Analyse 2010-08

Depuis trop longtemps, le terme « adolescence » est associé à un cortège désespérant d’idées noires et d’expériences difficiles. Et si nous essayions de voir l’adolescence comme un épisode créatif et bousculant ? Une période où les croyances des uns sont bousculées par les questions des autres. Dans cette optique, l’adolescence a un effet bénéfique sur la famille et sur la société.


L’adolescence est souvent noircie. L’adolescent est perçu comme une personne qui prend un chemin de traverse. Il s’agit cependant d’un être créatif. S’il prend un chemin de traverse, c’est pour une raison simple : il refuse d’emprunter le sentier que ses aînés ont suivi.  Beaucoup ne s’en rendent pas compte et pourtant, l’adolescence est radicalement fondamentale pour nos sociétés. Sans elle, les êtres humains seraient amenés à une répétition morne, à l’installation de quelque chose de mortel. De nombreux adultes regardent toutefois les jeunes avec mépris. Ils parlent avec dédain de cette jeunesse qui « encombre le passage ». « C’est un peu comme quand vous prenez le métro et que vous croisez un jeune adolescent avec un énorme sac-à-dos. Il prend toute la place. Souvent, il vous énerve », explique Jean Van Hemelrijck, psychologue et thérapeute systémique. « Les adolescents qui se trouvent sur le trottoir dérangent. Ils empêchent le passage. On les observe avec un regard méprisant. » Il est pourtant dommage d’associer l’adolescence à l’encombrement. « Regardez bien nos cités, poursuit Jean Van Hemelrijck, elles sont construites dans une volonté de favoriser la circulation. Faites attention aux bancs publics. Ils sont imaginés pour qu’on ne puisse plus s’y coucher. Les bancs sont aujourd’hui construits pour que les SDF ne s’y arrêtent plus. Regardez devant les banques. On met des piques, on met des boules. Il faut que les gens circulent. » Les adolescents, eux, se mettent en travers du chemin et nous empêchent de passer. Il faut les contourner car ils font obstacle. Il est intéressant de se poser la question suivante : pourquoi les adolescents agissent-ils de cette manière ?


Réfléchir sur l’adolescence, c’est rebondir sur le paradoxe du même et du différent


Lorsqu’un enfant vient au monde, il ne possède pas encore le verbe. L’entourage parle donc à sa place et lui raconte son corps. « La première parole est une parole de ressemblance », commente Jean Van Hemelrijck. « On va dire à l’enfant : « tu es comme… ». De cette manière, le corps de l’enfant s’inscrit dans un discours qui dit son appartenance au groupe duquel il est issu. Quand on parle aux bébés, on fait des commentaires sur leurs sourires, sur leur manière d’être, sur leur gestuelle et sur leur corporalité. »  Le premier raccordement familial est donc un raccordement sur « le même » : « Tu es un Dupont comme tous les Dupont ». Ensuite, l’enfant reçoit un prénom et comprend qu’il est singulier. Toutes les sociétés sont, en fait, construites sur ce paradoxe fondateur : « nous sommes des êtres faits de banalité et d’exceptionnalité. Nous sommes semblables et différents. »  


Un enfant a toujours l’impression que ses parents connaissent mieux son corps que lui


Durant l’enfance, l’individu fait l’expérience que son corps est plus connu par l’autre que par lui-même. « Lorsqu’un enfant fait un cauchemar, l’adulte vient greffer sur son corps une explication à ce cauchemar, comme s’il connaissait le corps de l’enfant mieux que lui-même. Il va lui expliquer que s’il a fait  un cauchemar, c’est parce qu’il a trop joué ou parce qu’il a mangé trop de saucisses. Peu importe la raison, l’adulte trouvera une explication et l’enfant s’en contentera », explique Jean Van Hemelrijck. « Toute l’histoire de l’adolescence va être de se réapproprier ce corps dont il n’a pas été propriétaire étant enfant. » Les adolescents vont donc adopter différents comportements pour se réapproprier leur corps. Ils vont gérer ce corps dans la ressemblance, dans la dissimulation et dans la provocation.


