Analyse 2009/07

En Belgique, environ 100 000 jeunes seraient victimes de « school bullying », un anglicisme utilisé pour désigner le « harcèlement scolaire ». Dans nos écoles, ce phénomène se répand et est, bien trop souvent, passé sous silence.

 
Les brimades


Le harcèlement en milieu scolaire est un phénomène qui sévit de plus en plus dans nos écoles.  Les professionnels lui ont donné un nom anglais: le school bullying. « Selon toutes les études mondiales et belges consacrées à la violence scolaire, de 10 à 15% des élèves seraient harcelés par leurs camarades. Il en va de même pour la France, la Suisse ou les Pays-Bas. » (1)Pour ces élèves, la vie est un enfer. Ils se voient affublés de surnoms ridicules. Leurs camarades de classe font bloc contre eux pour ne pas leur adresser la parole, le contenu de leur trousse est renversé. Leurs desserts sont taxés à la cantine et leurs cartables piétinés… Ces élèves sont bousculés dans les couloirs, enfermés dans des pièces. Ils reçoivent des messages injurieux ou méchants...  (2) « Le school bullying, ce sont de petits faits, banals, labiles mais répétitifs. C’est une violence persistante, qui use. Ce que les experts résument sous cet anglicisme ressemble plutôt à de la tyrannie et à des humiliations préméditées et continues. Un élève est victime de bullying lorsqu’un autre élève, ou groupe d’élèves, se moque de lui ou l’insulte. Ces situations peuvent durer et il est difficile pour l’enfant de se défendre.» (3) Le harcèlement est possible lorsqu’il y a relation de domination. Il est caractérisé par une violence à long terme, physique ou psychologique. Cette violence est perpétrée par un ou plusieurs agresseurs à l'encontre d'une seule victime. Il ne s’agit donc pas de school bullying lorsque deux enfants de force égale se battent ou se disputent. Une simple querelle dans la cours de récréation n’est pas considérée comme du school bullying.  Le phénomène est grave lorsque c’est toujours le même élève qui est victime, et quand il y a un déséquilibre des forces entre les tyrans et leur cible, une relation dominé-dominant.


Un phénomène qui débute très tôt


Le harcèlement peut commencer très tôt. Déjà en maternelle, on retrouve dans les classes des petits caïds et des souffre-douleur. Mais ce sont les 9-14 ans qui se distinguent par leur violence. Et c’est durant la première et la deuxième secondaires que les risques de school bullying sont les plus grands. Pourquoi ? Les adultes sont moins présents que durant les primaires et régulent moins les relations entre élèves. « Par ailleurs, c’est au tout début de l’adolescence qu’on a un besoin très fort d’appartenance au groupe. Et le souffre-douleur soude aussi le groupe contre sa différence. Les chiffres, en tous cas, contredisent deux idées largement répandues : non, les enfants ne sont pas des anges. Non au dicton petits enfants, petits soucis ; grands enfants, grands soucis. Car les risques, en effet, s’amenuisent avec l’âge. » (4)


Qui sont les cibles du school bullying ?


Il n’existe pas de portrait robot du bouc émissaire. Mais on peut toutefois le reconnaitre grâce à certaines caractéristiques. Les premières victimes sont souvent les bons élèves. « Ces derniers ne sont plus des exemples à suivre, mais des victimes toutes trouvées pour des jeunes gens en quête de reconnaissance », remarque Nicole Catheline, psychothérapeute et auteure de Harcèlement à l’école (5). Pourquoi les élèves s’attaquent-ils aux intellos du premier rang ? En fait, en s’attaquant aux bons élèves, ils s’attaquent à l’école et à l’institution scolaire tout entière. Pourquoi ? Parce que l’école exclut les mauvais élèves et méprise ceux qui restent sur le carreau. Elle leur renvoie une image négative d’eux-mêmes. Les élèves se vengent alors par la violence.  Les élèves qui changent d’école en cours de scolarité peuvent également être confrontés au school bullying, mais également les plus timides ou ceux qui souffrent d’un défaut physique.Les victimes de harcèlement scolaire sont souvent fragiles, candides, timides, sensibles, moins forts physiquement que la majorité de leurs copains. Ils sont immatures ou, à l’inverse, en avance. « La victime est souvent traités de p’tit gros, de pas beau, de myope, de nul, de mauviette… Malhabile socialement, pas très bon dans les sports, il manie involontairement l’art de se faire des ennemis », confirme Jean-Paul Matot, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola. Mais c’est surtout la façon dont l’enfant répond aux brimades de ses compagnons qui va permettre à la spirale infernale de s’enclencher et de se répéter. Il faut savoir que le harcèlement touche un peu plus les garçons que les filles. Même si certaines de leurs techniques sont pareilles que les garçons, les filles ont leur propre manière d’harceler. Elles pratiquent l’exclusion, la mise à l’écart et la rumeur. Elles n’invitent par exemple jamais leur victime aux fêtes qu’elles organisent.  


