Analyse 2010-07

Pour aider un enfant à avoir confiance en lui, il ne faut pas lui répéter sans arrêt qu’il est formidable. Il faut croire en ses capacités, le lui dire et l’aider à progresser.


Jacques Duez (1), professeur de morale, organisait des débats et filmait ses élèves en classe. En les percevant comme des auteurs de propositions « considérables », il leur apprenait à se penser comme des êtres uniques, des interlocuteurs épatants, écoutés et respectés. C’était  un professeur de morale et un artiste passionné par le cinéma. Pendant vingt ans,  il a utilisé sa caméra comme outil pédagogique et a placé son objectif vers les enfants et les jeunes. Son but : les amener à la réflexion. Il a réalisé des émissions pour la RTBF appelées « Journal de Classe ». Pendant ses cours de morale, il organisait et filmait des discussions et des débats avec ses élèves. Il interviewait ses classes sur différents sujets : la vie, l’amour, l’actualité, la sexualité, la mort. « Jacques Duez s’ennuyait à asséner dans les têtes des enfants des principes moraux », explique Philippe Béague, Président de l’Association  Françoise Dolto. « Il a donc décidé de les écouter. Il lançait un thème, n’importe lequel. Il partait de ce qu’il entendait dans la cour de récréation, et donc de ce qui, en fin de compte, interpelait les enfants. »  


Retrouver l’enfant qui sommeille en soi


Jacques Duez était passionné par l’autre. C’était d’ailleurs quelqu’un qui avait beaucoup de difficulté à parler de ce qu’il faisait. Frédéric a été l’un de ses élèves. Jacques Duez l’a filmé alors qu’il était encore en primaire. Frédéric était un  enfant extraordinaire. « Des années plus tard, Frédéric a retrouvé Jacques Duez », raconte Philippe Béague. « Sa vie avait mal tourné et il n’avait aucune confiance en lui. Jacques lui a remontré les séquences qu’il avait filmées. En se revoyant enfant, Frédéric a retrouvé ses ambitions.  sept ans, c’était un enfant qui avait tout à fait confiance dans le monde. Il avançait avec une sécurité et avait une imagination débordante. Il se fait qu’à l’école, ça s’est très mal passé pour lui. Peut-être que s’il avait eu Jacques pour l’écouter à d’autre moments qu’aux cours de morale, ça n’aurait pas été à ce point une descente aux enfers pour lui… Quoi qu’il en soit, en se revoyant à sept ans, c’est comme si il avait fait une psychanalyse expresse. Tout d’un coup, il a retrouvé ce qu’il était. » Bien sûr, il ne faut pas rester nostalgique en regrettant l’enfant que l’on a été. Il faut pouvoir s’interroger et se poser les bonnes questions : qu’est-ce que j’ai perdu, qu’est-ce que j’ai oublié de moi, qu’est-ce que j’avais comme potentiel étant enfant ?  Après avoir visionné les images, Frédéric a cessé de se prendre pour  une nullité. Il s’est tout à coup vu autrement. Il n’était plus le Frédéric qui avait loupé ses études et qui ne tournait à rien.


