Analyse 2008-16

Lorsque les parents mettent leur jeune enfant en crèche, il s’agit de la première séparation avec celui qu’ils considèrent comme leur bien le plus cher. Etape difficile, où il est essentiel qu’un climat de confiance s’instaure avec le milieu d’accueil. Quels sont les enjeux éducatifs et politiques qui entourent cette première étape de socialisation du jeune enfant ?


S’occuper de très jeunes enfants implique d’être en contact avec ses parents


Quand l’enfant est encore tout petit, l’éducation concerne les parents, bien sûr, et aussi les puéricultrices, lorsque l’enfant fréquente une crèche. Le métier de puéricultrice n’est pas un métier facile, mais il est passionnant. C’est parfois lourd de s’occuper d’enfants toute la journée, mais ce que l’on ne dit pas assez, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de s’occuper d’enfants mais aussi de se préoccuper de leurs parents. On oublie peut-être, dans la formation des puéricultrices, de leur dire à quel point elles auront affaire à des parents. Cela vaut d’ailleurs pour toutes les personnes qui s’occupent d’enfants, qu’elles soient accueillantes à domicile, accueillant(e)s extrascolaires ou enseignant(e) : la formation procure de nombreuses notions et connaissances sur l’enfant, mais parle souvent très peu des adultes.


On n’éduque pas tout seul, c’est un travail collectif de tous les adultes face aux enfants. Aujourd’hui, les parents veulent aimer leurs enfants, mais ils doivent aussi les éduquer : c’est un fameux travail, pour lequel ils doivent être aidés. Les puéricultrices peuvent mesurer à quel point elles prennent une place importante par rapport aux parents, qui n’est pas simplement d’accueillir leurs enfants et de bien s’en occuper -même si c’est bien sûr l’essentiel du métier- mais qui demande aussi d’établir un contact avec eux et d’essayer de leur apporter un véritable soutien dans leur parentalité.


Les parents ont souvent une approche très émotive de l’entrée de leur enfant en milieu d’accueil, en particulier à la crèche, mais il est intéressant d’écouter aussi l’opinion de quelques professionnels de l’accueil de la petite enfance, qui expliquent leurs objectifs et la manière dont ils vivent l’accueil des parents, afin de se faire une opinion critique de cette première rupture avec le milieu familial , étape essentielle car elle est aussi la première étape de la socialisation du jeune enfant.


Le point de vue d’une conseillère pédagogique de l’ONE


« La mission de l’ONE[1] vis-à-vis des parents est de les accompagner, de les soutenir. On connaît généralement l’ONE par le biais des consultations de nourrissons et par sa mission d’accompagnement et de contrôle des milieux d’accueil comme les crèches. Quand on travaille dans les milieux d’accueil, on pense spontanément au partenariat avec les parents, et ce n’est pas toujours très simple. Ce travail est complexe et c’est pour cela que l’ONE a pour mission de soutenir les professionnels, pour leur donner des pistes, soutenir leurs idées et les démarches qu’ils mettent en place pour permettre aux parents de trouver leur place dans les milieux d’accueil. Les professionnels doivent aussi se sentir soutenus, pouvoir parler des difficultés qu’ils rencontrent dans leur travail.


Quand on ouvre le journal, on retrouve régulièrement des situations pas claires dans des crèches : le père vient rechercher l’enfant, mais il ne vit plus avec la mère ; doit-on laisser repartir l’enfant avec cette personne que l’on ne connaît pas, etc. Ce sont des questions de déontologie et il est important pour les professionnels de savoir qu’ils ne sont pas seuls. Il y a bien sûr la direction, mais aussi des intervenants extérieurs, des superviseurs que l’on peut solliciter dans les centres de santé mentale ou des associations qui peuvent aider à réfléchir sur le métier. »


