Analyse 2010-02

Les jouets à caractère sexuel se sont banalisés ces dernières années. Est-ce le signe d’une décadence ou d’une nouvelle conception des relations amoureuses ?


30 ans après la libération sexuelle, une nouvelle tendance touche les pratiques amoureuses. Accessoires chatouilleurs, vibromasseurs rigolos, godemichés plus ou moins réalistes, les sex-toys ou jouets coquins se vendent aujourd’hui comme des petits pains. Une société spécialisée voulait même en distribuer 6000 exemplaires gratuitement à Paris en décembre dernier, mais la police a interdit la manifestation, craignant les troubles de l’ordre public que cela risquait de provoquer (1).


Les jouets sexuels ne sont pourtant pas une invention du vingt-et-unième siècle et sont connus depuis très longtemps. Ce qui est nouveau, outre le fait qu’ils peuvent aujourd’hui fonctionner sur piles, c’est qu’ils sont « tendance ». Plus  besoin de fréquenter les sex-shops glauques des quartiers chauds des grandes villes pour s’en procurer. On en trouve dans les catalogues des magasins de vente par correspondance comme les Trois Suisses, dans les boutiques « bien-être » chics et coquines qui apparaissent dans les quartiers commerçants ou lors des soirées type « Tupperware » qui réunissent des groupes de copines au domicile de l’une ou l’autre pour des démonstrations émaillées de fous rires. Selon la demande, l’animatrice peut adapter le programme. Ainsi une firme décline son offre en diverses propositions. Dans une liste d’une dizaine de possibilités, vous avez le choix entre « la soirée enfin célibataire’, la pré Saint Valentin’ pour préparer une soirée en amoureux des plus romantique, ou une soirée ‘enterrement de vie de jeune fille’ inoubliable, etc. ».


Un signe de plus que les jouets sexuels sont tendance : ils se déclinent aujourd’hui dans la gamme « écolo ». En effet, l’industrie du sex-toy consomme aujourd’hui une montagne de piles, dont une bonne partie non recyclables. Conscients du problème, Chris et Janice O’Connor, fondateurs de la société Canden Entreprises à Dublin, pensent avoir trouvé une solution « verte » : le Earth Angel (l’ange terrestre), un vibromasseur dont le mécanisme se recharge au moyen d’une petite manivelle. Au bout de 4 minutes, vous avez produit assez d’énergie pour obtenir 30 minutes de vibrations. En outre, « l’ange terrestre » est uniquement composé de matériaux recyclables. Ses créateurs espèrent qu’ils permettront ainsi aux amateurs de s’adonner à ces joies particulières tout en oeuvrant à la sauvegarde de l’environnement. (2)


Dédramatisation et féminisation


Quoi que l’on pense de ces jouets pour adultes d’un genre nouveau, ils marquent une évolution de la manière de concevoir les rapports sexuels. La sexualité est devenue un sujet dont on parle plus ou moins aisément, on l’imagine de manière plus ludique et l’on n’est pas immédiatement considéré comme libertin(e) ou pervers si l’on se préoccupe du plaisir. Les participantes aux soirées de démonstration se recrutent d’ailleurs dans toutes les couches de la société et ne paraissent pas particulièrement dépravées.


Le fait que ces soirées rassemblent essentiellement des femmes est un autre signe d’évolution. Même si les jouets à destination des hommes existent aussi, le phénomène actuel concerne surtout les accessoires destinés à la stimulation du plaisir féminin. La sexualité et le plaisir féminins méritent désormais l’attention et ne sont plus des sujets tabous. Le mouvement d’émancipation des femmes est passé par là, comme en témoigne Christelle, 30 ans, vendeuse à domicile d’accessoires coquins : « Après avoir utilisé mon premier sex-toy dans mon couple, ma sexualité n’a cessé d’être de plus en plus épanouie. C’est la raison pour laquelle je suis devenue ambassadrice : pour aider chaque femme à avoir une sexualité épanouie ». Selon cette conception, le sex-toy serait l’avenir de la femme.


Instrumentalisation et commercialisation


Le recours à l’objet dans la relation amoureuse pose cependant question. L’objet ne devient-il pas un partenaire de la relation, quand ce n’est pas le partenaire lui-même qui devient un objet ? Avec le relais des médias, se répand une vision mécanique et réductrice de la sexualité et une sorte de norme du bien-être sexuel à laquelle il faut absolument correspondre. On ne subit plus la pression des interdits comme c’était le cas dans le passé, mais la pression de l’obligation de jouissance. Pour Sophie Mathot, psychothérapeute et sexologue, membre de Couples et Familles, de nombreux patients qui viennent consulter pour des difficultés sexuelles cherchent des réponses immédiates, de « jouir comme il convient », pour se rassurer d’être dans la norme, mais « en évitant ainsi la question du manque et de la dimension profonde et relationnelle de la sexualité ». On se situe surtout dans une conception de la sexualité qui est surtout de l’ordre de la performance, comme si les objets pouvaient évacuer toute la complexité de la sexualité humaine. Elle continue : « Plusieurs questions se posent à nous, en tant que thérapeutes. Celle du lien entre relation d’objet et relation à l’objet. Celle aussi de l’illusion : quelle place peut prendre le jouet sexuel dans la sexualité du couple ? Que lui attribue-t-on, alors qu’il est un objet, le plus souvent en plastique, inerte même si vibrant ? Si son statut est de l’ordre du ‘fétiche’, on peut lui accorder une vertu magique et bénéfique. Il n’empêche qu’il restera un objet partiel (Freud) ou transistionnel (Winnicot), qui procède d’une régression. Mais pourquoi pas… A chacun et chacune ses propres régressions. Quoi qu’il en soit, ce vibromasseur fait bien office de tiers dans le couple ! tout ceci interroge donc sur la place du réel, du symbolique et de l’imaginaire dans le couple. »


