Analyse 2009-12

La nouvelle loi sur le divorce promeut l’intérêt de l’enfant comme critère de décision. Mais comment favoriser cet intérêt lorsque le divorce est conflictuel et que l’un des deux parents utilise l’enfant contre l’autre ?  Une analyse des situations et de leurs conséquences sur les acteurs permet de dégager des pistes pour l’avenir.


Monter un enfant contre l’autre parent


Comment peut-on en arriver en 2009 à utiliser un enfant contre l’autre parent qui est évidemment l’autre géniteur ? On peut mettre en évidence quatre raisons.


Le conflit déstabilise les personnes


La première, c’est que le divorce conflictuel représente 20 à 25% des 30 à 35 000 divorces annuels en Belgique. La Belgique est un des pays où l’on retrouve le plus de divorces par million d’habitants. Cela  représente environ 6 000 divorces conflictuels chaque année. Cela concerne donc 12 000 parents. Si vous comptez une moyenne deux enfants par couple cela fait à peu près 24 000 personnes chaque année.


Ces divorces conflictuels, qui ne sont donc pas rares, qui se retrouvent au tribunal lorsqu’on n’arrive pas à se mettre d’accord en consensuel, entraînent ce qu’on appelle la notion de déstabilisation des divorcés. Le livre « Des hommes ordinaires » de Browning, permet de comprendre comment, en état de guerre, de simples citoyens allemands devenus progressivement des soldats, en arrivent progressivement à tuer froidement. Comment un simple Allemand qui vit dans sa ferme, tout à coup, devient un soldat qui tue froidement. Le processus est décrit et expliqué au départ de la déstabilisation des personnes dans un conflit. Dans un conflit, on ne reste pas soi-même. Dans un conflit, les personnes peuvent faire des choses qu’ils ne feraient jamais hors conflit.


L’appât du gain


Deuxième chose : l’appât du gain, illustré par l’expression « gagner son divorce ». Quand un couple se sépare, il y a souvent l’un ou l’autre (mauvais) conseiller pour dire : « Tu dois essayer de gagner ton divorce. Tu vas gagner de l’argent si tu vas au tribunal ». Ces conseilleurs se retirent souvent du système par la suite, mais ils ont suggéré la notion d’appât du gain.  Malheureusement, les médias nous parlent quasi tous les jours des sommes faramineuses versées par les stars à leur ex-conjoint à la suite d’un divorce. Cela entretient dans le public l’idée que le divorce peut être l’occasion de gagner quelque chose.


L’évolution de la loi


Il y a de nombreuses années, le divorce était réglé selon la notion de faute conjugale. Depuis une bonne vingtaine d’années, et la loi de 2006 a accentué le processus, la notion de faute conjugale passe un peu à la trappe. Heureusement, car il est souvent bien difficile d’évaluer la responsabilité de chacun des partenaires dans l’échec d’une relation. C’est généralement la poule et l’Å“uf : qui a commencé, qui a continué, qui a surenchéri… On ne le sait pas. Finalement, l’intérêt de l’enfant est évidemment quelque chose de bien, sauf que ça met l’enfant au milieu du jeu. Et cet enfant est une personnalité fragile, manipulable, qui rentre donc dans une guéguerre entre des parents déstabilisés, et c’est comme ça qu’on en arrive à utiliser un enfant contre l’autre.


La manipulation des enfants


Les enfants sont des personnes et des cerveaux fragiles, influençables. N’oublions pas que la mémoire est quelque chose de modulable. C’est bien démontré aujourd’hui, cette notion de mémoire transformée. Quelqu’un peut avoir vécu certaines choses et ne plus s’en souvenir ou s’en souvenir autrement plus tard, étant soumis à des influences, à des répétitions qui font que, finalement, la plupart des faits ne correspond plus tout à fait à la réalité.


