait que la détention et la vente du cannabis reste interdites, en général, les jeunes ne semblent pas comprendre ce que d’autres y trouvent de dangereux.   

 
Risques et dangers


Les jeunes n’ont, en général, pas de représentations relatives à cette substance de l’ordre du danger. Pourtant, les professionnels de la santé sont clairs à ce sujet : une consommation excessive et régulière de cette substance peut provoquer des conséquences sur la santé, sur le parcours scolaire ou professionnel ou sur les relations sociales. « Elle peut entraîner une rupture des liens avec la famille, les amis, mais aussi avec un projet scolaire ou professionnel »[5]. Les effets recherchés du cannabis sont généralement ceux du plaisir, du bien-être, de la détente ; mais les effets indésirables peuvent être nombreux et violents (des troubles de l’anxiété, des effets délirants, etc.). Lorsqu’on parle de dangers vis-à-vis d’une drogue, la notion de dépendance apparaît inévitablement. S’il est vrai que le cannabis provoque une dépendance physique faible, la dépendance psychique et les troubles cognitifs qui y sont liés sont importants. Et si la dépendance physique est moindre par rapport à d’autres substances, elle existe bel et bien. Cette idée reçue que le cannabis ne provoque aucune dépendance est très présente chez les jeunes et participe grandement aux représentations positives qu’ils ont sur cette substance. Puisque le produit n’est pas « fulgurant » et s’installe petit à petit dans l’univers et la vie du jeune, pour prendre parfois de plus en plus de place, le jeune prend difficilement conscience de la problématique liée à sa consommation. A ce propos, certains préfèrent le terme « drogue lente » au terme de drogue douce.     


Choc des générations


Pour un jeune, voir un autre jeune de 15 ans fumer un joint n’a rien de très choquant. En général, cette drogue fait partie des mÅ“urs, de leur univers et des pratiques sociales liées à cette partie de la vie. Si le jeune n’est pas consommateur, la drogue fait tout de même partie de l’univers dans lequel il évolue car il sera amené à la côtoyer quotidiennement (à l’école ou en soirée par exemple). Un jeune qui fume du cannabis n’est généralement pas considéré par ses pairs comme un drogué, ce qui n’est pas le cas pour un grand nombre d’adultes. Pour certains jeunes, fumer un joint est d’ailleurs moins dangereux que de consommer de la bière ou de l’alcool car selon eux, il suscite moins de réactions violentes. Le fait que le cannabis ne soit pas considéré par les jeunes comme une drogue à part entière joue beaucoup dans la problématique de la banalisation du cannabis et de l’accompagnement par les parents d’un jeune consommateur. Tout d’abord, les parents auront davantage conscience des dangers et des risques liés à cette drogue. Dans leur manière de s’informer sur la substance, ce sont ces informations qu’ils retiendront. Mais surtout, une partie des adultes ne connaissent pas cette substance et ne l’ont pas expérimentée. Et si elle était présente dans leur jeunesse, elle était encore cantonnée dans un certain milieu et surtout dans le domaine de l’interdit (moins banalisée, considérée alors comme une drogue à part entière de leur part). Sous cet angle, la difficulté d’un échange parents-enfants mais surtout du traitement de cette problématique en famille s’explique très bien : le dialogue devient difficile avec les membres du monde adulte qui ne se situent pas dans la même représentation du joint que leurs enfants (il sera plus facile de parler avec un jeune de sa consommation si on a été exposé aux mêmes représentations). Nous le verrons plus tard, il faut donc « aplanir » le dialogue sur un même terrain pour qu’il ait bien lieu et soit efficace (pour que les deux parties puissent parler de la même chose).     


Méthodes d’intervention[6]


Il existe plusieurs méthodes, plusieurs manières de réagir face à une consommation de drogue. Line Beauchesne, dans son article «Les programmes de prévention d’abus des drogues en milieu scolaire »[7] les rassemble sous 4 approches différentes.


Il y a tout d’abord ce qu’elle nomme les programmes de dépistage et de délation. En famille, cette approche peut se traduire par le fait que les parents, exigeants à propos du respect de l’interdit de consommer des drogues, entrent dans une surveillance poussée de leurs enfants, de leurs fréquentations, effectuent des fouilles, etc. Cette approche ne permet pas qu’un climat de confiance s’installe entre les parents et les enfants. « Quel dialogue serait-il encore possible dans un climat de suspicion permanente ? Ce que les parents risquent, c’est que leurs enfants continuent à consommer et à faire beaucoup d’autres choses en cachette par peur de la sanction »[8]


Ensuite, il y a les réactions que l’on peut rassembler derrière le slogan « Les jeunes, dites non à la drogue ». Derrière le terme « drogue », on procède à une présentation des informations centrées sur les produits pour susciter la peur et le rejet. En famille, cela consisterait à ce que les parents montrent aux enfants les résultats d’une consommation de drogues (montrer des films qui traitent de ce thème, faire lire des témoignages, mais aussi information sur les produits, leurs effets, leurs dangers, etc.) afin que leurs enfants adoptent eux-même ce fameux slogan « la drogue, non merci ».


