Analyse 2008-20

Les foetus nés sans vie avant 6 mois n’ont aucune existence officielle. Ce fait provoque malaise et mal-être pour les couples et les familles qui doivent faire face à cette interruption de vie. Quelles pistes développer pour aider ces parents à faire le deuil de leur enfant ?  


Proposition de loi


Il y a peu, une proposition de loi a été déposée pour permettre aux parents de faire un acte de déclaration d’enfants sans vie et, s’ils le souhaitent, de leur donner un prénom[i]. Pour le moment, les enfants qui naissent sans vie avant la limite légale de viabilité, soit 6 mois de grossesse, n’ont aucune existence officielle.  Aucun acte, de naissance ou de décès, ne peut les porter dans les registres de l’état civil et ces enfants ne portent pas officiellement de prénom. Ils n’ont pas non plus, comme les enfants considérés juridiquement comme mort-nés (au-delà de 6 mois de grossesse), le droit d’être inhumés ou incinérés[ii]. La proposition de loi ne vise pas à changer la limite légale de viabilité (plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées dans ce sens), ce qui ne manquerait pas de faire émerger un débat. « A l’indicible désespoir d’avoir perdu un enfant avant de naître, s’ajoute la douleur immense de la non-reconnaissance : le trop petit bébé, qualifié de "déchet hospitalier", sera incinéré avec les autres pièces opératoires de l’hôpital où l’accouchement a eu lieu... »[iii]. La proposition de loi rédigée par Mme Nyssens introduit la possibilité, pour les parents concernés, de faire dresser un acte de déclaration d’enfant sans vie pour tout foetus né sans vie (ou vivant, mais non viable) dont la naissance a eu lieu entre le106e jour (15semaines de grossesse) et le180e jour de gestation. Cet acte ne préjuge pas de savoir quel niveau de développement l’enfant avait atteint ou s’il a vécu ou non, précise-t-elle. Il ne sera dressé qu’à la demande d’un des deux parents. Autre précision : un tel acte n’ouvre pas d’autre droit que celui de laisser une trace de l’existence de l’enfant né sans vie dans le registre des actes de décès et de lui attribuer un ou plusieurs prénoms - uniquement si les parents le souhaitent. Cette proposition de loi semble rencontrer des besoins exprimés par les familles, l’entourage et le personnel médical devant faire face à cette mort.   


Deuil périnatal


Pour le moment, les parents « désenfantés » sont donc dépossédés de certains moyens pour faire le deuil de leur enfant. Ce vide législatif, cette non-reconnaissance pose un problème pour le deuil que les parents doivent faire. A cela s’ajoute le fait que le personnel médical reste encore souvent démuni face à ces « événements ». Certains hôpitaux forment leur personnel à l’accompagnement des parents mais dans d’autres, cela reste encore tabou et l’accompagnement en souffre. « On trouve encore des témoignages de parent ayant très mal vécu l’hospitalisation : manque de dialogue avec le personnel, enfant peu montré, ou encore le personnel ayant de lourdes appréhensions, bâcle la photo « souvenir »; seule trace du passage éclair d’un petit être aimé et désiré »[iv].


Du côté du monde médical, le personnel en contact avec la famille doit donc apprendre à gérer ces situations difficiles. Voici le témoignage d’une sage-femme d’expérience qui a appris au fil du temps à aider au mieux les parents : « Face à l’épreuve difficile que vivent les parents, j’essaie de les accompagner au mieux. La rencontre avec leur enfant est redoutée et est source d’angoisse : moment de confrontation avec la réalité où l’enfant réel fait place à l’enfant imaginaire. Moment d’une extrême intensité émotionnelle tant pour les parents que pour moi-même, aussi, je me dois de présenter l’enfant de la façon la plus accueillante et humaine qu’il soit : habillé et dans mes bras. Je suis en quelque sorte « la médiatrice » de cette première et ultime rencontre, permettant aux parents d’aborder leur bébé avec le plus de sérénité possible »[v].  


Selon les professionnels qui doivent accompagner les parents et selon les témoignages de certains parents, certains gestes peuvent aider à entamer un deuil et à rendre le moment moins difficile.  Lorsque cela est possible, l’accouchement naturel peut être privilégié.  « Il m’a apparu étrange que l'on me demande de mettre au monde un enfant mort naturellement. Mais finalement je trouve que cet enfant qui est le mien et que j’aime méritait comme tout autre de mes enfants de naître par les voies naturelles, avec respect. Si je m’en étais séparée autrement, j’aurais eu le sentiment de faire semblant, de vouloir l'éviter, de m'en débarrasser comme si ce n était pas vrai cet enfant… Et puis aujourd’hui, je suis heureuse de cela… Je me rappelle la dernière poussée celle qui me séparait à jamais de lui et celle où j allais découvrir son visage si beau. De plus, psychologiquement, pendant que vous mettez l'enfant au monde vous réalisez aussi qu’il a bien existé et que ce n est pas un rêve que vous avez vécu… Ce qui peut arriver le long de votre deuil Je suis sa maman, j’avais le droit de lui dire dignement au revoir, je t’aime »[vi].