N’oublions pas qu’il existe une mémoire indélébile, la mémoire dite « limbique ». C’est la mémoire des faits émotionnants. Petit exemple : vous roulez à vélo, vous faites une bonne chute, vous vous faites extrêmement mal, vous n’allez pas oublier cela tout de suite, même si on vous dit que le vélo n’est pas dangereux. Dans un divorce, vous avez tout à coup une situation extrêmement grave, et bien ça vous n’allez jamais l’oublier. Et je parle surtout pour les adultes ici, mais même pour les enfants. Donc il y a la mémoire des faits très émotionnants, qui reste, elle, assez indélébile. Par contre, la mémoire des faits de la vie de tous les jours est modifiable. Donc un enfant peut être conditionné pour mentir de bonne foi, s’il y a la volonté de le perturber. Il est clair qu’un enfant qui ne voit quasiment pas un de ses parents sera peu influencé par lui, alors qu’un enfant qui voit longuement un parent sera plus facilement influencé. (1)


La déstabilisation


Le divorce est une onde de choc. Il y a des divorces où les deux partenaires se disent qu’il n’y a plus qu’une chose à faire : se séparer. Il y en a d’autres. La « victime » du divorce est alors celui qui apprend que l’autre veut divorcer, alors qu’il ne s’attendait à rien. Mais même en tant qu’initiateur d’un divorce, et surtout si le divorce est conflictuel, tous les protagonistes sont atteints par une onde de choc, ne serait-ce que parce qu’on ne sait quand même pas tout prévoir. On pense : « Je vais divorcer, donc je vais retrouver ma liberté, avoir un peu plus d’argent ». Mais on n’imagine pas toutes les conséquences, par exemple psychologiques, même si on est l’initiateur du divorce. A fortiori quand on est dans la position de la victime. La déstabilisation est d’abord affective : il va il y avoir des problèmes avec les enfants. La déstabilisation est financière : il y a des frais d’avocat, des frais d’installation dans un nouveau logement, les frais dus aux fait qu’on se retrouve à vivre seul, au fait qu’il faut partager certaines choses et donc en racheter d’autres (lave-linge, lave-vaisselle, etc.). C’est le cas en particulier du parent « secondarisé », non-gardien, qui doit quitter la maison et retrouver un autre logement. En outre, on doit faire face à de nombreux problèmes. Il faut aller au tribunal, chez l’avocat, ce qui peut provoquer des problèmes professionnels. « On ne le voit plus, il est toujours dans ses démarches. » Il y a donc une déstabilisation affective et financière pour les deux partenaires qui se séparent.


Cette onde de choc provoque aussi par des dépressions, éventuellement des suicides. Dans certains cas, celui qui se sent déstabilisé essaie de se raccrocher à une indemnisation. Il demande d’être indemnisé au titre de l’intérêt de l’enfant, en fusionnant ses intérêts avec les intérêts de l’enfant.


Le divorce jackpot


L’appât de gains financiers, ce n’est pas uniquement la question de la pension alimentaire. Mais il est vrai que cet argent qui arrive sur le compte de l’un ou de l’autre est non surveillé. On ne doit pas rendre des comptes. Cet argent, on l’utilise comme on le veut, ce qui peut permettre quand même tous les abus, et favoriser l’appât. Finalement, pour cet argent, on peut adopter une attitude agressive, qui va parfois jusqu’au  viol de l’intimité de l’autre, hier dans le but de trouver par tous les moyens des éléments visant à démontrer la faute, aujourd’hui pour viser à la fusion d’intérêts avec les intérêts de l’enfant. Et là, tout est permis. On utilise des moyens licites, illicites, des allégations, des mensonges, etc. En fait, tout le monde est perdant dans un divorce conflictuel quand on en arrive à ce stade-là.


Les différentes façons d’être utilisé


On a compris pourquoi un enfant peut être utilisé contre l’autre. Maintenant, quelles sont ces façons d’être utilisé ? Sans entrer dans le débat sur l’aliénation parentale, on peut considérer que dans ces situations l’enfant est utilisé contre l’autre. La mémoire de l’enfant peut être transformée  soit directement, par de nombreuses répétitions émanant du parent toxique, soit indirectement, quand  le parent toxique parle à d’autres personnes devant l’enfant. C’est très insidieux. On peut transformer progressivement la mémoire d’un enfant, qui oublie les choses agréables qu’il a vécu avec une personne et finit par la rejeter.


On peut aussi évoquer la situation de l’enfant mercenaire (2), ou enfant torpille. C’est un enfant qui est envoyé par un des parents, chez l’autre, pour lui pourrir la vie. L’enfant se comporte de manière désagréable. Il peut voler des objets et les transférer à l’autre maison, ne pas écouter du tout,  ennuyer le papa et éventuellement sa nouvelle compagne ou la maman et son nouveau compagnon.


