Analyse 2010-12

Après les Etats-Unis, l’Irlande, l’Autriche, l’Allemagne… l’Eglise catholique de Belgique a été confrontée en 2010 à une série de révélations d’actes pédophiles de la part de prêtres ou de religieux. Quelles ont été les réactions et quelle analyse peut-on en faire ?


Il serait trop long de faire l’inventaire des faits dans le détail. Rappelons seulement quelques événements plus marquants. Depuis l’année 2000 et dans le prolongement de l’affaire Dutroux, les évêques de Belgique avaient mis en place une commission chargée du traitement des plaintes pour abus sexuels au cours de la relation pastorale, mais elle travaillait dans une relative discrétion. Puis ce fut la révélation au grand jour, en avril 2010, des abus commis par l’évêque de Bruges, Mrg Roger Van Gueluwe, sur un membre de sa famille et sa démission forcée. Comme si un bouchon avait sauté, de nombreuses personnes s’adressèrent alors à la Commission pour faire état des abus dont elles avaient été l’objet. Puis ce fut en juin 2010 l’opération « calice ». Les perquisitions au siège de l’archevêché de Malines-Bruxelles, à la Commission Adriaenssens et au domicile de Mgr Danneels ainsi que la saisie de plus de 800 dossiers provoquèrent la démission de la Commission dans son ensemble. Le 10 septembre, la Commission publie son rapport final, qui provoque une nouvelle onde de choc. Ensuite, c’est au tour du Sénat de mettre sur pied une commission spéciale sur les abus sexuels et d’entendre divers témoins, dont les évêques concernés par ces affaires.


A cette occasion plusieurs débats se sont croisés : y a-t-il un lien entre le célibat ecclésiastique et les actes de pédophilie, l’Eglise a-t-elle cherché davantage à se protéger qu’à protéger les victimes, quelle est la responsabilité de la structure ecclésiale vis-à-vis des victimes ?


Quelle conception de la sexualité ?


De notre point de vue d’organisation familiale, le débat le plus fondamental est sans doute celui qui interroge la conception de la sexualité et donc aussi le lien éventuel entre célibat et pédophilie. Comme l’ont fait remarquer les défenseurs du célibat ecclésiastique, mettre un lien entre célibat et pédophilie n’a pas beaucoup de sens puisque l’on ne rencontre pas davantage de cas d’abus d’enfants parmi les célibataires que parmi les personnes mariées. Ce qui fait dire au nouvel archevêque Mgr Léonard que, si certains prônent comme mesure préventive de supprimer le célibat des prêtres pour lutter contre la pédophilie, il faudrait en toute logique supprimer aussi le mariage. Statistiquement, le raisonnement paraît cohérent.


Mais on peut quand même se poser des questions sur la manière d’envisager la sexualité et sur ses effets. Cette conception de la sexualité, on peut en prendre un exemple aux origines du christianisme, dans une Lettre de Saint Paul aux Corinthiens, un des textes du Nouveau Testament, texte fondateur de la religion chrétienne. On peut y lire : « S’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient ! Car il vaut mieux se marier que brûler ! » Les premiers chrétiens valorisaient en effet le célibat et la continence, parce qu’ils étaient convaincus d’un avènement imminent du Royaume de Dieu, où le mariage n’aurait plus de sens. Mais saint Paul n’était sans doute pas naïf et il connaissait les dangers de l’angélisme. Il conseillait donc le mariage aux moins vaillants ! Consentir à la sexualité serait donc un pis-aller, toléré pour ceux qui ne peuvent lutter contre leurs pulsions. Une vision pas très positive de la sexualité, on en conviendra, qui a pourtant marqué jusqu’à nos jours l’approche de la sexualité.


La sexualité est vue comme un danger potentiel


Les justifications avancées pour le célibat des prêtres sont diverses : disponibilité, vie tout entière consacrée au Christ, adoption du mode de vie du Christ lui-même, réputé célibataire. Quoi qu’il en soit, les candidats à la prêtrise n’ont pas le choix, ils sont soumis à l’obligation du célibat. Qu’ils adhèrent totalement ou non à cet idéal ou qu’ils y consentent seulement, la sexualité risque de devenir pour eux une source de danger potentiel. Si l’on se reporte quelques dizaines d’années en arrière, à l’époque où furent formés la plupart des prêtres dont on révèle aujourd’hui les abus, la société dans son ensemble avait une vision assez négative de la sexualité. C’était en tout cas une source de péché dont tout le monde devait se méfier, à fortiori ceux qui étaient appelés au célibat et à la continence. Les séminaires ne faisaient donc que renforcer cette méfiance auprès de ceux qu’ils formaient. Mais cette formation leur insufflait aussi l’idée qu’ils étaient au-dessus du lot, comme mis sur un piédestal de par leur vocation.


