Analyse 2010-04

La confiance en soi se travaille dès le plus jeune âge. Parents et éducateurs se doivent de réfléchir sur ce qu’il est important de dire, de donner, de permettre et d’interdire à un enfant pour qu’il grandisse, prenne confiance en lui et en l’autre et devienne un adulte le plus épanoui possible.


Notre société a énormément changé en quelques dizaines d’années et le rapport à l’enfant a été profondément modifié. Dans les années 50, le nouveau-né était perçu comme un tube digestif. Pour parler d’un petit enfant, on utilisait d’ailleurs le mot « nourrisson ». Aujourd’hui, ce terme est désuet. On lui préfère le mot « bébé ». Toute une série de choses ont changé et on ne perçoit plus l’enfant de la même manière. Le bébé est une personne à part entière. Il faut dire qu’il n’y a pas si longtemps encore, on pensait que les bébés n’entendaient pas, ne voyaient pas, ne sentaient pas la douleur. « Il y a une vingtaine d’années, on opérait encore  les enfants sans anesthésie générale ! », explique Jacques Ravedovitz, formateur à la Fondation Françoise Dolto. « Tout à coup, grâce au travail et à la réflexion de professionnels tels que Françoise Dolto, on a découvert un autre enfant.  On a pris conscience que le bébé était une personne. »


Renversement des valeurs et crise d’identité : les hommes sont paumés


Un autre bouleversement a ensuite eu lieu. On a assisté à un renversement des valeurs, à une véritable crise d’identité et d’autorité. Depuis les mouvements de revendication et d’émancipation féminine de la deuxième moitié du vingtième siècle, la femme n’est plus soumise à l’homme et les rapports ont changé dans le couple. « Aujourd’hui, les hommes sont paumés  », raconte Jacques Ravedovitz. « Ils ne comprennent plus grand chose au rapport qu’ils entretiennent avec l’enfant, et au rapport qu’ils entretiennent avec la mère. Ils doivent être autoritaires et pouvoir, en même temps, exprimer leurs émotions. » Ces injonctions sont souvent contradictoires. Aujourd’hui il y a les divorces, les familles recomposées. Et au milieu de tout cela, il y a l’enfant… qui est souvent déboussolé.


Auparavant, on dressait un enfant comme si c’était un petit chien


« Nos parents et grands-parents étaient fidèles à toute une série de normes », commente Jacques Ravedovitz. « Il faut avouer qu’il s’agissait plus souvent de dressage que d’éducation. Aujourd’hui, on sait qu’il ne faut plus dresser un enfant comme si c’était un petit chien. On n’attend plus d’un enfant qu’il s’adapte à tout ce qu’on lui demande. »  l’heure actuelle, les parents s’interrogent. Ils se posent sans cesse mille questions. Ils ne savent plus où se trouvent les limites, et quelles sanctions ils doivent appliquer. Ces questions incessantes n’existaient pas auparavant. Aujourd’hui, les parents sont conscients que l’enfant est une personne et qu’il faut le reconnaître comme tel. Mais en même temps, un enfant n’est… qu’un enfant… Et l’enfant n’a pas tous les droits. « D’après Françoise Dolto, il est important de parler à l’enfant et de le reconnaître comme une personne, mais il est aussi nécessaire de lui mettre des limites et de ne jamais le placer au centre de la famille. L’enfant doit se trouver en périphérie de la famille. » Les parents sont des adultes. Ils ne doivent pas vivre en fonction de l’enfant. C’est l’enfant qui vit en fonction de ses parents jusqu’au moment où il quitte le nid familial.


L’ère de « l’enfant performant »


Autre changement : nous sommes aujourd’hui passés dans l’ère de « l’enfant performant ». « Je vois de plus en plus de parents qui exigent que leur enfant marche dès onze mois. Et, ô miracle de l’adaptation, les enfants marchent de plus en plus tôt. » Comment cela est-il possible ? Les enfants ont-ils des jambes plus solides qu’auparavant ? Y a-t-il eu des bouleversements morphologiques ? Bien sûr que non… Les enfants ont simplement des radars extraordinaires. Ils ont conscience du désir et de l’attente de leurs parents. Et pour ne pas les décevoir, ils développent des capacités motrices pour tenter de marcher le plus tôt possible. Parfois, c’est l’inverse. « On ne peut pas faire de prédiction avec les enfants. Certains petits vont aller dans l’autre sens et marcher beaucoup plus tard. De cette manière, ils essayent de faire passer un message à leurs parents : respectez mon rythme, respectez-moi. Je marcherai, je vous le promets. Mais je le ferai quand je serai tout à fait prêt à marcher. » Personne ne peut décider du moment où un enfant va marcher. Il est important de respecter cela. Bien entendu, ce ne sont pas les parents qui ont inventé ce souci de performance. C’est la société qui veut cela. « Les avancées technologiques sont extraordinaires », explique J. Ravedovitz. « Il y a  les ordinateurs, les GPS, etc. Tout cela est très pratique. Mais il en découle un danger : nous sommes dans une société qui génère la toute puissance. Puisqu’on sait le faire, on va le faire. » Il est vrai que la capacité technologique d’aujourd’hui donne l’impression qu’il est possible de tout avoir, tout de suite. Tout cela a une incidence sur le problème de l’éducation. On ne peut pas être éducateurs et parents en faisant l’impasse de cette réalité. Aujourd’hui, les enfants qui vont à l’école n’ont plus uniquement l’enseignant comme passeur de savoir… Ils ont aussi Internet. Un enfant peut maintenant apprendre des langues étrangères dès l’âge de trois mois… Il faut tenir compte de ces changements.