L’adolescence, c’est l’apparition des poils, des odeurs et du désir sexuel


L’adolescence est une période durant laquelle le corps subit mille transformations. C’est l’apparition des poils, des odeurs. Le corps se transforme en apparence, mais aussi en sensations. C’est l’émergence de l’angoisse du désir sexuel. Le corps devient un espace éminemment expérientiel. Ce nouveau corps et ces nouvelles sensations font peur aux adolescents. Ils ne savent pas trop s’ils doivent en parler avec leurs parents et ils ne savent que faire avec ce corps qui se modifie. « Quand on est adolescent, le regard que l’autre pose sur moi est différent et le regard que je pose sur l’autre est différent. L’adolescent commence à ressentir du désir, de l’excitation. Il y a de la tension et toute une série de manifestations nouvelles. Des liquides nouveaux apparaissent comme le sperme ou le sang. Toutes ces manifestations corporelles sont extrêmement difficiles à gérer. » L’adolescent va alors développer différents mécanismes pour tenter de gérer et de se réapproprier ce corps.


Le mensonge : un moyen efficace pour différencier l’intériorité et l’extériorité


La première forme de réappropriation est le mensonge. Au départ, l’adolescent ment très mal. Petit à petit, il s’améliore et il se met à expliquer ses comportements suspects par une explication que l’adulte veut entendre. « Je suis en retard parce que mon bus a été pris dans un embouteillage ». Ses parents le croient alors qu’en réalité, il a sûrement été fumer des cigarettes avec ses copains… L’adolescent ment et il remarque que son mensonge est cru. Si son mensonge est cru, c’est que l’autre n’a pas accès à ce qui se passe à l’intérieur de lui-même. Il peut alors faire l’expérience de la différence qu’il y a entre l’intériorité et l’extériorité, entre le vécu psychique, l’imaginaire, la vie fantasmatique, l’intimité et l’extérieur.


La bande permet à l’adolescent de définir et d’affiner son identité


Durant l’adolescence, l’individu quitte la verticalité  - c’est-à-dire la transmission parentale - pour s’inscrire dans l’horizontalité, c’est-à-dire la bande. Par des rituels initiatiques, le groupe d’appartenance va devenir un lieu de confiance. Les adolescents vont adopter une mode vestimentaire, une gestuelle, une façon d’être. C’est une manière de se réapproprier leurs corps. La bande devient alors pour l’adolescent un espace extrêmement important, car c’est à cet endroit qu’il va trouver les ressources pour définir et affiner son identité. Cela se fait au travers de rituels extrêmement simples : écouter telle musique, avoir telle idéologie, s’habiller et se coiffer de telle manière, etc.
L’adolescent s’éloigne pour être rassuré


Après le mensonge, le jeune doit aussi faire l’expérience de la désobéissance. Il doit partir dans le monde, quitter la maison, prendre de la distance. C’est l’époque où certains adolescents fuguent, en prenant grand soin de laisser des traces derrière eux. « Lorsqu’un adolescent fugue, tout est souvent extraordinairement bien orchestré », explique Jean Van Hemelrijck. L’adolescent a un cahier dans lequel il note ses états d’âme. Il met son cahier – dans lequel il a expliqué ses projets de fugue en détails – bien en vue sur la table de sa chambre, il allume la lampe, puis il part. En fait, l’adolescent vient confronter la famille à la déception. Il se demande : « si je déçois mon parent, va-t-il encore m’aimer ? ». « Si je m’éloigne, si j prends de la distance, viendra-t-on à ma recherche ? » Le rôle des parents est de lui donner la possibilité de partir dans le monde et de s’épanouir en tant qu’adulte. En conclusion, la période de l’adolescence est essentielle, pour l’adolescent lui-même, mais aussi pour son environnement social.Pour lui-même, parce que c’est à ce moment qu’il prend véritablement conscience de son individualité et qu’il construit son identité, différente de celle de ses parents. Les parents ont à percevoir les aspects essentiels et bénéfiques de cette évolution dynamique, même si les tensions que cela provoque sont parfois difficiles à vivre au quotidien.Plus largement, il faut aussi percevoir l’effet bénéfique de l’adolescence sur l’environnement social de l’adolescent et sur la société dans son ensemble, puisque le refus de suivre automatiquement les chemins tracés et les habitudes sociales insufflent à la société un véritable dynamisme.

 

 


 

(1) Analyse rédigé par Isabelle Bontridder (Couples et Familles), au départ de la rencontre-débat animée par Jean Van Hemelrijck, psychologue et thérapeute systémique. Cette rencontre a eu lieu  dans le cadre des Midis de la Famille organisés par l’échevinat de la Famille de la commune d’Ixelles, en partenariat avec diverses associations, dont Couples et Familles.    

 

 

 

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