Le point de vue d’une responsable de crèche


« Dans le travail au quotidien à l’intérieur d’une crèche, il est important de laisser une place aux parents. Les puéricultrices passent une bonne partie de la journée (de 8 à 10 heures) avec les enfants qui leur sont confiés par des parents qui, dans la plupart des cas, sont dans l’obligation ou ont fait le choix de travailler et ont pris la décision d’avoir un ou des enfants et de trouver pour eux le meilleur encadrement.On consacre un temps important aux parents au moment de l’accueil, dès l’inscription. Les premiers échanges se font dans le stress : les parents craignent qu’il n’y ait pas de place disponible et la tension est déjà perceptible alors que l’enfant n’est pas encore né. On reçoit les parent, on les écoute, on les informe. L’inscription est l’occasion de présenter la crèche et, pour certains parents, d’entendre ce qui s’y passe, de se représenter ce que peut être un milieu d’accueil. Ce n’est pas forcément un moment facile, surtout s’il s’agit d’un premier enfant, mais c’est un moment important et précieux.  Le deuxième temps fort est le moment de l’entrée, ce que l’on appelle parfois le temps d’acclimatation, de familiarisation, ou encore d’adaptation. Les parents sont accueillis six  fois une demi heure pendant les deux semaines qui précèdent l’entrée en crèche. C’est l’équipe qui a mis ce système en place en fonction de sa pratique et de son vécu. C’est un moment important de prise de contact mais aussi de prise de confiance et d’échange, qui introduit le parent, la puéricultrice et l’enfant dans une relation qui durera peut-être deux ans et demi, ce qui n’est pas rien dans la vie d’un jeune enfant.


Le troisième moment important, ce sont les relations au quotidien. Il est essentiel de pouvoir se donner le temps d’accueillir le parent et l’enfant le matin, d’avoir des échanges autres que de s’assurer que l’enfant a bien mangé et dormi. Ce n’est pas toujours facile le matin. Le soir, il y a un moment d’échange vraiment important, pour dire ce qu’à été la journée de l’enfant, pour entendre peut-être les inquiétudes des parents. C’est un travail de longue haleine des puéricultrices que d’accorder de l’importance à ce que les parents attendent, qu’ils n’osent pas toujours formuler si on ne leur tend pas ma perche. »


Le point de vue d’une infirmière en crèche


« Chez nous aussi, le temps de l’inscription est très important. Il se passe toujours en présence de la directrice ou de l’infirmière. Ce premier contact permet aux parents de sentir l’ambiance, de découvrir ce qu’est un milieu d’accueil si c’est leur premier bébé. C’est évidemment  plus difficile lorsque l’inscription se passe au troisième mois de la grossesse : les parents vivent un attachement très fort à leur futur bébé, ils fantasment à son propos, imaginent comment il sera à la naissance et doivent déjà penser à s’en séparer.  Ce n’est pas évident et c’est une des raisons pour lesquelles certains parents se présentent tardivement pour inscrire leur enfant à la crèche. Puis vient le moment de la naissance. Un mois avant l’entrée, on se revoit en groupe avec les autres parents qui vont mettre leur enfant à la crèche au même moment. Cela permet d’expliquer le projet pédagogique et d’échanger sur les attentes de chacun, que l’on soit parent ou membre du personnel. Cela permet aussi aux parents de rencontrer la puéricultrice de référence.C’est un moment difficile pour les parents, qui confient ce qu’ils ont de plus cher au monde  à quelqu’un qui a certes un diplôme et de l’expérience, mais qu’ils ne connaissent pas. D’où la nécessité de cette période de familiarisation. Il n’y a pas que le bébé qui doit prendre le climat de la crèche, c’est également le cas des parents. Il faut que s’instaure un  climat de confiance réciproque : il n’est pas question que les parents aient peur d’annoncer par exemple que l’enfant a de la température.


La période de familiarisation est chez nous de 3 visites minimum. L’idéal est que l’enfant puisse venir d’abord avec un de ses parents ou avec quelqu’un en qui il a confiance et qui le connaît bien. Ensuite, de commencer par des journées assez courtes, pour que l’enfant ne soit pas directement confronté à une journée de 7h30 jusqu’à 18h. »


