Analyse 2008-17

Le jeûne (re)suscite de nos jours un certain engouement. Pratiqué dans de nombreuses traditions et par de grands noms de l’histoire (Moïse, Hippocrate, Saint-Paul, Socrate, Ghandi), il retrouve une nouvelle image aujourd’hui. Sans entrer dans le débat « pour-contre », « dangereux-bénéfique pour la santé », essayons de mieux comprendre le retour de cette pratique initialement philosophique et religieuse.


Le jeûne dans les religions


Le jeûne est une pratique présente dans de nombreuses religions et si celles-ci y accordent un sens différent, on retrouve cependant certaines similarités.


Si les significations du jeûne pour les chrétiens d’aujourd’hui peuvent être diverses, dès les débuts du christianisme, le jeûne est compris comme une étape de préparation (à l’eucharistie, à la Noël ou encore à Pâques). C’est surtout pour le Carême que le jeûne est connu. Dans la tradition chrétienne, le mot « Carême » désigne les jours de préparation (40 jours) avant la fête de Pâques : cette période se marque par le jeûne et les privations, l’aumône et les prières afin de fêter la résurrection[1].  « Jadis, l’Eglise donnait des règles précises sur les modalités de la pénitence, du jeûne et de l’abstinence. Aujourd’hui, elle engage les chrétiens à suivre deux voies : d’une part des actions individuelles et collectives de solidarité vis-à-vis de personnes ou de pays défavorisés. D’autre part, elle insiste pour que l’ascèse de chaque individu porte sur ce qui l’encombre personnellement »[2]. Outre cette pratique, le jeûne est considéré comme un facteur de purification qui aide à rencontrer Dieu. Il consiste le plus souvent en une privation volontaire de certaines nourritures (le plus souvent la viande). Notons que dans l'Église Orthodoxe et dans l’Eglise catholique, le jeûne et l'abstinence peuvent se pratiquer avant de recevoir la communion.


Dans l’islam, le jeûne est mieux connu par le Ramadan (un des cinq piliers de l’Islam) pendant lequel les croyants s’abstiennent de toute nourriture, de boissons, de relations sexuelles du lever au coucher du soleil. Mais le jeûne a aussi une signification plus large : considéré comme un renoncement, la religion recommande de le pratiquer à d’autres moments[3]. « Il appelle le devoir d’obéissance à la Loi que Dieu a donnée à Mohammed et la nécessité de partager avec tous : les voisins, les amis mais surtout les plus pauvres. Le jeûneur lutte contre les tentations et approfondit sa foi »[4].


On retrouve aussi cette pratique dans la religion juive qui recommande des jeûnes notamment pour des raisons de deuil et de purification intérieure. L’hindouisme porte aussi une grande importance au jeûne : il est pratiqué notamment lors de certains « événements » religieux. Le jeûne y est considéré comme une marque de dévotion, un sacrifice, un moyen d'aider à la méditation[5].


On peut aussi le retrouver dans certaines philosophies orientales, où le jeûne, associé à des techniques méditatives, a pour vocation d'améliorer la conscience du corps et de mieux ressentir l’effet des pensées sur le corps, ou encore chez les améridiens.


« Pratiqué de tous temps et partout, le jeûne est un concept philosophique et religieux qui se retrouve dans toutes les traditions. Sacrifice aux dieux ou voie initiatique, procédé de purification corporelle, psychique ou spirituelle, le jeûne signifie une rupture avec un ordre ancien ou un état par trop quotidien, afin d’accéder à un stade supérieur »[6].


Le grand nettoyage


Pour les adeptes du jeûne, cette pratique permet de faire « un grand nettoyage » tant au niveau corporel (une technique d’hygiène et curative) qu’au niveau spirituel. Il existe aussi différents types de jeûnes : il y a par exemple le jeûne à l’eau, le jeûne sec, le jeûne mono-diète (on choisit un aliment et on ne consomme que cela) ou encore le jeûne « au jus vert » (avec jus à base de légumes et fruits verts). Les pratiques se situent aussi dans des durées différentes (de quelques jours à plusieurs mois) et on retrouve diverses motivations (retrouver une santé menacée, perdre du poids, redevenir acteur et maître de sa vie, parcourir un cheminement spirituel, etc.).


