Analyse 2011-14

Pour les personnes qui se découvrent homosexuelles, il est impérieux de pouvoir le dire à leurs proches, afin de se sentir reconnues dans leur identité. Mais ce coming out comporte aussi le danger d’enfermer les personnes dans cet aspect de leur identité.


Lorsque un jeune découvre progressivement son homosexualité, il doit tout d’abord effectuer tout un travail intérieur afin de s’accepter tel qu’il est. Il doit aussi sans doute faire le deuil de toute une série de représentations qu’il s’était faites de sa vie future et intégrer la probabilité de réactions négatives à son égard.


Une fois ce travail intérieur accompli –pour autant que l’acceptation de ce que l’on est soit terminée un jour, que l’on soit homo ou hétérosexuel- il lui faut ensuite affronter l’épreuve du coming out : dire aux autres et tout d’abord à sa famille, que l’on s’éprouve homosexuel. 

 

Pourquoi annoncer aux autres son homosexualité ?


On peut évidemment s’interroger : pourquoi faut-il que les homosexuels annoncent aux autres leur orientation sexuelle ? Les hétérosexuels ne le font pas, eux. En outre, l’orientation sexuelle fait partie de la vie privée. Pourquoi faudrait-il rendre public cet élément de la sphère intime ?


A vrai dire, comme l’hétérosexualité est généralement admise comme la norme, toute personne est présumée hétérosexuelle par son entourage. Il suffit qu’on la rencontre une fois ou l’autre avec une personne de l’autre sexe pour que soit confirmée cette orientation. On notera cependant que celui ou celle qui tarde trop longtemps à s’afficher en couple suscite lui aussi les interrogations de son entourage : « Alors, pas encore rencontré l’âme sÅ“ur ? C’est pour quand ?  Etc. ». La norme ambiante étant la vie en couple hétérosexuel, toute attitude qui s’en éloigne suscite les questions, l’inquiétude et provoque une pression sociale sur celui qui semble s’en écarter.  Cette pression est d’ailleurs parfois durement ressentie.(1) On attribue donc à toutes et à tous une identité (sexuelle) présumée jusqu’à preuve du contraire. Et cette identité sexuelle est évidemment un élément important de l’identité de la personne.


La personne qui se découvre homosexuelle, au contraire, doit d’une certaine manière détromper son entourage et rectifier cette identité présumée qui lui est attribuée « par défaut ». Et même si la sexualité est de l’ordre de la vie privée, le besoin d’être reconnu pour ce que l’on étant essentiel pour se sentir exister, cela oblige presque celui qui se découvre tel à faire son coming out afin de pouvoir être reconnu par les autres dans son identité. Sans une telle reconnaissance, ce que l’on est ne peut devenir réalité. Se savoir homosexuel mais, en présence des autres, devoir faire comme si on ne l’était pas, c’est évidemment ne pas pouvoir exister tel que l’on est. Etre reconnu et accepté est une condition incontournable pour vivre.


C’est un peu la même chose pour les relations, du moins les relations profondes, dont les relations amoureuses. Les relations amoureuses ne peuvent se déployer pleinement que si elles sont déclarées et reconnues par l’entourage, en particulier les relations homosexuelles. Le plus souvent, les personnes amoureuses aspirent à présenter leur partenaire aux autres personnes qui leur sont chères et à l’intégrer dans le réseau relationnel dans lequel elles vivent. Vouloir ou devoir cacher une relation –parce que l’on veut cacher son orientation sexuelle ou parce qu’il s’agit d’une relation ‘illégitime’- demande une grande énergie, une attention de tous les instants et devient vite très difficile à vivre, à mois que l’on n’éprouve un plaisir tout particulier aux jeux incessants de cache-cache.


Les conséquences du coming out


Les réactions des parents, de la famille et des proches à l’annonce de l’homosexualité d’un des leurs peuvent être très différentes selon les représentations que les personnes se font de l’homosexualité et leur ouverture d’esprit. Dans tous les cas cependant, la première réaction des parents est plutôt un choc. Sans même y réfléchir de manière très consciente, les parents projettent l’avenir de leurs enfants de manière généralement très classique : un couple hétérosexuel, avec des enfants, qui les feront ainsi devenir grands-parents. L’annonce de l’homosexualité d’un enfant vient donc bouleverser leurs représentations spontanées et ce n’est pas toujours facile à vivre pour eux (2).


Après le choc, les réactions des parents présentent un gamme très variée : fuite de la réalité (on ne veut plus en parler, on ignore, on rencontre cet enfant le moins possible, etc.) ; violence (violence physique, propos injurieux, l’enfant est chassé de la maison, etc.) ; dépression voire maladie (les personnes retournent alors la violence contre elles). Il y a heureusement également beaucoup de réactions plus positives où, après un premier ébranlement, une période éventuelle de chagrin et de questions (entre autres sur la responsabilité ou la culpabilité des parents face à l’homosexualité de leur enfant), les parents essaient de comprendre leur enfant et de l’aider.


Viennent ensuite les autres coming out, en cercles concentriques, selon que les parents en parlent plus ou moins facilement à la famille élargie, aux amis, aux relations de la famille.


Cette étape du coming out, quelles que soient les réactions de l’entourage, est assurément importante pour que la personne homosexuelle puisse se sentir exister telle qu’elle se pressent. Un des participants à une récente journée de réflexion (3) faisait cependant remarquer que le principe du coming out pouvait aussi être un piège. Pourquoi ?