Une responsable de crèche


« Le premier contact avec une future maman ou un futur papa se passe généralement par téléphone. Les futurs parents savent généralement qu’il ne faut pas appeler avant le troisième mois de grossesse. Ce premier contact est déjà un moment de stress, puisque l’on sait qu’il n’y a malheureusement pas assez de places disponibles dans les crèches. Sans connaître la personne qui appelle, il faut déjà tâcher de créer un climat de confiance, et parfois essayer de rassurer le parent tout en lui disant qu’il n’y a pas de place. Je passe en moyenne 12 minutes avec les personnes que je ne connais pas pour essayer de les guider vers des solutions autres que notre crèche quand je sais qu’il n’y a plus de place. On prend toujours les coordonnées, on remplit les formulaires d’inscription et, si des places se libèrent, on recontacte les parents. C’est vers le sixième mois de la grossesse qu’a lieu le deuxième contact : les parents viennent visiter la crèche.Quand le bébé est né, il y a un troisième contact : l’assistante sociale fait une visite au domicile des parents. Dans notre crèche, la période de familiarisation dure une semaine, voir plus si la maman l’estime nécessaire. Il s’agit alors de petites périodes d’une heure, le matin de 10h à 11h, parce que le bébé doit s’habituer à de nouveaux locaux, de nouveaux bruits, de nouvelles personnes, de nouvelles couleurs et c’est très fatiguant. Pour les parents c’est aussi une prise de contact avec un milieu qu’ils ne connaissent pas du tout. Ils posent des milliers de questions et repartent fatigués parce qu’ils doivent assimiler un maximum d’informations. Nous essayons, avec les puéricultrices, de créer ce premier lien, de leur expliquer que nous sommes là en tant que professionnels, qu’ils ne vont pas perdre leur enfant, que leur enfant est leur trésor et que cela restera ; nous sommes là pour nous occuper au mieux de leur enfant, afin qu’ils puissent aller travailler en étant rassurés autant qu’il est possible. Cela dure une semaine. Le lundi, je les accueille et je leur dis : vendredi vous laisserez votre petit bout pendant une heure. Vous en profiterez pour aller faire des courses, vous offrir quelque chose, en tout cas un peu de bon temps, comme vous n’avez sans doute plus pu le faire depuis l’accouchement. Cela vous mettra un peu de baume au cÅ“ur, car c’est un moment difficile. Et le vendredi, elles le font. Elles reviennent contentes, mais elles reviennent très vite rechercher leur enfant. Et puis le lundi suivant, elles vont travailler et je leur dis : « Lundi vous pouvez me téléphoner 10 fois, mardi 5 fois, mercredi 1 fois et puis ça doit aller ». Mais le contact reste ouvert et on essaie d’y mettre de l’humour, afin de vivre au mieux  cette entrée dans un univers totalement inconnu. Par la suite, on essaie de garder une communication vraie et franche, ce qui n’est pas toujours facile, parce chaque parent est unique et différent et qu’il faut apprendre à créer des liens avec des gens qu’on ne connaît pas, sans les juger.   Il faut rester professionnels, et on est aidés en cela par des équipes de psys qui font des supervisions d’équipes et avec lesquels ont peut décharger les tensions qu’on accumule avec les enfants et les parents. Bien souvent, le fait d’en parler apporte des solutions.


On est aussi aidés par les formations continuées, au cours desquelles on entre en contact avec le personnel d’autres crèches. Cela permet d’échanger, de voir que, souvent, cela ne se passe pas si mal chez nous, ou bien de découvrir quelque chose qui se fait ailleurs et que l’on mettrait bien en place, etc . »


Une infirmière responsable d’un pré-gardiennat


« Un pré-gardiennat n’accueille les enfants qu’à partir de l’âge de 18 mois.  Nous accueillons donc des enfants dont les parents ont décidé de garder l’enfant à la maison en postposant la reprise du boulot, ou l’ont confié à des grands-parents. Parfois, c’est parce que les grands-parents se retrouvent dépassés qu’ils viennent frapper à notre porte.  L’accueil se fait de manière différente, puisque l’enfant a déjà 18 mois ou 2 ans, qu’il a déjà derrière lui tout un passé, une expérience de garde par la maman ou une autre personne. Comme nous accueillons moins d’enfants, nous pouvons aussi laisser une plus grande place aux parents, qui restent tout aussi inquiets que quand il s’agit d’un tout petit bébé. Quoi qu’il en soit, le temps de familiarisation doit être respecté de la même manière. C’est quand même un grand changement et l’on essaie de mettre des choses en place : on demande aux enfants d’apporter une photo de la maison avec maman, papa, les frères et sÅ“urs et on lui montre la photo s’il a un gros chagrin ; on essaie de  créer des liens par des petites fêtes, des goûters, etc.  Cela favorise une autre ambiance, une dynamique très agréable.


On parle souvent de l’importance des premiers contacts pour l’enfant et pour les parents, mais parfois on oublie de parler de l’importance de cette période pour les professionnels qui doivent aussi découvrir des personnes nouvelles. »


Quelles conclusions ?


Quelles conclusions tirer de ces témoignages de professionnels ? La première tient certainement au fait que la préoccupation des professionnels est d’accueillir les enfants en bas âge dans les meilleures conditions possibles et de rassurer les parents en nouant avec eux le meilleur contact possible.