L’enfant n’est pas un adulte


« Je pense qu’il existe un lien direct entre tous ces soucis de performance et la manière dont on va aborder l’enfant et l’aider à avoir confiance en lui et en l’autre », poursuit J. Ravedovitz. « Tout ce qu’on va exiger de lui va évidemment avoir un impact sur son évolution. Car il devine tout. Tous les enfants ont une capacité d’adaptation extraordinaire. » Bien sûr, il est intéressant d’apprendre une deuxième langue à un enfant. Le problème, c’est l’exagération. Il ne faut pas aller dans l’extrême. Pour qu’un enfant ait confiance en lui, pour qu’il grandisse bien, il faut pouvoir le respecter dans ce qu’il est. Et ce n’est plus forcément ce qui est véhiculé par notre société. « Il y a aujourd’hui un rapport à l’enfant qui me semble vraiment pervers », souligne J. Ravedovitz. « De temps en temps, la société actuelle oublie qu’un enfant est… un enfant et elle le met dans une position d’adulte. » Eduquer un enfant, ce n’est pas seulement l’aimer. C’est aussi lui offrir un cadre et une structure dans lesquels il se sentira en sécurité. Pour avoir confiance en lui, un enfant a besoin de limites et d’interdits. Considérer qu’en face de soi, l’enfant est une personne qui mérite le respect et la parole, c’est aussi décider de le laisser à sa place d’enfant. « Lorsqu’un couple divorce, il ne faut pas demander à l’enfant de cinq ans chez lequel de ses parents il veut aller. C’est catastrophique pour l’enfant car il n’a ni la capacité, ni le droit, ni le pouvoir de décider cela. Ce n’est pas son job mais celui de ses parents. »


Amour inconditionnel et limites : deux ingrédients indispensables pour une bonne confiance en soi


L’enfant a besoin de limites, mais aussi d’un amour inconditionnel. L’amour d’un parent ne doit pas être conditionné. Il ne faut jamais oublier que l’enfant absorbe tout comme un buvard, comme une éponge. « Parfois, les parents font implicitement comprendre à l’enfant qu’ils l’aimeront s’il ne fait pas trop de bruit ou s’il a de bonnes notes à l’école. Quand un bébé pleure et qu’il perçoit le retrait ou l’irritation de sa mère, il va très vite comprendre que pour conserver son amour, il ne doit pas faire trop de bruit. Plus tard, cet enfant deviendra un adulte qui éprouve des difficultés à exprimer ses émotions. » Cet amour inconditionnel est donc très important. L’enfant doit sentir dès le départ que quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, et même s’il fait des bêtises, cet amour lui est donné. Il n’a rien à mériter. Il n’a rien à faire. Il n’a rien à prouver pour recevoir cet amour.


En conclusion


Pour Couples et Familles, cette approche de Jacques Ravedovitz  rappelle que l’éducation n’est pas seulement une affaire individuelle, qui se passe entre parents et enfants. Les uns et les autres sont traversés par les valeurs ambiantes et par les injonctions de la société. Si l’évolution des dernières décennies a provoqué une beaucoup plus grande attention aux besoins de l’enfant, on redécouvre aujourd’hui que, pour acquérir la confiance en lui, l’enfant a besoin de vivre dans un cadre sécurisant, fait non seulement d’amour, mais aussi de règles et de limites. Chacun doit être à sa place, d’enfant ou d’adulte, quelles que soient d’ailleurs les formes de vie familiale dans lesquelles l’enfant est amené à grandir en fonction des circonstances de la vie.

 

 


 

(1) Texte rédigé par Isabelle Bontridder (Couples et Familles), au départ de la rencontre-débat animée par Jacques Ravedovitz, Formateur à l’Association Françoise Dolto. Cette rencontre a eu lieu  dans le cadre des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la Famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec diverses associations, dont Couples et Familles.
(2) On pourra consulter le livre « Aimer à perdre la raison. Aimer, éduquer… est-ce compatible ? », sous la direction de Philippe Béague, éd. Couleur Livres, auquel Jacques Ravedovitz a collaboré. http://www.couleurlivres.be/images/PI-aimer-raison-BD.pdf  

 

 

 

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