Il est aussi conseillé de se créer des souvenirs et de pouvoir les conserver. Il s’agit par exemple de couvrir son enfant d’un linge et de le garder pour soi, de prendre des photos de l’enfant[vii] (« Je ne voulais pas au départ et puis on me l'a conseillé. Faites-en dans les bras de maman, de papa. Elles sont si précieuses par la suite. Ne vous gênez pas, prenez ces photos »), de prendre une mèche de cheveux, de prendre les empreinte des pieds et mains ou encore de conserver le bracelet de naissance s’il y en a un, etc. Tous ces éléments, si les parents en ont la force, permettront de garder des « preuves » et des traces du passage de l’enfant sur terre. Cela sera utile pour entamer et évoluer dans son deuil. Les obsèques, lorsque cela est possible sont aussi fortement conseillées. Cela permet de signifier cette mort à l’entourage et à soi-même, de la « célébrer » et de partager cette douleur. « J’ai été surprise par le bien que cela m'a apporté, savoir où se trouve son corps et à la fois le placer là où il doit être. Cela permet aussi d’avoir un endroit pour se recueillir. Tous ces gestes je les ai faits moi-même et je connais de nombreuses mamans qui les ont faits sans jamais les regretter »[viii].


S’il faut pouvoir accompagner les parents à ces moments, il faut aussi le faire lorsque la question d’une autre grossesse apparaît. Elle ne sera pas vécue comme une grossesse ordinaire, elle peut être très désirée et en même temps très angoissante. Certains parents envisagent tout de suite la venue d’un autre bébé, d’autres s’accordent du temps. Le désir de maternité et de paternité qui avait conduit le couple à avoir un enfant n’est pas comblé avec la perte de celui-ci. S’il est assez difficile de prendre position là-dessus, il faut que le couple soit prêt à cette nouvelle grossesse. Car lors de cette grossesse, il y aura des périodes difficiles (le mois où la grossesse a été interrompue, par exemple). Dans ces moments, un accompagnement (notamment par l’équipe médicale) doit être privilégié. Pour l’enfant à naître, de nombreux psychologues déconseillent de donner au nouvel enfant le même prénom que celui qui est décédé. Il s’agit d’une précaution afin de ne pas transposer les attentes et les angoisses liées à l’enfant décédé. L’enfant à naître ne doit jamais être confondu avec l’enfant perdu. Pour cela, il faut qu’on ait donné une place à celui-ci dans l’histoire de la famille.  Il est donc important de parler à cet enfant de l’aîné qu’il n’a pas connu (par exemple avec les souvenirs dont nous parlions plus haut) avec des mots qui conviennent à son âge[ix].   


Des associations et des initiatives


De nombreuses associations ont été crées, souvent par des parents qui ont du faire face à la mort de leur enfant, pour mieux penser l’accompagnement des parents, pour créer des espaces d’échanges pour les parents, pour interpeller et faire évoluer les pratiques, etc.En Wallonie, il existe plusieurs associations qui ont pour objectif le soutien dans le deuil des parents dont le bébé est mort pendant la grossesse ou autour de l'accouchement (deuil périnatal). Ces associations aident parfois également les parents ayant perdu leur bébé dans ses premiers mois de vie, qu’il s’agisse de maladie ou de mort subite du nourrisson. Il y a par exemple l’association ADP (Aide au Deuil Périnatal) à Liège[x] qui  propose des groupes de parole tous les mois pour les couples ayant perdu un bébé, ainsi que des activités pour les familles. Elle dispose aussi d'un réseau de "Parents Relais" disposés à écouter et accompagner les parents ayant perdu un bébé dans leur processus de deuil[xi].


Dans un autre registre, nous retenons l’association française « Le ciel de Justine ». Cette association s’est donné comme mission de faire connaître et de distribuer un vêtement adapté aux tout petits.  « Ce vêtement est un outil pour les professionnels afin de les aider dans leur démarche d’accompagnement. Cet habit adapté à l’enfant, aux couleurs douces permet de le mettre en valeur, de faciliter la rencontre et de permettre aux parents de garder la meilleure image possible de leur bébé. Il est important que cette rencontre se déroule dans les meilleures conditions possibles afin de favoriser par la suite le processus de deuil ».  