Pour les défenseurs, le jeûne permet la désintoxication, la régénération ou encore la stimulation des défenses immunitaires. Par exemple, le jeûne permettrait de pallier au stockage de graisse naturel qui s’opère chez l’être humain (car il y avait succession de périodes d’abondance et de disette). Ce stockage n’est plus utile car si notre corps a gardé la possibilité de « stocker » des calories en trop, nous vivons généralement dans l’abondance permanente. Cela nuit donc à d’autres fonctions du corps comme la régénération des cellules, ou encore l’élimination des toxines[7]. Le jeûne faciliterait donc l’activation de ces deux fonctions[8]. « Le jeûneur subit pendant deux ou trois jours la faim, les maux de tête, les crampes musculaires. Il peut ressentir un important affaiblissement de tout son organisme. Ensuite revient la force, le sentiment d’acuité des sens, la libération spirituelle »[9].


Selon Godelieve Ugeux dans son article « Je jeûne, donc je suis ? »[10], bien que les significations plus spirituelles soient multiples, le principe du jeûne est souvent lié à celui du contrôle de soi, à la maîtrise de sa volonté pour dominer ses faiblesses, à la résistance aux facilités ou encore au positionnement en tant que contestataire. On peut aussi y ajouter les fonctions de purification, de méditation ou d’acquisition du discernement qui permet de se soustraire à des habitudes sclérosantes[11]. Le jeûne permettrait donc de se recentrer sur sa vie, ses priorités, ses choix.


Dans les témoignages de personnes ayant pratiqué le jeûne, il est frappant de remarquer que tous entament une réflexion sur leur rapport à la nourriture et à l’alimentation : « Cette expérience m'a permis de prendre conscience (…) que je mange pour bien d'autres raisons que la faim. Je mange parce que je suis gourmande. (Si j'avais une alimentation beaucoup plus monotone, je mangerais probablement beaucoup moins). Je mange par ennui. Je mange parce que c'est une activité sociale, un moment agréable pour moi, où je me retrouve avec ma famille ou mes amis. Je me suis rendu compte que manger véritablement à ma faim, c'est manger au moins un tiers de moins que ce que je consomme habituellement »[12]. Mais aussi, plus généralement, on observe que les « pratiquants » se questionnent sur le rapport à soi et au monde.


Selon les défenseurs de cette pratique, le jeûne n’a pas bonne presse dans l’espace public. Ils se plaignent des critiques adressées par la médecine et de la manière dont on parle du jeûne dans les médias : « Si la grande presse parle parfois du jeûne, c’est pour décrire une impressionnante grève de la faim d’un groupe de militants ou pour s’alarmer sur les diètes coercitives imposées par un gourou aux victimes d’une secte. (…) Le jeûne est largement critiqué par le corps médical et considéré définitivement comme une pratique sans intérêt et plutôt risquée[13] (…) Ils lui trouvent en effet, un aspect de croyances populaires sans fondement sérieux »[14].


Nouvelles formes de jeûne


Aujourd’hui, différentes formes et modalités de jeûne se sont développées. Des grèves de la faim aux diètes amaigrissantes, petit tour d’horizon.


Le jeûne politique, aussi appelé grève de la faim (ou jeûne de protestation) est, selon certains, une invention de Gandhi. Si de grands noms de l’histoire l’ont pratiqué, il se pratique de nos jours par plusieurs « groupes sociaux ». Si nous connaissons bien les grèves de la faim pratiquées par les réfugiés en demande d’un permis de séjour, il l’est aussi par des groupes désireux de faire pression sur une autorité ou d’apporter une couverture médiatique à leurs opinions. On retrouve aussi cette pratique dans le milieu carcéral.
Le jeûne se pratique aussi de manière individuelle : à ce propos, nous avons épinglé un article sur le témoignage d’une dame qui a pratiqué durant quelques mois une « grève de la faim » (elle se limite à un bol de soupe par jour) ; « (…) une manière pour cette professeure dynamique de dire combien elle en a assez de vivre dans une société où les préoccupations sont axées prioritairement sur la surconsommation ou encore la suralimentation »[15]. Pour cette dame, il s’agissait de poser un « coup de gueule sociétal », d’être en accord et en action avec ses opinions et de pouvoir interpeller son entourage et ses élèves.


Différentes formules d’encadrement pour les jeûneurs néophytes fleurissent de nos jours : semaine de stage chez un particulier, semaine de stage « jeûne et randonnée », semaine « dolce vita » avec piscine, sauna et massage, etc.[16]


Il y a par exemple, le concept « jeûne et randonnée » provenant d’Allemagne qui s’est étendu en France et en Belgique avec un certain succès (une appellation à ce jour déposée et réservée aux seuls adhérents de la Fédération française de jeûne et randonnée)[17]. Des stages de jeûne sont organisés toutes les semaines en France. Les « stagiaires » font de la randonnée en journée ;  « La randonnée est au service du Jeûne: la marche stimule la circulation, les pauses permettent au foie de travailler »[18] et suivent un régime très particulier (des tisanes pour le matin, un peu de jus de fruit le matin et bouillon de légumes le soir). Dans la soirée, le programme prévoit des exposés et discussions concernant le déroulement du jeûne et la reprise après le jeûne. Les jeûneurs sont invités, avant le stage, à suivre certaines règles de préparation comme éviter de manger de la viande, des produits laitiers et autres produits animaux, diminuer la consommation d’excitants (café, thé, nicotine), etc. Bizarrement, le prix de ces stages est assez élevé : de 400 à 500 euros pour une semaine, logement non compris. Un peu cher pour un retour aux sources… Cette formule existe aussi en Belgique avec des semaines de jeûne à la mer.


Selon la Fédération, plusieurs milliers de francophones auraient déjà tenté l’expérience.


Qu’il soit spirituel ou thérapeutique, le jeûne semble apporter à ses pratiquants une pause dans le rythme effréné de la vie actuelle et semble leur apporter une réflexivité sur leurs gestes quotidiens.  Il joue un rôle de retraite que certains pratiquent d’ailleurs sans abandonner leurs activités (travail, loisirs, vie de famille, etc.). D’autres le pratiquent comme porte-voix à leurs opinions ou leurs revendications. Ce « grand nettoyage cérébral, corporel et spirituel », comme d’autres pratiques parallèles ou alternatives, révèle en tout cas un besoin de s’arrêter, de prendre distance par rapport au cours habituel des choses et des événements, afin de retrouver un rythme de vie plus harmonieux. Pratiqué avec sagesse et hors propositions commerciales, il constitue en tout cas une démarche de renouvellement intérieur peu onéreuse[19].  

 

 



[1] « Je jeûne, donc je suis ? », un article de Godelieve Ugueux dans L’Appel  de Février 2008.
[2] Idem.
[3] Le jeûne est obligatoire lors du Ramadan. Par ailleurs, il est souhaitable à d’autres moments qui rythment la vie du musulman. Il y a par exemple l’Achoura, le dernier jour du pèlerinage, ou encore le mois de la Chaabane (le mois avant le Ramadan).
[4] « Je jeûne, donc je suis ? », un article de Godelieve Ugueux dans L’Appel  de Février 2008.
[5]« Hindouisme » dans  sur le site « Les religions au Canada :  http://www.forces.qc.ca/hr/religions
[6] « Je jeûne, donc je suis ? », un article de Godelieve Ugueux dans L’Appel  de Février 2008.
[7] « Pourquoi le jeûne », un article du site Jeune et Randonnées : http://www.jeune-et-randonnee.be
[8] Notons qu’apparemment, le jeûne serait pratiqué par deux types de « populations » spécifiques (celles pour lesquelles l’organisme doit être préparé à de rudes épreuves) : les femmes désireuses d’une grossesse qui suivent chaque week end précédant la conception, un jeûne de « dépollution » très favorable à leur futur bébé et certains sportifs de spécialités d’endurance  qui appliquent des jeûnes de préparation à l’effort.
[9] « Je jeûne, donc je suis ? », un article de Godelieve Ugueux dans L’Appel  de Février 2008.
[10] Idem.
[11] Idem.
[12] « Monodiète », témoignage dans « Bioblog, Chroniques de deux consommatrices repenties ». http://herryplum.canalblog.com
[13] Si nous ne prendrons pas position, nous noterons que dans tous les sites consacrés à ce sujet que nous avons visité, on préconise et on insiste fortement sur l’obligation d’un suivi médical et d’une préparation avant le jeûne.
[14] « Qu’est ce que le jeûne », un article du site Effervesciences : http://www.effervesciences.com
[15] « Grève de la faim : Carine a tenu bon », article de C.B. dans La Meuse du 19/12/2008.
[16] Il y a aussi les « jeûneurs avertis » qui suivent systématiquement un jour de jeûne dans la semaine.
[17] « Je jeûne, donc je suis ? »
[18] « Pourquoi le jeûne », un article du site Jeune et Randonnées : http://www.jeune-et-randonnee.be
[19] analyse réalisée par Marie Gérard.

 

 

 

 

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