Analyse 2009-04

La coéducation école-famille est une manière d’explorer ensemble la planète de l’adolescent.  Au travers d’une coéducation efficace, le jeune prend conscience que ses parents et professeurs s’intéressent ensemble à son parcours scolaire, mais également à son univers.


La coopération entre la famille et l’école est un moyen indispensable pour aider les jeunes à réussir leur scolarité. L’école ne doit pas être uniquement un lieu d’enseignement. Elle doit également être un espace d’éducation générale. La coéducation dans le secondaire est un peu plus compliquée que la coéducation dans l’enseignement fondamental. Pourquoi ? Parce que coéduquer un adolescent n’est pas facile : les parents et l’école doivent s’entendre sur une mission très floue - la coéducation - par rapport à un objet relativement flou - l’adolescent. L’adolescence est en effet un concept vague. Il s’agit, en fait, d’une construction mentale propre à nos sociétés, qui n’a pas toujours existé. De plus, l’âge auquel on entre dans l’adolescence est de plus en plus difficile à situer. Deux notions différentes sont apparues : l’adonaissance, qui est une immersion très rapide de l’enfant dans le monde des adultes, et l’adulescence, qui est cette tendance postmoderne à prolonger indéfiniment l’adolescence. L’adolescence est donc une période transitoire molle, relativement mal définie et qui a tendance à s’allonger et dans laquelle l’idée de coéducation va se retrouver singulièrement mise à mal. Tout comme pour le fondamental, la coéducation nécessite un ensemble de règles. Pour éviter une confrontation entre les familles et l’école, il faut nécessairement fuir la cogestion, le co-enseignement et la police des familles (voir à ce propos l’analyse 2009-03 : Eduquer ensemble à l’école primaire). Ces dangers sont toutefois moins importants dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement fondamental, car la présence effective des parents à l’école diminue dans le secondaire. Â cette période, les parents les plus découragés sont complètement absents du champ scolaire. Les règles de la coéducation doivent donc être précisées. Quand les parents et l’enseignant savent qu’ils ne se trouvent pas dans une situation d’accusation réciproque, ils peuvent se donner les moyens de réfléchir ensemble et d’avancer.  


Les adolescents « glandent »


Éduquer, c’est répondre à un ensemble de besoins pour aider quelqu’un, que ce soit un enfant, un adolescent ou même un adulte, à se développer. Ce qu’il y a de difficile dans l’éducation d’un adolescent, c’est qu’il ne semble plus du tout en demande par rapport à ses parents. On parle surtout de crise d’adolescence. En fait, ce n’est pas la crise de l’adolescent. Parce que lui, globalement, il ne se sent pas mal. Les adolescents ont tendance à éprouver un sentiment subjectif de bien-être relativement important. En fait, il s’agit de la crise de tous les environnements dans lesquels l’adolescent évolue. La crise se produit effectivement davantage chez ceux qui observent l’adolescent et sont gênés ou irrités par son comportement : il ne fait rien, il traîne les pieds, il donne l’impression de s’ennuyer. Les adultes autour de lui vont donc essayer de le mettre en mouvement parce que son non mouvement leur pose problème. Mais l’adolescent, en fait, n’ que très peu de problèmes avec sa manière de se comporter.Les adolescents utilisent un mot pour qualifier cette capacité qu’ils ont à ne rien faire sans pour autant s’ennuyer : « le glandage ». Glander est une manière de vivre au présent, sans perspective d’avenir, et sans en ressentir le problème. Il s’agit d’un mécanisme très salutaire sur le plan de la gestion du stress. En fait, même s’il peut nous agacer, nous aurions beaucoup de choses à apprendre de l’adolescent. Généralement, les adultes sont contaminés par le temps qui passe et ont du mal à vivre au présent : ils ressassent ou sont attirés par leur passé, et se projettent sans cesse dans l’avenir, au risque de ne jamais habiter vraiment le présent. L’ennui est important pendant l’adolescence. Si le jeune ne s’ennuie jamais, il reste figé dans les occupations qui accaparaient son attention quand il était enfant. L’ennui chez l’adolescent est un réaménagement pour passer à autre chose. On doit donc pouvoir tolérer un certain niveau d’ennui chez l’adolescent. Mais ce n’est pas chose facile, car nous vivons de plus en plus dans l’hyperparentalité ; l’école et la famille vivent de moins en moins au présent et ont besoin d’être rassurées en permanence par rapport à l’avenir du jeune.


