Analyse 2008-19

Les familles sont de plus en plus sensibles au développement durable : tri des déchets, consommation responsable, économies d’énergie, etc. Dans le secteur des vacances, des propositions de tourisme alternatif se développent également. Comment s’y retrouver et faire des choix qui correspondent effectivement aux valeurs que l’on essaie de vivre[i] ?


République Dominicaine, Costa Rica, Inde, Népal, Kenya, etc., autant de destinations touristiques qui en font rêver plus d’un. Selon les chiffres de l’OMT (Organisation mondiale du tourisme), on compte plus de 800 millions de touristes par an et ce chiffre pourrait atteindre 1,5 milliard en 2020. L’industrie du tourisme occupe au niveau mondial le troisième rang derrière le pétrole et l’industrie automobile : il représente donc un terrible enjeu pour nombre de pays. A côté des voyages « all-inclusive », on nous propose aujourd’hui un type de tourisme alternatif (écotourisme, tourisme solidaire, éthique, responsable, équitable). Comment s’y retrouver dans ces voyages désormais accessibles au grand public ?  


Qu’est ce que le tourisme durable ?  


Concept à la mode et source d’ambiguïté, le tourisme durable, dans la même lignée que le développement durable, est utilisé à toutes les sauces, si bien que sa définition et la réalité qu’il recouvre varient selon chacun. Il importe donc, avant de plonger dans le vif du sujet, de redéfinir le concept de tourisme durable. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme, les principes de durabilité concernent les aspects environnemental, économique et socioculturel du développement du tourisme. « Pour garantir sur le long terme la durabilité de ce dernier, il faut parvenir au bon équilibre entre ces trois aspects. Par conséquent le tourisme durable doit :

  • Exploiter de façon optimum les ressources de l’environnement qui constituent un élément clé de la mise en valeur touristique, en préservant les processus écologiques essentiels et en aidant à sauvegarder les ressources naturelles et la biodiversité.
  • Respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil, conserver leurs atouts culturels et valeurs traditionnelles et contribuer à l’entente et à la tolérance interculturelles.
  • Assurer une activité économique viable sur le long terme offrant à toutes les parties prenantes des avantages socioéconomiques équitablement répartis, notamment des emplois stables, des possibilités de bénéfices et des services sociaux pour les communautés d’accueil, et contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté »[ii]. Le tourisme durable repose donc sur trois piliers fondamentaux : environnemental, socioculturel et économique. Il s’est développé en réponse au tourisme de masse souvent critiqué pour ses effets négatifs sur la nature, la culture et l’économie des régions exploitées. En effet, Les conséquences néfastes de ce type de tourisme sont nombreuses.  


Conséquences socio-économiques


Si aujourd’hui, le secteur du tourisme est le plus gros pourvoyeur d’emplois au monde, les emplois générés dans le sud sont souvent médiocres et /ou intermittents (femmes de chambres, gardiens d’hôtels, ouvriers de bâtiments, etc.) et les salaires sont très bas. Tel est le cas en République Dominicaine, où les riches industriels exploitent des travailleurs haïtiens illégaux pour construire des hôtels.  De plus, on remarque aussi que les habitants du sud, attirés par un salaire plus élevé, abandonnent souvent des métiers stables d’auto-subsistance tels que l’agriculture ou la pêche, ce qui entraîne des conséquences importantes sur la vie sociale.  Si le tourisme est source d’enrichissement, il importe de se poser la question « A qui profite-t-il ? ». Au niveau des structures d’hébergement, on note que six des sept premières multinationales de l’hôtellerie sont nord-américaines. Quant aux infrastructures aéroportuaires, elles sont souvent réalisées par des entreprises du Nord et les emplois dans le secteur de la restauration et des animations échappent aux habitants du Sud.  Une autre conséquence importante au niveau économique est la forte concentration de touristes dans certaines régions qui entraînent une augmentation des prix et donc des difficultés d’accès aux aliments locaux pour les populations locales.


Conséquences socioculturelles


Les villages touristiques entourés d’un mur protecteur et le système « All-Inclusive » où tout est gratuit empêchent tout contact avec la population locale. Pourquoi sortir de cette enceinte paradisiaque puisque le touriste trouve tout sur place (boissons et nourriture à volonté) ? Les seuls contacts que ces touristes ont avec les autochtones sont limités à ceux du personnel, ce qui renforce l’image de culture dominante/ culture dominée. Autres contacts que l’on peut envisager dans ce cas sont ceux qui ont lieu lors des achats de souvenirs. Mais l’on déplore ces contacts brefs basés sur un échange essentiellement marchand. Si lors du séjour, une visite en dehors de l’enceinte réservée au touristes est prévue, celle-ci s’apparente davantage à une visite au zoo plutôt qu’à une véritable rencontre de l’Autre et de sa culture. Les différents aspects d’un pays et de sa population (artisanat, danses, rituels et traditions, musique, etc.) sont souvent réduits à des produits stéréotypés, figés pour satisfaire le dépaysement des touristes et leur envie d’exotisme. On peut parler dès lors de « folklorisation » de la culture.


