Analyse 2008-14

L'identité est un concept largement utilisé de nos jours, tant dans la vie quotidienne que du côté des sciences humaines. En raison de l’histoire de sa création, la Belgique, qui rassemble des identités culturelles d’origines différentes, constitue un laboratoire particulièrement intéressant. A l'heure où notre pays se déchire à répétition sur cette question, nous vous proposons quelques regards critiques sur différentes questions d'identités[1]...


« La petite fabrique de soi: être sujet, c'est extraordinaire, mais compliqué »[2]


Selon le sociologue français Jean-Claude Kaufmann, l'identité est un terme très usité aujourd'hui dans notre société en mal de repères (identités culturelles, identité religieuse, crise de l'identité, etc.). Cependant, ce terme reste assez flou et une certaine confusion est ancrée dans notre inconscient. Par exemple, si quelqu'un nous demande qui nous sommes, spontanément, nous répondons le plus souvent en lui décrivant notre identité au travers de la fonction que nous occupons, de ce que nous faisons, par notre métier.
Selon l'auteur, être sujet de son existence est quelque chose de récent dans l'histoire de l'humanité (« une conquête historique ») et implique un travail complexe, éprouvant et risqué. Pour Jean-Claude Kaufmann, l'identité est intrinsèquement liée au processus d'individualisation et à la modernité. A ce propos, il distingue « deux modernités » dans deux parties du vingtième siècle. Dans la première moitié du siècle, si le sentiment d'identité individuelle apparaît peu à peu, cela ne provoque pas réellement une révolution. C’est plutôt dans les années 60 qu'un changement ou un tournant a lieu: l'individu, au centre de tout, doit désormais donner lui-même son propre sens à son existence. « On assiste alors à l'émergence du sujet, glorieuse, libératrice, considérée alors comme positive (…) Maintenant, il faut se rendre à l'évidence, être sujet, c'est extraordinaire, mais compliqué »[3]. Cette seconde modernité, l'auteur la caractérise par la réflexivité des individus. Ces derniers sont désormais soumis à une double injonction contradictoire: ils sont amenés à tout remettre en question, à tout questionner mais en même temps à être eux-mêmes. Tous les aspects de la vie quotidienne sont passés dans le domaine du questionnement personnel.  Prenons l’exemple repris par Kaufmann dans son ouvrage : l’alimentation. Il y a une dizaine d’années, on mangeait ce que l’on trouvait dans son assiette. Aujourd’hui, avec les problématiques de l’obésité, de la mal-bouffe, de la santé, etc. nous sommes soumis à des choix et des interrogations multiples. « Délivré des cadres traditionnels, l’individu moderne tombe en panne sitôt qu’il ne croit plus à sa propre histoire (…) (L’identité) est devenue une notion omniprésente sans être jamais clairement définie »[4].
Si l’identité est donc une nouvelle « donnée » avec laquelle l’homme moderne doit jouer, l’auteur souligne son rôle primordial : « L'identité est précisément là pour 'recoller les morceaux', pour tenter de construire du sens quand la réflexivité a brisé les certitudes, pour maintenir l'estime de soi si nécessaire à l'action »[5], « (…) elle invente une petite musique, qui donne sens à la vie »[6].


Tout cela contraste avec les codes de la société traditionnelle, celle où la notion d'identité avait à peine un sens car les individus y occupaient une place sociale qui les définissait (il s’agissait d’une société du destin ; par exemple, le maréchal-ferrant savait quel comportement adopter, quel type de partenaire conjugal il devait choisir et à quelle morale collective il devait obéir)[7].


Concernant sa théorie de l'invention de soi, Kaufmann ne balance ni du côté du concept d’une identité holiste (où l’individu est assujetti à des « principes supérieurs », dirigé « d’en haut ») ou d’une identité individualiste (où chacun est créateur de soi-même et où l’individu s’invente à partir d’un matériel sociologique –la mémoire sociale, par exemple- convoqué en tant que ressource et faisant l’objet de négociations, de bricolage)[8], il énonce que les individus sont définis par leur contexte, tout en ayant une certaine liberté.  Plus généralement, l’auteur ne balance ni du côté du déterminisme (position de Bourdieu, par exemple), ni du côté de la théorie de la liberté des acteurs (théorie de Touraine).
Notons la lecture de l'auteur concernant ce que l’on peut appeler un des maux de notre siècle : le stress. L'auteur ne l’explique pas par une réaction à des stimuli extérieurs (hiérarchie au travail, bruit de la ville, etc.), mais il l'impute plutôt au fait même que l'on est sujet, en compétition et en questionnement permanent.