Par ailleurs, il faut être conscient que le travail d’accueil de tout petits n’est pas toujours facile, même s’il est passionnant. Chaque nouveau parent est une personne nouvelle, avec laquelle il s’agit de nouer une relation de confiance. C’est dans cette relation qu’il s’agit d’inventer au jour le jour la meilleure formule pour un enfant particulier : comment on va s’entendre, travailler ensemble, collaborer dans un but éducatif avec des gens qu’au départ on ne connaît pas, ce qui n’est pas facile. D’où l’importance de la période de familiarisation.


Une autre difficulté propre aux accueillant(e)s est que les parents d’aujourd’hui ne sont pas les parents d’hier. Jadis, la plupart des femmes avaient leur premier enfant vers 23 ou 25 ans. Aujourd’hui, les professionnels sont confrontés à la fois à des jeunes mamans de 16 ou 17 ans, en âge d’obligation scolaire, avec toutes les difficultés qui s’y rapportent, et à des femmes de 40-45 ans qui mettent au monde leur premier enfant qu’elles désirent depuis parfois 20 ans Il n’est pas facile de donner des conseils à des parents de 45 ans… Jusqu’ou faut-il aller pour les aider ?


Autre aspect de l’accueil de la petite enfance : la formation des puéricultrices se fait au niveau de l’enseignement secondaire, dans la filière professionnelle. Cela dénote pour certains le peu de reconnaissance sociale de ces emplois.  Il est vrai qu’on vit dans une société où tout ce qui a trait à la petite enfance n’est pas valorisé. Il suffit de voir le salaire des puéricultrices et des enseignants… C’est quand même le reflet de la valeur que l’on donne à nos enfants.


Par ailleurs, les élèves de ces sections font généralement preuve d’une grande maturité, surtout au niveau émotionnel, au niveau de l’écoute de l’enfant. Et  la qualité de leurs études n’est pas à minimiser. La jeunesse n’est pas un obstacle à la compétence pour s’occuper d’enfants, ce serait même plutôt un atout du moment que l’on fait confiance aux jeunes puéricultrices, d’autant que les stagiaires et les jeunes diplômées travaillent en général avec des collègues un peu plus chevronnées sous forme d’un tutorat, d’une prise en charge et d’un accompagnement dans leur nouveau milieu de travail.


L’accueil de la petite enfance pose aussi une autre question, liée au genre : le fait d’être jeune n’est peut-être pas un obstacle au métier, mais le fait d’être un homme en est-il un ? Le fait d’être une femme implique-t-il d’office qu’on s’occupe mieux d’un enfant ? La question peut paraître théorique, de l’avis des responsables de crèches, car elles ne reçoivent quasi jamais de candidatures masculines. Pourtant, l’image de l’homme est importante en crèche. Lorsque des étudiants en psycho viennent en stage, ils ont un succès fou auprès des enfants. C’est important d’aider les hommes à comprendre que ce n’est pas parce qu’on s’occupe d’un bébé qu’on n’est pas un homme. Je pense qu’il y a un frein qui fait qu’on passe plutôt instituteur ou éducateur et on va s’occuper d’ados parce que, ça c’est être un mec. Mais un tout petit enfant a besoin d’une image masculine et d’autant plus aujourd’hui où il y a des enfants qui depuis la naissance jusqu’à 12-13 ans ne voient pas un homme, car ils sont dans une famille monoparentale avec la mère, puis en crèche avec des femmes, à l’école maternelle avec des femmes et à l’école primaire tant mieux s’ils ont croisé un instituteur… Il est temps que les hommes investissent le domaine de l’éducation. Pour grandir, pour devenir un garçon ou une fille, l’enfant doit avoir en face de lui des images d’hommes et de femmes[2].

 

 


 

[1] Office de la Naissance et de l’Enfance. L’Office de la Naissance et de l’Enfance est l’organisme de référence de la Communauté française pour toutes les questions relatives à l’enfance, aux politiques de l’enfance, à la protection de la mère, au soutien à la parentalité et à l’accueil de l’enfant. http://www.one.be/
[2] Analysée réalisée par José Gérard, au départ d’un Midi de la famille organisé par l’échevinat de la famille de la commune d’Ixelles en collaboration avec diverses associations, dont Couples et Familles. Cette rencontre avait pour thème « Eduquer ensemble lors de la petite enfance » et réunissait plusieurs intervenants professionnels dans l’accueil de la petite enfance autour de Philippe Béague, président de l’association Françoise Dolto.

 

 

 

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