Le profil de l’agresseur


L’intimidateur, quant à lui, éprouve un fort besoin de domination et est, en général, impulsif. Il a peu d’empathie : il ne parvient pas à se mettre à la place de sa victime et, en plus, éprouve un très faible sentiment de culpabilité. « Il est sûr de lui, costaud et ne souffre pas d’une « angoisse cachée », même si ses résultats scolaires sont assez faibles. Il s’estimera d’ailleurs victime des adultes. Il cherche à nuire, mais n’agit pas seul (dans la majorité des cas, ils forment un duo ou un trio). » (6) Les autres élèves l’admirent mais ont peur de lui et évitent sa compagnie car ils le craignent. En secondaire, le harceleur n’est plus accepté que par d’autres comme lui.

 

Réaction des victimes


Le harcèlement scolaire est un véritable calvaire. Il peut perturber gravement les enfants. Souffrance, peur de parler, peur de ne pas s’en sortir, honte. L’enfant ne veut plus aller à l’école. Ses résultats scolaires chutent. Dans les situations les plus graves, le harcèlement peut mener à la déscolarisation. Il peut également conduire à la dépression, à l’anxiété ou à la somatisation. Selon une étude anglaise, 61% des victimes auraient des idées suicidaires. (7) Cette situation de school bullying est donc extrêmement difficile à vivre pour l’enfant. Elle dure parfois longtemps, et il n’est pas facile de s’en défendre.


Un phénomène qui s’étend : le cyberbullying


Le cyberbullying est une variante du harcèlement scolaire. Il repose sur Internet et sur l’usage des nouvelles technologies de la communication. Un jeune sur trois aurait déjà été la cible de harcèlement électronique. Supports utilisés pour ce type de harcèlement : mail, texto, sites web, forums, photos diffusées sur Internet.« La cyber-intimidation n’est que la version Internet de conduites repérables ailleurs », souligne le chercheur Benoît Galand. L’agresseur et sa victime se connaissent dans la vraie vie. Internet n’est qu’une manière d’harceler encore plus la victime, de la persécuter au-delà de la cour de récréation ou du chemin de la maison. Avant l’arrivée d’Internet, un répit était possible. Avec le cyberbullying, on peut être harcelé en tout lieu et à tout moment.  


Un phénomène passé sous silence


Un problème majeur entoure le school bullying : il est banalisé et passé sous silence. Tous le monde conspire pour se taire, respectant à la lettre le fameux code d’honneur : « On ne cafte pas ». De fait, les autres élèves n’osent pas réagir. Ils se rangent du côté des plus forts pour ne pas avoir de soucis, craignant d’être harcelés à leur tour. Les enseignants, quant à eux, ne réagissent pas. Une enquête révèle que près de 60% des élèves disent que les enseignants n’interviennent « presque jamais » ou seulement « de temps en temps » pour empêcher les brimades. En fait, les parents et les enseignants n’arrivent pas à détecter le school bulluying. Et lorsqu’ils en prennent conscience, ils ont souvent tendance à réagir de manière inappropriée, en prononçant cette petite phrase : « C’est la vie, il faut qu’il apprenne à se défendre. »  Comment est-il possible de ne pas avoir conscience de la situation douloureuse que vit un élève ou son propre enfant ? En fait, la mise à l’écart, le mépris, la vexation et l’insulte ne laissent pas de traces visibles à l’Å“il nu et les victimes se taisent. Accepter que l’on vit des problèmes de violence dans sa classe, c’est devoir avouer que l’on a échoué. De plus, les enseignants ne veulent pas s’immiscer dans l’éducation de leurs élèves. « Ils rechignent à jouer les gendarmes. Ils ne réagiront que lorsque les élèves dérangent leurs cours », pointe Benoït Galand (8). Les enseignants pensent également que le harcèlement survient dans des endroits autres que la classe ou l’école : les trajets, et les après-midi de congé par exemple. C’est faux. Les brimades surviennent plus souvent dans la cour de récréation et dans les classes qu’en dehors. La violence prend forme dans des zones de transition, et se déroulent à certains moments de la journée : dans les toilettes, les recoins des cours de récré, les vestiaires de gym, à l’arrêt de bus. Les moments les plus sensibles de la journée sont le matin et la pause de midi. L’après-midi, les élèves sont plus fatigués.  