L’enfant sacrifié par un parent « Médée ». Médée est un opéra grec. Une dame a tué ses enfants pour se venger de Janus. En 2009, on ne tue plus ses enfants, sauf rare exception. Mais on peut très bien sacrifier ses enfants. On peut très bien couper un enfant de ses liens avec l’autre parent. Par exemple, il suffit de demander à cet enfant : « Quand tu vas chez ton père/ta mère, essaye de me rapporter des informations sur son compte en banque, sur son code téléphonique. Tu , tu vas dans sa boîte aux lettres, et tu me les ramènes les documents. » Le jour où l’autre parent l’apprend, il lui est difficile de garder le même comportement, de voir son enfant de la même façon. Et si cela se répète, cela peut détruire une relation entre un parent et un enfant. On a sacrifié un enfant parce qu’il est malléable, qu’il peut faire des bêtises sans s’en rendre compte.
L’enfant peut aussi devenir otage : « Si tu veux voir Marie, n’oublie pas que… ». L’enfant peut aussi devenir messager ou bouc émissaire : « Tu diras à ton papa/ta maman que… ». L’enfant est pris dans un conflit de loyauté, dans une sorte de non sens destructeur. Il se demande si son père/sa mère est devenu(e) fou/folle. Parfois, il se demandera même si ce n’est pas lui qui devient fou. Cette situation mène l’enfant à l’épuisement mental. Inversement, l’enfant peut en tirer un certain bénéfice et devenir un peu l’enfant roi. « Maman/papa, je veux bien faire ce que tu me demandes, mais alors c’est moi qui décide ceci »


Les conséquences de l’utilisation de l’enfant contre l’ex-conjoint


De multiples dégâts, psychologiques surtout, parfois même physiques, peuvent apparaître chez les parents et les enfants.  Parmi les dégâts les plus fréquents : anxiété, dépression, addictions diverses, et pour les enfants : école buissonnière, décrochage scolaire. Le parent agresseur croit au départ qu’il va gagner facilement en donnant un coup à l’autre. Il oublie que l’autre peut aussi donner des coups. Finalement, le parent agresseur se retrouve lui aussi  mal dans sa peau.


Rogers écrivait, en 1997, qu’un divorce conflictuel est, pour un enfant, plus lourd que le décès d’un parent. Un enfant qui perd un parent dans un accident, par exemple, est finalement moins perturbé qu’un enfant qui vit un divorce conflictuel.


Il faut aussi tenir compte des dégâts du stress chronique. On rentre dans un stress chronique parce que les choses ne s’arrangent pas. C’est ici qu’intervient une autre dimension : la durée de procédure. Si un conflit dure quelques jours, quelques semaines, on considère que le stress aigu est bénéfique. Pendant les périodes d’examens scolaires, les enfants vivent des périodes de stress aigu. Mais c’est bénéfique parce qu’on fait un effort, on surmonte la difficulté et on acquiert quelque chose. Le stress chronique, au contraire, démolit progressivement la personne. On entend souvent des gens dire « Vous savez, tout va finir par s’arranger ». C’est oublier la mémoire limbique, la mémoire des faits émotionnants. Ca, ça ne se perd pas. Il faut donc tout faire pour que cela s’arrange au plus vite.


La souffrance des enfants se marque aussi par des pertes de repères.Au niveau psychiques : stress, insomnies, cauchemars, instabilité, décrochage scolaire. Au niveau physique : fatigue. Au niveau familial : garde alternée, double enfance, perte de temps, on voyage d’un côté et de l’autre avec des choses qu’on peut dire, qu’on ne peut pas dire, ou qu’on doit dire. Il y a également des problèmes sociaux : déménagements, déscolarisation. Problèmes financiers par l’appauvrissement des deux parents.
Il faut aussi parler de la « signature neuronale du stress ». Le stress laisse des blessures dans le cerveau, pas purement psychologiques. On remarque que les enfants qui ont connu une longue situation stressante ont une diminution de leurs prises de décision à l’âge adulte. On produit, en quelque sorte, des enfants plus fragiles à l’âge adulte.
Pour l’adulte qui est longuement confronté au stressé, on constate une diminution de la capacité de travail, de la capacité de mémoire, d’adaptation aux nouveautés, des problèmes au travail.