L'identité sociale


L’identité sociale peut être définie comme la partie de définition de soi qui provient de l’ensemble des groupes auxquels on est susceptible de s’identifier[9]. Selon les auteurs de l’article « Les racines de l’identité sociale »[10], l’identité sociale est le fait de se percevoir soi-même comme membre d’une catégorie sociale : « A la base de l’identité se trouve le mécanisme de la catégorisation : l’être humain, pour s’y retrouver dans le monde social, catégorise les personnes comme il catégorise les objets pour s’y retrouver dans le monde physique »[11].


Nous pouvons donc nous identifier à plusieurs catégories ou plusieurs groupes, pas toujours ceux auxquels on pensent spontanément : «  côté de catégories qui nous paraissent ‘évidentes’ comme le sexe, la nationalité, le groupe d’âge, la catégorie professionnelle, qui interviennent dans de nombreuses circonstances, des identifications moins évidentes a priori peuvent devenir essentielles : on peut s’identifier aux fans d’un club de football ou d’une vedette ; on peut s’identifier à un groupe de malades (songeons aux Alcooliques Anonymes) ; à une pratique culturelle (les colombophiles ou les amateurs d’opéra…), etc. »[12]. L’identité sociale d’une personne peut alors se définir comme l’ensemble des groupes auxquels elle est susceptible de s’identifier. C’est le contexte qui déterminera, parmi toutes les composantes de l’identité sociale (parmi un « stock » d’identités), lesquelles seront activées ou non à un moment donné[13].


La valse des identités


Sous le regard du concept d’identité sociale, la question épineuse de l'identité belge peut tout d'abord être éclairée par le fait que souvent, l'identification à d’autres groupes sociaux (à un groupe professionnel « nous, les ouvriers ; à un groupe d'âge « nous, les jeunes » ou encore à un genre « nous, les femmes ») peut intervenir plus naturellement que par rapport à un pays, une nation ou une région.


Dans le cas de la Belgique, une série d’autres éléments interviennent dans le fait que l'identification belge ne va pas nécessairement de soi (notamment l'absence d'une langue commune, des racines historiques différentes, absence d'une longue histoire commune notamment « guerrière », etc.). Ensuite, l'identité belge se mêle avec d'autres types d'identités institutionnelles: belge, wallonne ou flamande, voire bruxelloise ou allemande, et européenne.


Enfin, l'identité belge est souvent définie comme une identité « en creux », par défaut : elle se définit surtout par ce qu'elle n'est pas. De plus, si le Belge n'est pas Français, ni Néerlandais, ni Allemand, il est tout de même un peu de tout cela[14].


Pour certains, le terme même de « belgitude » signifierait justement que le Belge a du mal à se définir comme tel.


Il semble donc que pour mieux appréhender les problématiques liées aux identités dans notre pays, il faut se munir de ces concepts d’identité et d’identification sociale. Cela permet de mieux cadrer la réflexion et de ne pas se laisser glisser trop vite dans l’émotivité (ce qui est rarement constructif)[15].  

 

 


 


[1] La définition de l’identité du Petit Robert : « Identité : caractère de ce qui demeure identique à soi-même ».
[2] Paragraphe inspiré de l'ouvrage « L’invention de soi: une théorie de l'identité » de Jean-Claude Kaufmann, chez  Armand Colin, 2004.
[3] « L’invention de soi. Une théorie de l’identité ». Interview de Jacqueline Remy dans l’Express du 23/02/2004.
[4] « L’invention de soi. Une théorie de l’identité ». Interview de Jacqueline Remy dans l’Express du 23/02/2004.
[5] Idem.
[6] « L’invention de soi: une théorie de l'identité » de J-C. Kaufmann, chez  Armand Colin, 2004.
[7] « L’invention de soi. Une théorie de l’identité ». Interview de Jacqueline Remy dans l’Express du 23/02/2004.
[8] « L’invention de soi: une théorie de l'identité » de J-C. Kaufmann, chez  Armand Colin, 2004. Plus généralement, l’auteur ne balance ni du côté du déterminisme (position de Bourdieu, par exemple), ni du côté de la théorie de la liberté des acteurs (théorie de Touraine).
[9] « Les racines de l’identité collective » de Marc Jacquemain, Patrick Italiano, Frédéric Heselmans, Michel Vandekeere, Dimitri Deflandre et Isabelle Willems dans Affiliations, engagements, identités : l'exemple wallon, 2005-2006. http://www.popups.ulg.ac.be/federalisme
[10] Idem.
[11] Idem.
[12] Idem.
[13] Idem.
[14] « Belgitude », article de Wikipédia http://www.fr.wikipedia.org/wiki/Belgitude
[15] Analyse rédigée par Marie Gérard.

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