Pour certains candidats à la prêtrise, la peur de la sexualité était déjà sans doute bien ancrée.  Pour Yvonne Rousseau, psychanalyste qui publia un petit ouvrage[i] au moment de l’affaire Dutroux, la pédophilie vient généralement d’un blocage de la maturation affective et sexuelle à un stade infantile. « Pour mes patients prêtres pédophiles, la pédophilie s’enracinait presque toujours à la même terre : l’éducation puritaine de leur mère. Des femmes pieuses et bonnes mais ne voyant dans la sexualité que péché et ordure. Conditionnés à l’angélisme par leurs mères, ils l’étaient aussi par le bon prêtre. Devenir prêtre à leur tour, ne serait-ce pas une bonne manière d’oublier tout cela et de demander au Seigneur de vous y aider ? Et puis, un jour, on s’aperçoit que les pulsions refoulées sont toujours là. Elles n’ont pas varié avec l’âge, elles en sont restées au stade du jardin d’enfant. Ils sont si gentils les enfants, ils ne font pas peur. De mes patients prêtres pédophiles, leur entourage disait : il adore les gosses ! Et c’était vrai. Mais de deux façons, dont une qu’on ne soupçonnait pas.[ii] » Au travers de ce commentaire d’Yvonne Rousseau, se profile un lien un peu moins direct avec le célibat : ce ne serait pas nécessairement l’obligation de continence qui provoque la pédophilie, mais ceux qui étaient hantés par la peur des femmes et de la sexualité trouvaient peut-être inconsciemment dans la prêtrise une manière de fuir cette peur, tout en embrassant un état ou un statut qui était valorisé dans la société d’alors.


Réprimer la sexualité peut être dangereux


Mais comme le dit Yvonne Rousseau, réprimer les pulsions n’est pas un solution à long terme. On s’aperçoit tôt ou tard qu’elles sont toujours là. Les prêtres, surtout dans le passé, occupaient une position sociale reconnue, mais étaient en outre auréolés  d’une certaine aura. En tant qu’hommes de Dieu, gardiens de la bonne morale et prédicateurs de l’amour et du respect d’autrui, ils suscitaient spontanément la confiance de tous, et en particulier de leurs victimes potentielles. Dans la plupart des cas, lorsque les pulsions sexuelles devenaient trop fortes, les prêtres trouvaient une partenaire occasionnelle ou régulière, dans la clandestinité ou non. Cela provoquait violation de la promesse de continence, qui amenait certains à se marier et à quitter la prêtrise, mais qui n’empêchait pas d’autres de poursuivre leur route avec une part de leur vie privée plus ou moins secrète. Cela ne posait pas trop de problèmes. Par contre, pour ceux dont la sexualité en était restée à un stade infantile, « au stade du jardin d’enfants » comme le dit Yvonne Rousseau, les pulsions s’orientent parfois vers la pédophilie. Il ne s’agit plus alors d’une simple entorse à une promesse ou à un règlement, avec une adulte consentante, il s’agit d’un crime sexuel. Un crime que les victimes avaient beaucoup de mal à révéler, puisqu’elles se trouvaient dans une relation tout à fait asymétrique par rapport à leur abuseur, adulte et prêtre de surcroît.


Quelles conséquences ?


Certes, parmi les « affaires » que l’on révèle aujourd’hui, beaucoup sont anciennes. Le contexte culturel et social qui les a provoquées a fortement changé. Le tabou et la méfiance vis-à-vis de la sexualité ne sont plus les mêmes. La libération sexuelle des années 60 et 70 est passée par là. Heureusement !


Au niveau de l’Eglise catholique, certaines attitudes ont probablement changé. On entend les responsables de la formation des prêtres affirmer qu’une attention renforcée sera portée à la maturation et à la vie affective des séminaristes. Certains évêques ont même suggéré que l’obligation du célibat devrait être revue. L’aura du pouvoir sacré des prêtres est fortement mise en miettes et la confiance spontanée qu’ils suscitaient a disparu. A côté de cela, d’autres continuent de rappeler le caractère sacré du célibat. N’est-ce pas une manière de perpétuer cette répression de la sexualité évoquée au début de cette analyse ?


Les familles sont le premier lieu où se développe et s’éduque la sexualité. Apprendre à accueillir l’éclosion de la sexualité comme une formidable puissance d’attrait vers l’autre, apprendre à confronter son propre désir au désir d’un autre, dans le respect et sur un pied d’égalité, sont des attitudes qui se préparent dès le plus jeune âge. Les parents sont les premiers à devoir s’en soucier. Les dangers auxquels les enfants sont confrontés aujourd’hui ne sont probablement plus ceux de la répression de la sexualité. Mais la confrontation des plus jeunes à la pornographie et aux relations marquées par la domination et une certaine violence ne sont peut-être pas davantage épanouissantes.Par ailleurs, si les mères de jadis avaient le sentiment de bien faire en réprimant les manifestations sexuelles de leurs enfants, il ne faut pas trop vite penser que les dangers sont définitivement de l’ordre du passé. N’oublions pas que la plupart des abus d’enfants se passent dans le contexte familial.[iii]           

   



[i] Pédophilie. Prévenir pour ne pas avoir à guérir !, Yvonne rousseau, 1997, éditions Jeunesse et Droit et Feuilles Familiales.

[ii] Yvonne Rousseau, op. cit., pp. 53-54.

[iii] Analyse rédigée par José Gérard.

 

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