L’adolescence : une planète nouvelle


Les adolescents vivent dans une planète nouvelle, un univers propre dans lequel ils se réfugient. Un des pièges pour les parents et les enseignants est de vouloir envahir cette planète qui contient les goûts particuliers des adolescents, si possible les plus éloignés du monde adulte. En s’identifiant à des personnages comme Eminem ou Marylin Manson, les adolescents essaient de créer une rupture symbolique avec les autres. Le but de l’adolescent est de se différencier de ses parents, et d’évoluer dans un environnement dans lequel il va devenir de plus en plus inintelligible pour son entourage. De nombreux parents et enseignants disent des adolescents : « On ne les comprend plus ». C’est normal et ce n’est pas un drame. On peut même prendre cela comme une bonne nouvelle : il ne faut surtout pas les comprendre. Lorsque l’on dit à un adolescent qu’on le comprend, il va s’arranger pour devenir très rapidement inintelligible. L’adolescent a besoin de se mettre à distance, en rupture par rapport au monde de ses parents et des adultes en général. Etre compris signifierait pour lui ne plus pouvoir évoluer. S’il est compris, l’adolescent perd l’aptitude à décevoir, à étonner ou à se conformer. Et l’adolescent doit justement travailler sur ces trois mécanismes pour devenir ce qu’il est. Tout l’enjeu est donc d’aborder cette planète de l’adolescent non pas comme des envahisseurs, mais comme des ethnologues. Le parent doit tenter de découvrir ce que l’adolescent aime, non pas pour le comprendre, mais pour le connaître. La considération est fondamentale pour les adolescents.


L’importance des mécanismes identitaires


Dans nos sociétés, construire son identité est terriblement difficile à réaliser, et demande beaucoup d’énergie aux adolescents. Les mécanismes identitaires sont basés sur ce que le philosophe Paul Ricoeur appelait « l’ipséité » et « la mêmeté » : « Je veux ressembler à tout le monde tout en étant unique ». Les fans de Marylin Manson, par exemple, arrivent remarquablement à vivre à la fois dans l’ipséité et la mêmeté. Le jour du concert, ils vivent dans la mêmeté, avec leurs marques de scarification : visages blanc, vêtements noirs. Le lendemain, lorsqu’ils retournent dans leur classe avec leurs marques de scarification, ils vivent l’ipséité : leurs marques les distinguent des autres. Nokia a suivi ce même principe avec les gsm : si vous voulez être comme tout le monde, achetez un Nokia. Mais vous recevrez quatre-vingt sonneries, un habillage d’écran, une face de gsm, et la combinaison des trois fera de votre téléphone un gsm unique. On retrouve le même mécanisme avec les casquettes.Devenir quelqu’un est un travail très compliqué et le danger survient lorsque l’école et la famille ne parviennent plus à valider ces mécanismes identitaires. L’adolescent cherche alors d’autres espaces, et la coéducation fait place au vide éducatif. Au mieux, l’éducation est prise en charge par les pairs, vivant les mêmes types de difficultés. L’adolescent est alors contraint de se développer, vaille que vaille, à l’intérieur de ces deux espaces qui ne sont pas arrivés à s’entendre sur ce que l’on attendait d’eux par rapport à son développement. Bien sûr, les parents et les enseignants n’éduquent pas seuls, mais dans une communauté éducative. Lorsque la famille et l’école ne sont plus en mesure d’éduquer un adolescent qui perd pied, ils ont toujours la possibilité de se tourner vers des troisièmes milieux, qui peuvent être porteurs : les médiateurs, les services d’aide, les CPAS ou les services d’action (1).

 

 


 

(1) Analyse rédigée par Isabelle Bontridder (Couples et Familles) au départ d’une rencontre-débat animée par Bruno Humbeeck, travailleur psychosocial, Alain Letier, ex-directeur d’établissement et la participation de plusieurs représentants des écoles secondaires d’Ixelles. Cette rencontre a eu lieu dans le cadre des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec diverses associations, dont Couples et Familles.       

 

 

 

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