Il y a aussi les approches « pyschologisantes » où « chaque consommateur est considéré comme un malade à soigner, peut importe la multiplicité des motivations d’usage des psychotropes »[9]. Pour les adeptes de cette approche, s’il y a consommation de drogues, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans leur parcours. Si on arrive à résoudre ce problème, le problème de consommation se résorbera lui aussi. Le souci avec cette approche, c’est que le lien de cause à effet ne se démontre pas toujours et est difficile à amener avec le jeune qui consomme (même si sa consommation résulte d’un problème de cet ordre).


Enfin, il y a l’approche que l’auteur appelle « promotion de la santé ». « La promotion de la santé vise à promouvoir le bien-être tant physique que psychique et social des personnes en les aidant à devenir eux-mêmes les acteurs de leur bien-être. En prenant conscience de leurs forces et de leur limites, ainsi que des contextes dans lesquels elle évoluent, les personnes sont invitées à définir individuellement et collectivement leurs objectifs de bien-être et les moyens d’y parvenir »[10]. Cette approche permet de prendre en compte la diversité des personnes consommatrices et des contextes dans lesquels sont apparus leurs problèmes de consommation (ainsi que les produits consommés). Cette dimension d’autonomie et de responsabilité de la personne après l’avoir aidée à acquérir les outils nécessaires est très importante dans l’accompagnement et les trois autres approches ne le permettaient pas.


Cette approche propose d’accompagner ses enfants de manière très globale : faire en sorte qu’ils soient bien dans leur tête, leur corps, leurs relations et d’assumer la responsabilité de leurs actes. Selon l’âge, la personnalité de chaque enfant, il convient de s’adresser à eux de manières différentes. Il est aussi important de concentrer le dialogue sur un terrain commun : des choses que chacun connaît. Dans son article, Etienne Cléda exemplifie cette option : « Christophe a demandé à son fils d’expliquer comment ça fait quand on a fumé un joint. La question a étonné Alex. De sa réponse, ils se sont embarqués dans une discussion sur le plaisir. La douce euphorie qu’Alex a obtenue avec un joint, Christophe la retrouvait avec deux trappistes (…) Christophe lui a aussi montré sa manière à lui de traverser des moments difficile (une ballade en forêt). Il trouvait important de partager cela avec son fils, d’explorer toutes les manières possibles d’y arriver. Pour que le cannabis ne soit jamais une solution, qu’il reste un plaisir occasionnel »[11].


Nous retiendrons[12] la dernière approche car elle semble pouvoir s’adapter à chaque jeune et à la situation qu’il vit. Cette approche globale, basée sur un échange entre des notions plus générales de plaisir, de bien-être, nous semble pertinente. Mais surtout, l’exemple donné dans cette dernière approche montre un parent soucieux de comprendre ce que procure à son enfant cette substance et de pouvoir le raccrocher à ce qu’il connaît lui. Cette approche surtout en période d’adolescence, permet de ne pas couper le lien et le dialogue et de construire ceux-ci sur une base commune, élément crucial dans le traitement de cette problématique en famille[13].

 

 



[1] http://www.oivo-crioc.org
[2] Exemple : l’ouvrage « Cannabis », monographie consacrée à cette substance réalisée par l’observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT). http://www.ofdt.fr.
[3] « Le cannabis chez les jeunes en augmentation » dans le Guide social. http://www.guidesocial.be/actualites/le-cannabis-chez-les-ados-en-augmentation.html
[4] « Cannabis », monographie consacrée à cette substance réalisée par l’observatoire français des drogues et de la toxicomanie (OFDT). http://www.ofdt.fr.
[5] « Quand alcool et cannabis riment avec banalisation » de F. Grobet dans « L’école », n°43, juin 2008.
[6] Chapitre inspiré de l’article « Jeunes et cannabis, quelle prévention ? » de Etienne Cléda dans Le Ligueur n°16, 19/04/06.
[7] « Les programmes de prévention d’abus des drogues en milieu scolaire » de Line Beauchesnes dans Les Cahiers de Prospective Jeunesse, n° 2, 1997.
[8] Idem.
[9] « Jeunes et cannabis, quelle prévention ? » de Etienne Cléda dans Le Ligueur n°16, 19/04/06.
[10] Idem.
[11] Idem.
[12] Analyse réalisée par Marie Gérard.
[13] A cette question devrait s’ajouter celle de la dépénalisation mais aussi celle des réponses publiques et politiques faites à cette problématique, mais c’est encore un autre débat…

 

 

 

 

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