En se déclarant homosexuelle, la personne se fige dans une identité précise. Or, la réalité est souvent plus complexe. Chacun possède en soi une part d’homosexualité, comme tout homosexuel possède aussi une part hétérosexuelle. Et ces composantes sont variables d’une personne à l’autre. L’hétérosexuel qui a eu dans le passé ou qui a de temps en temps des relations avec des personnes du même sexe ne se sent pas le besoin de revendiquer publiquement cette part de son identité.


Par ailleurs, la terminologie elle-même enferme l’identité dans son aspect de « pratiques sexuelles », alors que l’on peut avoir cette orientation sexuelle sans nécessairement avoir de pratiques sexuelles. C’est d’autant plus stigmatisant que les représentations mentales des pratiques homosexuelles provoquent des réactions de rejet chez pas mal de personnes. L’appellation employée par certains d’homo-affectivité pourrait peut-être atténuer cette connotation. Les termes ‘gay’ et ‘lesbienne’ y concourent assurément.


Un des effets négatifs, probablement le plus néfaste au plan social, est d’enfermer la personne dans une communauté homosexuelle. Pour se sentir accueilli, pour pouvoir être qui il est, l’homosexuel aura tendance à fréquenter les lieux organisés ou fréquentés par la communauté homosexuelle. Le caractère minoritaire et souvent discriminatoire incite aussi à créer une sous-culture homosexuelle, qui permet de développer une identité collective. Réaction de survie souvent, mais qui provoque aussi des dérives, notamment en donnant à l’orientation sexuelle une importance démesurée dans l’identité de la personne. Un peu comme si la personne était d’abord et surtout homosexuelle, avant d’être caractérisée par son métier, ses aspirations, ses projets, sa manière de se représenter la vie, ses valeurs, ses options politiques, etc. La personne homosexuelle se réfugie donc dans des lieux où elle est en reconnue mais risque en même temps de ne plus être reconnue qu’en tant que personne homosexuelle. Il est vrai que l’hétérosexuel doit rarement faire face à ce type de pression.


Enfin, il faut aussi relever le fait que la terminologie elle-même véhicule pas ma de représentations. Le terme d’homosexualité n’est apparu qu’au dix-neuvième siècle. Jusqu’alors, il existait des termes pour désigner les pratiques homosexuelles et ceux qui y avaient recours (sodomites, par exemple). Mais cela ne désignait pas l’identité des personnes. Le terme s’est surtout répandu dans un cadre psychiatrique, qui désignait une perversion, dont il fallait donc essayer de guérir. Il fut aussi employé en termes plus judiciaires, en particulier sous le régime nazi, qui entendait éliminer les homosexuels, comme d’autres « dégénérés ». Ce lourd passé a évidemment une répercussion sur les personnes aujourd’hui, même si elles n’en sont pas nécessairement conscientes. Certaines représentations continuent d’habiter la culture contemporaine et faire son coming out amène donc presque automatiquement à accepter de porter ces représentations sur les épaules, voire d’en faire une partie de son identité.


Le paradoxe de l’identité homosexuelle


Il y a donc bien un paradoxe à demander d’être reconnu en fonction de son identité sexuelle. Si cela permet de libérer la personne, cela risque aussi de l’enfermer dans un cadre très connoté.


Mais cela ne décrit encore que la réalité des personnes. Un autre paradoxe s’y ajoute. Collectivement, les homosexuels ont pu lutter contre les discriminations dont ils étaient l’objet parce qu’ils se sont organisés et donc parce qu’ils ont accepté d’entrer dans une sorte d’identité collective, avec des caractéristiques, des discriminations et des revendications communes. C’est de cette manière qu’ils ont pu revendiquer et obtenir certains droits, comme le mariage homosexuel et la possibilité d’adopter des enfants.


Mais tout autant qu’au plan individuel, cela a amené les personnes homosexuelles à adopter une identité collective qui ne correspond pas toujours à ce qu’ils sont, qui ne rend pas compte en tout cas de tout ce qu’ils sont. Cette identité revendicatrice, mise en avant par la gay pride par exemple, est parfois lourde à porter.


On pourrait dire que le coming out, autant au plan individuel que collectif, présente des avantages indéniables, mais expose aussi au risque de voir son identité focalisée, si pas réduite à ce seul aspect de la réalité. Le paradoxe est sans doute inévitable, mais c’est sans doute le combat des années à venir : faire avancer la reconnaissance des différences multiples entre les personnes, afin de diminuer la stigmatisation de certaines caractéristiques et de permettre aux personnes de s’épanouir dans des aspects variés de leur identité. C’est probablement une des tâches des associations gays et lesbiennes, mais aussi des associations qui travaillent sur les questions relationnelles, comme Couples et Familles (4). 

 


(1) Voir à ce propos « Les nouveaux célibataires », Dossier NFF n°74, 2005.
(2) Voir à ce propos « Coming out. Quand l’homosexualité survient », Dossier NFF n°88, 2009. On consultera également la brochure « Mon fils, ma fille est homo… Qu’est-ce que ça change ? », réalisée par Exaequo et Tels Quels à l’attention des parents et de l’entourage familial d’un enfant homosexuel (2009).
(3) « Mon fils est gay, ma fille est lesbienne. Parents d’homo. Les liens familiaux à l’épreuve du coming out », journée de réflexion organisée par Arc-en-Ciel Wallonie le 17 décembre 2011 à l’auberge de jeunesse de Mons, avec l’intervention de José Gérard, sur base de l’étude réalisée par Couples et Familles « Coming out. Quand l’homosexualité survient ».
(4) Texte rédigé par José Gérard.

 

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