Les sex-toys représentent aussi un marché lucratif. On estime que l’industrie du sex-toy au niveau mondial représente environ 22 milliards d’Euros, et le marché est en augmentation considérable ces dernières années grâce à la banalisation de ces objets dans le grand public. Même des grandes marques d’électro-ménagers comme Philips se sont lancées dans la production et proposent les accessoires aux côtés des percolateurs ou des épilateurs. Pas étonnant donc que la technique « Tuppeware » se soit emparée du secteur ! Pour Sophie Mathot, cela illustre l’évolution des mÅ“urs et du mercantilisme de l’époque : « De plus en plus, on nous propose de ‘boucher tous nos trous’. Que ce soit par les MP3 dans les oreilles, la saturation des narines par les déodorants ou désodorisants, ou la malbouffe qui sature nos papilles… Ne serait-ce pas le signe que les trous, dans notre vie et dans notre corps, que le manque, le vide, deviennent des sensations de plus en plus insupportables ? Qu’y a-t-il derrière cette recherche effrénée de saturer notre corps, de nous faire vibrer de partout ? ».


Pourtant, curieusement, dans ses consultations, Sophie Mathot constate que très peu de personnes font allusion à la question des vibromasseurs. Peut-être la question semble-t-elle encore trop peu sérieuse pour le cabinet du thérapeute et réservée aux franches rigolades des démonstrations entre copines. De son côté, il n’y a que dans les cas de vaginisme (3) qu’il lui arrive parfois de suggérer l’utilisation de bougies métalliques ou de vibromasseurs –mais à aller acheter avec le compagnon pour y mettre d’emblée une note relationnelle.


Pour Ahlam Fennou, sexothérapeute, nous cherchons toujours à retrouver la félicité de la petite enfance, où notre mère répondait au moindre de nos désirs. Dans cette recherche, « le sex-toy est cet objet toujours satisfaisant, jamais défaillant, comblant nos besoins les plus intimes, n’existant que pour et par notre bon vouloir. Avec ce gadget érotique, le doudou de la femme moderne, nous échappons pourtant à deux composantes essentielles du désir : l’attente et la frustration. Le risque ? Réduire la sexualité féminine à un acte mécanique. Tomber dans une recherche pratique et hygiénique de la jouissance, en oubliant que la sexualité est d’abord une histoire qui se vit avec un autre, qu’il soit réel ou fantasmé. La jouissance tend, avec les risques que cela comporte, vers ce que l’on n’a pas et que l’on n’aura jamais : l’autre. Cet être différent de nous, que l’on souhaite apte à réparer nos blessures et qui, en nous laissant insatisfaits, nous maintient éternellement dans cette recherche, entre l’envie et la vie » (4) Pour elle, les gadgets érotiques, pourquoi pas, pour autant qu’ils ne soient pas là pour combler un vide sexuel, mais pour amener à partager une sensualité à deux, dans une relation profonde et respectueuse. Le jouet n’est alors qu’une étape, un outil pour parcourir un chemin créatif qui mène au bien-être et à l’autre.


Pour Couples et Familles, il n’y a sans doute pas lieu de crier au scandale moral. Le plaisir partagé est une composante importante de la relation de couple et pourquoi pas introduire le jeu et le jouet dans une exploration des corps et des réactions de l’autre… Néanmoins, les risques sont bien réels : conception très mécanique plutôt que relationnelle de l’acte sexuel ; volonté de correspondre à des normes de jouissance dictées de l’extérieur plutôt que de rechercher les besoins et désirs de chaque membre du couple. En outre, n’oublions pas que le marché s’est savamment emparé du phénomène pour en faire un « must », meilleure manière d’en faire un commerce rentable. L’épanouissement amoureux n’est probablement pas la motivation première de l’industrie. (5)

 


 


(1) Dépêche Belga, 21/12/2009.
(2) La DH du 17/12/2009.
(3) Le vaginisme est un dysfonctionnement sexuel qui se traduit par des spasmes involontaires qui rendent la pénétration du pénis impossible ou très douloureuse.
(4) in Psychologies http://www.psychologies.com/Couple/Sexualite/Plaisir/Articles-et-Dossiers/Du-bon-usage-des-sex-toys
(5) Cette analyse a été rédigée par José Gérard. Une version abrégée de cette analyse est parue dans le magazine L’Appel de février 2009.

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants