Analyse 2010-03

C’est un jeu d’enfant, mais il peut avoir des conséquences dramatiques : on bloque l’arrivée d’air au cerveau pour se donner des sensations fortes. Populaire dans les cours de récréation, il était jusqu’il y a peu quasi inconnu des parents. Comment comprendre, comment réagir ?


« Mort cérébrale à 10 ans après le jeu du foulard. On n’a pu réanimer le petit élève liégeois. » « Un jeune garçon de 14 ans a perdu la vie alors qu’il pratiquait le jeu du foulard, seul, dans sa chambre. Un drame qui bouleverse toute la région. » « Fait divers tragique à Braine l’Alleud. Un enfant de neuf ans s’est étranglé avec la ceinture qu’il s’est passée autour du cou. Les faits se sont déroulés dans sa chambre. »


Voici quelques titres d’articles relatant des événements dramatiques de ces derniers mois. Le jeu du foulard aurait fait une dizaine de victimes en 2009 en Belgique et les victimes ont le plus souvent entre 8 et 16 ans.


Le principe du jeu, ses motivations


Connu depuis plusieurs générations, le jeu du foulard consiste en une strangulation volontaire, réalisée généralement en groupe, dans la cour de récréation ou dans les toilettes de l’école. Avec un foulard, avec une ceinture ou avec les mains, on bloque la respiration. Un évanouissement se produit, précédé de sensations de type hallucinatoire, assimilables aux sensations provoquées par la prise de drogues.


Ce jeu connaît un certain succès, puisque 50% des jeunes déclarent le connaître et 7% l’avoir déjà pratiqué. Il peut avoir des conséquences néfastes quand il est pratiqué en groupe, mais c’est surtout la pratique solitaire qui provoque les décès. Parce que l’enfant n’a que quelques instants pour dénouer le lien quand il se sent vaciller. Sinon, il s’étrangle et meurt.


Mais ce jeu estloin d’être le seul « jeu dangereux » présent dans les cours de récréations. Ainsi, le « petit pont massacreur » (ou jeu de la cannette) rassemble quelques participants volontaires. Un objet est lancé au milieu du groupe et celui qui le laisse filer entre ses jambes est roué de coups par les autres. Mais il existe des versions où la victime n’est pas volontaire et où les agresseurs se déchaînent sur un enfant par surprise et filment même la scène au moyen de leur gsm (happy slapping).


Outre la recherche de sensations fortes, ce type de pratique  joue souvent un rôle d’initiation. Pour devenir membre d’un groupe, on relève un défi devant les autres, on teste ses propres limites. Pour le psychanalyste Philippe Van Meerbeeck, cela participe de la nécessité pour les adolescents de marquer le passage à l’âge adulte en jouant avec la mort (l’ordalie, ou confrontation avec la mort). Comme nous n’avons plus de rituels de passage, les adolescents s’en réinventent de manière sauvage. Le problème est que ces rituels n’étant pas organisés par la société, ils se déroulent en dehors de tout contrôle des adultes.


Le problème particulier du jeu du foulard est que les enfants ne sont généralement pas conscients des risques qu’ils prennent. Les plus petits ne savent pas que cela peut entraîner la mort. Les plus grands sont convaincus qu’ils pourront tout maîtriser.


Comment faut-il réagir ?


Si les enfants sont souvent inconscients des risques potentiels, les parents, eux, ont peur. Les faits divers ont ému et ont marqué les esprits. D’autant que la plupart des enfants victimes étaient décrits comme épanouis et bien dans leur peau, ne présentant aucun symptôme suicidaire.


José Fernandez, le papa d’une victime du jeu du foulard, a fondé une association : « Chousingha » (1). Il veut informer et favoriser la prévention. L’association a réalisé une brochure : « Les jeux dangereux, ce n’est pas du jeu ». Elle est destinée aux adultes, parents ou enseignants, et décrit ce que sont les jeux d’évanouissement et les jeux violents, les signaux d’alerte, les pistes de prévention. Avec l’aide de la ministre de l’enseignement obligatoire Marie-Dominique Simonet, la brochure a été envoyée aux équipes PMS des écoles de la Communauté française.