Comment repérer un enfant victime de school bullying ?


Un élève victime de harcèlement scolaire présente certains signes qui ne trompent pas :

  • Il trouve des prétextes pour ne plus aller en classe ;
  • L’école signale aux parents des absences de plus en plus fréquentes;
  • Il se plaint régulièrement de maux de tête et de ventre ;
  • Il se replie sur lui-même, devient aigri ou agressif à la maison ;
  • Il reproduit parfois sur ses frères et sÅ“urs ce qu’on lui inflige à l’école ;
  • Il a des insomnies, des cauchemars et des problèmes d’alimentation (perte d’appétit ou crise de boulimie).  


Que faire ?


Le phénomène de school bullying est étudié depuis longtemps en Europe du Nord. Le Norvégien Dan Olweus, professeur de psychologie à l’université de Bergen, a été le premier à l’analyser, dans les années 1970. Il a ensuite développé un programme de prévention et d’intervention aujourd’hui appliqué dans de nombreux pays tels que l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne. Ses travaux servent de référence aux enquêtes actuelles. (9)  Concernant le school bullying, il n’y a pas de fatalité. Les victimes du school bullying peuvent s’en sortir, même si certains ne s’en remettront jamais complètement. La première chose à faire est d’oser en parler. Un autre conseil à donner : partir ailleurs, trouver un nouvel établissement scolaire. Mais d’après le Suédois Dan Olweus, pionnier de la recherche sur le school bullying, il y a d’autres conseils à suivre :

  • Savoir ce qui se passe avant d’agir : soumettre les élèves à une enquête anonyme ;
  • Débattre à l’école pour mettre au point une stratégie coordonnée ;
  • Surveiller les cours de récré ;
  • Doter les profs et élèves de règles anti-violence et déterminer des sanctions cohérentes ;
  • Etablir des conseils de classe, où se discutent bilans et projets sur la vie de groupe ;
  • Ouvrir une ligne d’écoute interne pour encourager ceux qui ont peur de parler. Intervenir auprès de l’agresseur et assurer protection à la victime :
  • Appuyer tant les parents d’agresseurs que ceux des victimes. 


Du côté des parents, il s’agira avant tout d’être attentif aux changements de comportement d’un enfant qui refuse tout à coup d’aller à l’école et de l’inciter à se confier s’il rencontre des difficultés. Une fois le harcèlement détecter, prendre contact avec les responsables de l’école afin de déterminer une attitude et une stratégie communes, pour le meilleur bien de l’enfant. (10)  

 

 


 

(1) « 100.000 élèves ont peu d’aller à l’école », in Le Vif-L’Express du 19/06/2009.
(2) Voir à ce propos le récit d’un cas vécu : « A l’école primaire », in  « L’ordi, nouveau membre de la famille ? », dossier NFF 89, septembre 2009.
(3) « 100.000 élèves ont peu d’aller à l’école », in Le Vif-L’Express du 19/06/2009.
(4) Ib.
(5) Harcèlements à l’école, Nicole Catheline et Véronique Bedin, Albin Michel, 2008.
(6) In Le Vif, ib.
(7) Young Voice, 200 cité in Motto Florence 08 "Les brimades entre élèves", Sciences Humaines, n° 190, février 2008, p 24.
(8) Cité dans Le Vif, ib.
(9) Voir à ce propos le site site www.scienceshumaines.com, en particulier l’article http://www.scienceshumaines.com/qu-est-ce-que-le-bullying-a-l-ecole-_fr_21811.html
(10) Analysée réalisée par Isabelle Bontridder.

 

 

 

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