L’importance de dire la vérité pour être crédible


« En fait, la confiance en soit existe au départ », explique Philippe Béague. « Il est important que les enseignants se rendent compte qu’ils sont sur le chemin des vingt-cinq enfants qu’ils ont dans leur classe. Chacun de ces enfants a un potentiel inouï. L’enseignant ne doit pas les étouffer et les empêcher de s’exprimer. Bien sûr, on ne peut pas demander à tous les enseignants de faire comme Jacques Duez. » Pour aider un enfant à avoir confiance en lui, il faut toujours lui dire la vérité. Et attention, il ne suffit pas de lui dire : « tu es génial ». Il faut le penser vraiment. Les enfants sentent le mensonge. Si un enfant sent dans le regard de l’adulte qu’il a de la valeur, cela viendra confirmer la valeur qu’il a vraiment et lui permettra de la déployer. « Les compliments ne se disent pas uniquement avec des mots », intervient Philippe Béague. « Françoise Dolto a dit qu’il fallait parler. Elle avait raison et on ne remet pas cette affirmation en question. Mais je pense que si on dit à un enfant qu’il est intelligent alors qu’on ne le pense pas, l’enfant ne le croira pas. Les enfants ne font pas uniquement attention aux mots que l’adulte utilise. Il sait que le traficotage de mots existe. Si on ne pense pas ce qu’on dit, la parole tombe à plat et elle met l’enfant mal à l’aise. » Cela vient confirmer à l’enfant que les adultes ne sont jamais crédibles. Il ne peut plus croire les autres et il ne peut plus se croire lui-même car il a l’impression que la vérité n’existe plus. « Cette attitude rend les enfants fous car ils sentent qu’il y a un décalage entre ce qu’on leur dit et ce qu’ils sentent. Le « parler vrai » est une notion de Françoise Dolto. C’est peut être mieux de dire à une enfant : j’ai l’impression que tu es bête, on va donc aller vérifier si tu l’es vraiment. » Quand un enfant est mauvais en course, il est absurde de lui dire : « Tu es génial, tu cours plus vite que les autres ! » Ce n’est pas vrai et l’enfant le sait. Il est mieux de lui dire : « Tu cours moins vite que les autres, mais on va s’entrainer ». L’enfant se dira ainsi que l’adulte le sent capable de courir plus vite. Il va alors se battre pour y arriver.  « Les grands champions ont aussi des coachs qui viennent les aider et leur remonter le moral quand c’est nécessaire. Pour réussir dans un métier dans lequel on est appelé à devoir se battre, l’image qu’on a de soi est essentielle. Lorsque Eddy Merckx s’est arrêté, c’est parce qu’il n’y croyait plus. Il venait de perdre son dernier tour de France. Ça a été un drame en Belgique. Si à ce moment-la il avait eu un coach qui l’avait aidé à surmonter la souffrance d’avoir perdu le tour de France, peut-être qu’il en aurait encore gagné un ou deux… C’est ce que les coachs appellent « le mental ». Nous, on appelle cela « la confiance en soi » ».


Les parents ne sont pas des enseignants


La confiance en soi s’acquiert donc dès le plus jeune âge. Il faut valoriser son enfant, tout en n’en rajoutant pas des couches. Sinon, ça fait bizarre et un enfant est toujours sensible à ce qui est bizarre.  Il ne faut pas être continuellement dans un encouragement verbal. Les parents doivent surtout se poser les questions suivantes : « Comment est ce que je vois mon enfant ? Est-ce que je crois en lui et en son potentiel ? ». « On ne peut pas faire semblant qu’on ne pense pas, on ne peut pas faire abstraction de ce que l’on ressent soi-même. Nous portons tous un regard sur notre enfant et il faut en tenir compte. » Ce n’est d’ailleurs pas aux parents de faire le travail scolaire avec les enfants. Les parents peuvent les soutenir, regarder leur journal de classe. Pour le reste, l’enfant doit se débrouiller seul. Il faut aider les enfants à s’autonomiser. S’ils ne s’en sortent pas, le parent peut toujours avoir recours à une école des devoirs. « Nos enfants sont nos tripes, notre chair », explique Philippe Béague. « Un enseignant peut expliquer dix fois de suite la règle de trois à un enfant qui ne l’a pas comprise. Il est très à l’aise pour le faire parce que cet enfant n’est pas le sien et s’il est bête, ce n’est pas son problème. Un père ou une mère a peur de constater que son fils ou sa fille est idiot(e). » Les parents ne sont pas dans une position professionnelle. Ils ont immédiatement des émotions qui montent. Il faut dire que les parents sont, aujourd’hui, dans une omniprésence par rapport à leurs enfants. Il faut pourtant oser confier ses enfants à d’autres. L’école, c’est le lieu de l’enfant, celui où il va être confronté à l’avis des autres. C’est également le lieu où il va se découvrir car il a d’autres regards sur lui. Un enfant doit pouvoir grandir dans le regard de l’autre.   

 

 



(1) Jacques Duez, qui devait participer à la rencontre-débat sur la confiance en soi pour évoquer sa pédagogie particulière avec les enfants, est décédé inopinément en février 2010, peu de temps avant la date de la rencontre. C’est donc Philippe Béague, l’autre intervenant, qui a présenté les lignes de force de celle-ci.
(2)Texte rédigé par Isabelle Bontridder (Couples et Familles), au départ de la rencontre-débat animée par Philippe Béague, Président de la Fondation Françoise Dolto. Cette rencontre a eu lieu  dans le cadre des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la Famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec diverses associations, dont Couples et Familles.

 

 

 

 

 

 

 

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