En 2009, Mc Gowan au Canada a repris 36 cerveaux de gens suicidés. Il a analysé l’hippocampe, un noyau du lobe temporal bien connu dans la maladie d’Alzheimer, et il a mis en évidence que chez les suicidés, on retrouve une anomalie dans les récepteurs. Quand on est stressé, on fait énormément de décharges d’adrénaline mais aussi de cortisone. Et donc ce récepteur intervient dans la réponse au stress et ce récepteur était altéré. La neurobiologie des émotions et du stress tend donc à démontrer aujourd’hui que les cicatrices du stress sont assez  indélébiles. Les longues procédures peuvent donc entraîner des lésions cérébrales définitives.

 

Qui sont les parents toxiques ?


Ce sont généralement des personnalités de type narcissique-pervers, des manipulateurs.Yvonne Poncet Bonnisol (3) dit qu’à l’extérieur, le harceleur se présente comme une personne brillante, cultivée, charmeuse. Dans l’intimité conjugale, il dévalorise, il injurie, il détruit à petit feu, il prend en otage sa partenaire puis les enfants. C’est vrai qu’on parle beaucoup de violence familiale, mais il faut toujours faire la part des choses entre violence physique et violence psychologique, en se disant que la violence psychologique est souvent là avant la violence physique, et qu’il serait bénéfique de pouvoir la détecter.


Marie-France Hirigoyen a décrit ces processus dans son livre « Femmes sous emprise » (Pocket, 2006). Il s’agit de processus de destruction psychologique très progressive. Il ne s’agit pas d’une violence physique. Nul besoin de la force pour assujettir autrui. Des moyens subtils, voilés, ambigus, pernicieux, des processus de conditionnement apparentés à des lavages de cerveau  sont des processus d’emprise qui paralysent autant adultes qu’enfants.


Conclusion et perspectives


Il faut être préventif, autant que possible, par un management rapide, dissuasif et par un suivi des jugements. Cela me parait indispensable. On ne peut pas en vouloir à un juge qui rend un mauvais jugement, mais bien au fait que ce bon ou mauvais jugement n’est jamais revu. Il faudrait peut-être prévoir des révisions automatiques, tous les 3 mois, par exemple.


Il faudrait aussi essayer d’un peu mieux comprendre, lors d’un divorce conflictuel, qui sont les acteurs. Pour cela,  il faudrait promouvoir une éducation de tous les intervenants, pour qu’ils puissent démêler au plus vite une situation qui dérape et ne pas la laisser traîner.


Apparaît aussi la nécessité d’une prise de conscience sociétale de la lourdeur de ces situations. On ne peut plus laisser passer cela. Ces situations conflictuelles existent. Il faut éviter le sexisme, il faut lutter contre la secondarisation, paralléliser les ex-conjoints ou parents, leur donner à tous les deux des devoirs et des droits. A tous les deux, et avec une « surveillance », un suivi. Le tribunal de la famille serait peut-être la meilleure solution : une instance unique, compétente sur les plans psychologique, financier, etc. (4)

 


 


(1)voir à ce propos « Le syndrome des faux souvenirs - Ces psys qui manipulent la mémoire », par Elizabeth Loftus et Katherine Ketcham, 1997.
(2)Voir à ce propos « Approcher le divorce conflictuel », JE Vanderheyden, Feuilles Familiales, 2008.
(3)« Pour en finir avec les pervers de la famille » de Yvonne Poncet- Bonissol, Edition Chiron.  Voir aussi « Parents toxiques : comment échapper à leur emprise », de Suzanne Forward, Marabout Psy, 2007 ; « Les manipulateurs sont parmi nous », Isabelle Nazaré-Aga, éditions de l’homme , 2004.
(4)Analyse rédigée par José Gérard, sur base de l’intervention de Jean-Emile Vanderheyden, neuropsychiatre, lors du colloque organisé par Couples et Familles le 23 septembre 2009 sur le thème « Divorces conflictuels et intérêt de l’enfant ».

 

 

 

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