Suite à la tenue d’une table ronde au cabinet de la ministre, en présence de travailleurs des centres PMS et de représentants des parents, plusieurs pistes ont été évoquées. On parle d’instaurer, au sein de chaque établissement scolaire, une cellule qui servirait de référent en matière d’information et de prévention. Mais le gros problème, c’est que la prévention risque de focaliser l’attention des enfants et des ados sur une pratique interdite et donc de la rendre attrayante par le goût du risque ou de l’interdit propre à l’adolescence… Pour le pédopsychiatre Jean-Yves Hayez, la prévention est extrêmement difficile, en particulier à destination des enfants de 12-14 ans. « Leur dire : ouh, il y a quelque chose que vous ne devez jamais faire, parce que ça peut être dangereux, ça leur donne envie d’essayer. Nos mises en garde ont un effet provocateur. Ce qu’il faut dire à propos du jeu du foulard, c’est qu’il est vraiment très dangereux quand il se pratique seul, alors qu’il ne l’est pratiquement pas quand ils font ça à deux ou trois dans les toilettes d’une école ou dans une cabane au fond du jardin. Ils se protègent les uns les autres. A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’accident quand ils le faisaient en groupe. Je crois qu’il faut dire : si vraiment vous ne pouvez pas vous en passer, ne le faites pas seul.» (2)


Vincent Magos, responsable du programme « Yapaka » (3), préférerait que l’on replace le jeu du foulard dans un contexte plus général de conduites à risque. « Le jeu du foulard est un risque parmi d’autres que peuvent courir les enfants et les adolescents. Par exemple, il n’y a pas plus de morts suite à la pratique du jeu du foulard qu’à cause des accidents de moto. Il ne faut pas focaliser là-dessus, mais plutôt parler des conduites à risque en général. Je constate qu’on n’a jamais publié de brochure sur la problématique des jeunes qui boivent de l’alcool de manière excessive pour être vite saouls, alors que le résultat attendu est très similaire ! »


On le voit, les avis sont partagés et les choses ne sont pas simples. Comme pour d’autres secteurs –les dangers que les enfants peuvent courir avec l’internet, par exemple- il semble essentiel que les parents soient conscients des risques que courent éventuellement leurs enfants, pour qu’ils puissent reconnaître les signaux d’alerte, sans pour autant s’alarmer outre mesure. Ce travail d’information et de conscientisation est de la responsabilité des pouvoirs publics, mais aussi des écoles et des associations d’éducation permanente.


Il est dès lors important d’appeler les parents à être attentifs aux signes qui pourraient indiquer que leur enfant pratique le jeu du foulard : la présence de marques rouges sur le cou, les maux de tête fréquents, le manque de concentration, le port permanent d’un foulard ou d’une écharpe, la tendance à l’isolement ou au repli sur soi, etc. Ce sont des signes parmi d’autres, qui devraient attirer l’attention des parents et les inciter à entrer en dialogue avec leurs enfants.


Mais les parents le savent, le risque zéro n’existe pas. La prise de risques est un phénomène fréquent à l’adolescence (4), mais qui peut dans certains cas avoir des conséquences dramatiques. Le jeu du foulard n’est qu’un comportement parmi d’autres. Il occupe depuis quelques mois le devant de la scène. Une fois la prise de conscience effectuée, il retrouvera sans doute sa place à côté d’autres pratiques à risque comme la consommation de drogues, la vitesse, les comportements violents, etc. auxquels les adultes se doivent d’être attentifs. Mais comme le dit Philippe van Meerbeeck, « la seule prévention possible, ce n’est pas les sectes, la pédagogie para commando ou les écoles coraniques, ce serait une intelligente éducation, affective et sexuelle, fondée sur la découverte et la reconnaissance de l’autre… » (5)

 

 


 


(1) www.chousingha.be. La brochure « Les jeux dangereux, ce n’est pas du jeu » peut être téléchargée sur le site. Elle reprend les principaux éléments d’information en quelques pages, de manière claire.
(2) « Jamais, jamais tout seul », interview de Jean-Yves Hayez par Annick Hovine dans La Libre Belgique du 2/11/2009.
(3) yapaka, programme de prévention de la matlraitance de la communauté française, www.yapaka.be  
(4) A propos des conduites à risque, voir l’article de Jean-Yves Hayez « Risques : activités à risques et conduites à risque chez l'enfant et chez l'adolescent ; sports extrêmes, jeu du foulard, binge drinking et autres jackasseries »,  http://www.jeanyveshayez.net/t21-risq.htm
(5) Analyse rédigée par José Gérard

 

 

 

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