Ces associations sont très importantes car elles permettent un soutien aux parents et une reconnaissance sociale de leur souffrance, au travers de la reconnaissance de l’enfant mort. Perdre un enfant est déjà une souffrance énorme, mais qu’il faut en outre le plus souvent vivre seul, puisque les autres refusent de reconnaître l’existence même du bébé. Au-delà du soutien que peuvent offrir les associations, on peut aussi espérer que la législation évoluera et permettra la reconnaissance de l’enfant mort avant la naissance par le biais d’un enregistrement officiel.

 

 



(analyse rédigée par Marie Gérard)
[i] Proposition de loi déposée par la sénatrice Clotilde Nyssens.
[ii] Dans la pratique, certaines communes ont toutefois pris des dispositions pour autoriser ces funérailles.
[iii] « Laisser une trace du bébé né sans vie » de An. H. dans La Libre du 01/12/2008. www.lalibre.be
[iv] « Interruption médicale de grossesse » sur le site Le Ciel de Justine, www.lecieldejustine.fr.
[v] Témoignage sur le site de l’Association Le Ciel de Justine  www.lecieldejustine.fr.
[vi] Autre témoignage : « Ce qui m’a aidée, c’étaient la présence et les paroles de ma sage-femme. Rapidement après l’annonce du décès du bébé, elle m’a parlé de la suite - de l’accouchement qui pouvait se passer comme prévu, du prénom à choisir pour le bébé, de l’enterrement… Mon bébé est ainsi redevenu un être humain et non plus un monstre. Et moi, j’étais redevenue une maman. Enracinée dans le passé, propulsée dans l’avenir, j’étais rapidement en mouvement, en vie ».
[vii] Et éventuellement, remettre le film à quelqu’un de l’entourage pour qui le conservera.
[viii] Témoignage sur le site de l’Association Le Ciel de Justine  www.lecieldejustine.fr.
[ix] Pour aller plus loin « Repères pour vous, parents en deuil » par l'Association Sparadrap. (Livret rédigé par un service de réanimation pédiatrique afin d'améliorer le soutien offert aux parents endeuillés «Ce livret vous apporte des informations et des conseils sur les décisions bien concrètes que vous aurez à prendre dans les prochains jours (les jours suivant le décès) pour vous et les vôtres. Vous y trouverez également des informations sur vos réactions possibles face au deuil, sur celles de vos autres enfants ou de votre entourage »). « Lorsque l’enfant disparaît » de Raimbault Ginette  aux Editions Opus. (Psychanalyste et directeur de recherches à l’INSERM, l’auteur s’appuie sur des témoignages de personnes connues qui ont utilisé l’écriture pour « intégrer » leur deuil. Elle cherche à comprendre le chemin psychique que les parents doivent parcourir pour traverser leur deuil). « Ces bébés passés sous silence, A propos des interruptions médicales de grossesse » de Frédérique Authier-Roux aux Editions Eres. (Le diagnostic anténatal, l’échographie et d’autres techniques médicales contemporaines ont permis de percer, un peu plus, les secrets de la vie, avant même la naissance du petit d’homme. Parfois, lorsque ces secrets sont par trop terribles, lorsque l’enfant qui s’annonce est marqué par le handicap, la souffrance, une interruption médicale de grossesse est évoquée, indiquée, proposée, réalisée.Comment aller à la rencontre de ces femmes et de ces couples, dans ces moments si forts où la mort vient se lover au creux de la vie ? Comment les accompagner ? Comment accueillir ce bébé mort ? Comment aider les professionnels et les équipes de maternité à penser et à parler ces instants si surchargées d’affects ? Comment réintroduire ces événements dans la vie et l’histoire d’une famille ?).
[x] 04/225.61.87 http://www.deuil-enfant.be
[xi] A Namur, il y a l’Asbl Demain. (081/73.72.74 - demain@scarlet.be). Cette association, créée au départ pour aider les parents de bébés décédés de mort subite, regroupe des parents et des psychologues. Elle organise des groupes de parole à Ciney accueillant depuis 2006 des parents ayant vécu un décès in utero et autour de la naissance.Dans le Brabant Wallon, il y a l’association Parents Désenfantés (010 24 59 24). Cette association regroupe des parents ayant vécu le décès de leur enfant, quel que soit l’âge de celui-ci. Sont proposés des lieux de parole et d’écoute au sein de groupes de personnes vivant la même expérience (soirées d’accueil, réunions trimestrielles, écoute téléphonique).A Bruxelles, il existe un groupe de parole « Mizuko »pour parents en deuil périnatal à Bruxelles
(Mme Diricq et Mme Gustin – Tél : 02 535 45 41). Dans le Luxembourg, il y a l'association D-Clic qui propose des accompagnements individuels et de groupe pour personnes endeuillées, mais non spécifiques au deuil périnatal.Référence dans : http://www.alternatives.be/fiches/deuil-perinatal.htm

 

 

 

 

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