Conséquences environnementales


« Que ce soit en terme de consommation de ressources naturelles, de production de déchets, de consommation d'espace, de modification paysagère, de préservation des sites classé, etc. le tourisme incontrôlé peut entraîner une pression importante sur l’environnement et les ressources des zones visitées »[iii]. Voyages aériens, parcours 4x4, piscines et air conditionné ont des impacts sur la faune et la flore ainsi que sur les ressources naturelles locales. On peut déplorer aussi la construction de villages de vacances sur des terrains cultivables ou dans des espaces verts ou encore l’énorme production de déchet généré dans ce type d’hôtels. Puisque les exemples sont souvent plus révélateurs, citons-en quelques-uns. En Thaïlande , il faut autant d’eau pour un terrain de golf que pour 60000 paysans ; dans les Caraïbes, 90% des eaux non traitées sont déversées directement dans la mer ; aux Philippines et aux Maldives, les dynamitages des coraux pour la construction d'hôtels ont endommagé les barrières de corail, etc. Face à ce tourisme de masse, s’est donc développé un tourisme durable qu’on retrouve sous différentes appellations ou différentes formes (tourisme équitable, solidaire, tourisme éthique ou encore écotourisme), chacun veillant à respecter les trois principes de base du tourisme durable et intégrant une dimension éthique et écocitoyenne.  


L’écotourisme


Nous allons nous pencher sur une des formes de tourisme durable centré sur la nature: l’écotourisme. Pour la TIES (Société Internationale de l’Ecotourisme) « (…) l’écotourisme est une visite responsable dans des environnements naturels où les ressources et le bien être des populations sont préservés »[iv].Au sein des ONG et autres institutions concernées, l’écotourisme est envisagé comme une réponse durable au tourisme de masse considéré par ceux-ci comme une menace pour l’environnement. Cette forme de tourisme a plusieurs objectifs : il y a la préservation de la nature voire la restauration des écosystèmes. Au niveau environnemental, l’écotourisme prend en considération l’action de l’homme en vue d’en limiter les conséquences néfastes et favoriser une gestion relationnelle de la nature. Pour ce faire, les agences de tourisme vert utilisent l’indice de mesure appelé « capacité de charge touristique », c’est-à-dire le nombre maximum de visiteurs que peut tolérer un écosystème donné sans subir de dégradations trop conséquentes. Cette notion revêt un caractère assez subjectif d’où l’importance du rôle des scientifiques dans la détermination de la capacité de charge touristique. La connaissance du milieu naturel, des écosystèmes, etc. doivent donc faire l’objet d’études préalables sérieuses.


S’il s’agit de minimiser les impacts négatifs sur la nature, c’est aussi le cas pour la culture. En effet, ce tourisme cherche à valoriser et à respecter la diversité culturelle. Il s’agit ici de dépasser la brièveté des échanges pour créer une véritable rencontre interculturelle où chacune des parties en présence est respectée. Il s’agit donc pour les agences de voyages, associations d’écotourisme et autres de travailler en collaboration avec les acteurs locaux. Ils doivent constituer de véritables partenaires dans l’organisation et sur les sites.


Comme alternative aux grands hôtels, l’écotourisme propose des logements et services fournis par la population locale, ce qui contribue à favoriser les échanges et l’économie locale. Il invite également les touristes à se rendre dans des restaurants et dans des centres d’artisanat locaux afin de contribuer à une plus juste répartition des bénéfices.
Pour une meilleure compréhension de l’autre et de ses traditions, la plupart de ces agences de tourisme éthique proposent d’ « éduquer » les voyageurs sur l’importance de la conservation et de la préservation de la nature, mais aussi sur les comportements à éviter pour ne pas détruire le mode de vie de ces populations. Il existe des gestes simples, trop souvent oubliés voire jamais enseignés qui permettent de préserver le capital naturel et culturel des régions visitées[v].   


Tout rose ? Tout vert ?  


Si cette forme de tourisme paraît idéale sous différents points de vue, il faut savoir que l’industrie touristique s’est vite emparée de ce concept pour attirer de nouveaux clients. En effet, de nombreuses agences de voyages et chaînes hôtelières se sont emparés du concept d’écotourisme pour diversifier leur offre et toucher un public avide de découvertes et soucieux de l’environnement, sans pour autant adopter les principes éthiques reconnus par le tourisme durable. Il est donc important de pouvoir faire le tri dans les offres pour éviter les organismes qui n’ont pas un comportement éco-responsable.  


Il y a une véritable demande de la part des touristes pour voyager autrement, être plus proches de populations et découvrir des espaces naturels loin du bruit, de la société de consommation.  L’industrie du tourisme à plus d’un tour dans son sac pour répondre à cette demande. De nombreux voyages sont organisés où l’on découvre des forêts, des déserts et des campagnes, symboles de paradis perdus pour les offrir aux touristes qui cherchent le dépaysement, le contact avec la nature et la découverte d’autres modes de vie. Le problème dans ces formes de voyage est que est que des lieux jusque là isolés sont mis à la disposition de tous, sans prendre en considération l’indice de capacité de charge touristique et donc les effets sur l’environnement, la population et la culture. Des superficies croissantes sont affectées à des parcs naturels au nom de la préservation de la biodiversité sans soucis des populations qui habitent ces territoires et de leurs activités agricoles. Il est donc important qu’il existe une bonne information pour les voyageurs.  
La culture « authentique » dévoilée aux touristes est en fait résumée à quelques symboles typiques, faciles à déchiffrer et qui renforcent nos stéréotypes. Sylvie Brunel dans son article « Tourisme et mondialisation : vers une disneylandisation universelle ? »[vi], cite l’exemple de l’artisanat des Indiens d’Amérique du nord ou des aborigènes qui sont proposés comme émanant de l’artisanat local à des touristes en quête de découverte de l’autre et de sa culture, et sont en réalité fabriqués en série en Chine. Ou encore, au Kenya, où des villages masaïs typiques sont reconstruits pour les besoins du tourisme et seulement 1% des recettes vont à la population masaï qui doit pourtant subir l’appropriation et la destruction de leurs champs. C’est ce qu’elle appelle « la disneylandisation des territoires ». Les autochtones, en échange de quelques sous, sont invités à mettre en scène des cérémonies, des danses traditionnelles, etc. jusqu’à en exagérer les traits. Ils deviennent figurants, otages de leur propre histoire. Quelle place leur laisse-t-on au développement de ces populations lorsque le but est de montrer une population « primitive » dont les traditions intriguent, mais dont on ne comprend pas le sens ? Le « bon sauvage » doit rester tel quel si l’on veut continuer à attirer les voyageurs. Au nom de l’ « authenticité », le système va jusqu’à leur refuser une certaine modernisation, des droits tels que l’accès à l’eau potable, l’électricité et autres services.   


Si le tourisme durable nous apparaît comme une solution au tourisme de masse et ses conséquences négatives sur l’environnement, les populations locales, leur culture et leur économie, nous invitons les voyageurs à adopter un comportement citoyen informé en posant par exemple des questions aux agences de voyage qui proposent un tourisme vert, sur la part de bénéfices qui revient à la population locale, sur le type de partenariat envisagé avec les autochtones, etc. afin de déterminer s’il s’agit véritablement de tourisme durable. Pour cela, il faut qu’il y ait une véritable conscientisation des touristes dans nos pays. Il est aussi important, lorsque nous voyageons, d’adopter un comportement ouvert envers l’autre. Cela commence par s’informer sur les us et coutumes des pays visités, par apprendre quelques mots dans la langue d’origine du pays, etc. afin de créer une véritable rencontre avec l’Autre, semblable et différent. Chacun est acteur dans sa manière de voyager. Si l’on entend souvent dire que c’est le voyage qui fait l’homme, c’est aussi l’homme qui fait le voyage[vii].  

 

 


 


[i] Analyse réalisée par Séverine Wodon
[ii] Organisation Mondiale du Tourisme :   www.world-tourisme.org. Voir aussi le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) : http://www.uneptie.org/pc/tourism/sust-tourism/home.htm
[iii] « Un voyageur averti en vaut deux ! », brochure réalisée par l’Asbl Aide au développement International, 2006
[iv] www.ecotourismo.org, TIES (Société Internationale de l’Ecotourisme)
[v] Vous pouvez continuer à vous renseigner en parcourant la charte du tourisme durable, la charte du tourisme éthique, le code mondial d’éthique du tourisme, la charte du tourisme équitable. Ces chartes plus ou moins récentes, traduisent la volonté des différents partenaires d’établir des principes éthiques pour le tourisme. Seulement, ces chartes n’ont qu’une valeur symbolique car aucun label reconnu n’est encore suffisamment fort. -          Charte du tourisme durable : www.insula.org/tourism-          Charte du tourisme éthique : www.atalante.fr-          Charte du tourisme équitable : www.croqnature.com/tourismeequitable.htm-          Code mondial d’éthique du tourisme : www.world-tourism.org
[vi] « Tourisme et mondialisation ; vers une disneylandisation universelle ? » de Sylvie Brunel, 2006
[vii] Pour aller plus loin : « Tourisme durable : utopie ou réalité ? Comment identifier les voyageurs et voyagistes éco-responsables ? » de Jean-Pierre Lamic, aux Editions L’Harmattan, 2008

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants