Analyse 2011-19

Fin septembre 2011, une campagne est lancée en France : « Mademoiselle, la case en trop ». Des organisations féministes réclament le retrait de la case « mademoiselle » de tous les formulaires administratifs. « Discriminant ! » affirment-elles, jugeant injuste le fait que seules les femmes sont obligées d’indiquer leur situation maritale dans les documents officiels. Combat justifié ou sans importance ? Analyse.

 


En 2011, en Belgique et en France, dans les documents administratifs, les femmes sont encore invitées à répondre – en cochant la case correspondant à leur situation – à cette question plutôt personnelle : « madame ou mademoiselle » ?


Dans certains formulaires, il leur est également demandé de préciser leur nom de jeune fille, un peu comme si adopter le nom de l’époux relevait encore d’une évidence implacable.
Les féministes ne sont pas d’accord avec cet état de fait.


Voilà pourquoi, le 27 septembre 2011, deux associations féministes françaises – « Osez le féminisme ! » (1) et « Les chiennes de garde » (2) – ont décidé de lancer une campagne intitulée « Mademoiselle, la case en trop. » Les deux associations réclament la suppression du terme « mademoiselle » de tous les documents administratifs. « C’est inégalitaire », affirment-elle. « Il n’existe pas de case identique pour les hommes. »


Définition


Le terme mademoiselle est issu de l’Ancien Régime. Au 15ème siècle, « Mademoiselle » était la fille de « Monsieur », le frère du roi. Au 17ème siècle, le titre désignait les femmes célibataires, vierges, et donc à marier.


Aujourd’hui, selon la définition du Larousse :


Le terme « mademoiselle » est donné à une jeune fille ou  à une femme non mariée.


Ceci est vrai en ce qui concerne les documents administratifs. Mais dans la vie de tous les jours, les choses ne sont pas pareilles. Le terme « mademoiselle » n’a plus grand chose à voir avec le statut marital et est plutôt donné en fonction de l’âge. Les femmes – même célibataires – commencent souvent à se faire appeler « madame » aux alentours des trente ans.


Les arguments des féministes


D’après les féministes, aujourd’hui, la distinction Madame/Mademoiselle n’a plus aucun sens. Pire : le terme « mademoiselle » est condescendant et discriminant. Il représente une marque vexatoire et stigmatise les femmes non-mariées. « C’est une appellation très symbolique des inégalités », affirme Julie Muret, cofondatrice d’Osez le féminisme (3).
« Je ne vois pas pourquoi on fait ce distinguo qui n’a plus aucun sens », commente Brigitte Grésy, auteur du « Petit traité contre le sexisme ordinaire » (4) qui épingle les comportements quotidiens qui infériorisent les femmes.

 

C’est également le sentiment de Laurence Waki, auteur du livre « Madame ou mademoiselle » (5). « On impose une identité soit en fonction de l’âge, soit du statut matrimonial, c’est insupportable », explique-t-elle. « Implicitement, on vous dit que vous n’êtes pas finie tant que vous n’êtes pas mariée. Cela oblige la femme à exposer une situation personnelle et familiale. »


Il n’existe pas de terme masculin équivalent. Appeler un jeune homme « mon damoiseau » est aujourd’hui – et depuis longtemps déjà – totalement désuet. Les féministes demandent donc la suppression de la case « mademoiselle » de tous les documents administratifs.


 « C’est un reliquat de l’époque où les femmes étaient considérées comme des mineures, et ne pouvaient donc rien faire sans l’approbation de leur mari. » (6)


Les féministes soutiennent également que la case « mademoiselle » représente une intrusion dans la vie privée.


Les arguments des opposants


Pour les détracteurs de cette bataille sémantique, cette bataille de mots est sans importance et passe à côté des vrais combats. D’après eux, il existe des inégalités bien plus importantes à traiter  telles que les violences faites aux femmes, les inégalités salariales ou la pauvreté des femmes dans le monde.


Certaines féministes le pensent aussi. C’est le cas d’Agnès Poirier, une journaliste française qui vit à Londres depuis 1995 : «  Qu’est-ce qui est plus important pour une petite fille française aujourd’hui : se faire appeler "madame" dès l’âge de 4 ans ou savoir que sa mère reçoit le même salaire qu’un homme faisant un travail équivalent ? Qu’est-ce qui est plus important pour une femme française aujourd’hui : ne plus jamais se faire appeler "mademoiselle" ou être assurée de trouver une place en crèche pour son bébé de 3 mois ? Est-il plus important d’interdire un mot qui n’a de valeur que culturelle ou de faire entrer davantage de femmes au Parlement ? Nous devrions apprendre de nos mères, qui avaient déjà soulevé cette question en 1972 avant de décider qu’il y avait peut-être des problèmes plus urgents à traiter. Grâce à elles, depuis 2005 la loi française autorise les enfants à choisir le nom de famille de leur mère, et un homme marié peut porter le nom de sa femme. Voilà des batailles qui valaient la peine. On peut le regretter, mais le fait est qu’il y a plus pressant pour les femmes françaises que d’interdire l’usage du "mademoiselle". » (7)


De plus, certaines femmes tiennent au terme « mademoiselle ». Cette appellation les flatte et est perçue comme un compliment venant souligné le fait que malgré leur âge, elles ont gardé un air de jeunesse.


Dans la loi


En théorie, ce combat n’a, en fait, aucune raison d’exister. En France, au cours des trois dernières décennies, le gouvernement a tenté de convaincre les administrations de ne plus utiliser la mention « Mlle » dans leurs formulaires (la première recommandation remonte à 1972). Mais les fonctionnaires ont fait la sourde oreille et les secteurs public et privé continuent à utiliser les trois cases (8).


En Belgique, un décret de 1993 précise que le terme « madame » doit être privilégié dans les administrations et que le statut marital de la femme ne doit pas être pris en compte (9).


Et à l’étranger ?


Le terme « mademoiselle » est une spécificité de la langue française. En France, les gens mettent souvent du temps à s’appeler par leur prénom. Ils sont donc souvent obligés de choisir entre les appellations « Madame » ou « Mademoiselle ».


En Allemagne, le terme Fräulein est de moins en moins utilisé.


En Angleterre, la question a été réglée depuis longtemps déjà. Une anglaise ne se fait pratiquement jamais appeler « miss ». Les hommes et les femmes se présentent généralement en donnant leur prénom, parfois leur nom de famille.


En Italie, seuls le nom et le prénom – et non le titre de civilité – sont exigés sur les formulaires (10)


Conclusion


Il existe effectivement un déséquilibre de vocabulaire dans la langue française puisque les hommes ne sont pas appelés différemment selon leur statut matrimonial. Un homme est un "monsieur" dès que la moustache lui pousse et il le reste jusqu’à sa mort. Une femme est officiellement "mademoiselle" jusqu’à ce que le mariage en fasse une « madame ». Mais est-ce vraiment là une « offense » et un signe de « condescendance » ? (11)


Dans le fond, chacun est autorisé à l’utiliser comme bon lui semble puisque le terme n’a aucune valeur légale. Sa mention est un détail purement administratif que les femmes ont parfaitement le droit d’ignorer. Si une femme mariée souhaite se faire appeler « mademoiselle » ou si une femme non mariée veut être appelée « madame », il lui suffit de cocher la case de son choix : personne n’ira la traîner devant les tribunaux. Il s’agit essentiellement d’une tradition. (12)


Ceci dit, considérer ce combat comme étant « sans importance » est peut-être légèrement exagéré. Les gros combats ne doivent pas éclipser les petites guerres. Ne faut-il pas savoir avancer sur tous les fronts ? Les mots et les symboles ont aussi un impact, et le langage reflète la réalité du monde. (13)



Sources


(1) http://www.osezlefeminisme.fr/
(2) http://www.chiennesdegarde.com/
(3) http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/29/elles-veulent-la-peau-de-mademoiselle
(4) « Petit traité contre le sexisme ordinaire », Brigitte Grésy, Albin Michel, 2009.
(5) « Madame ou Mademoiselle », Laurence Waki, Max Milo Editions, 2006.
(6) « Petit traité contre le sexisme ordinaire », Brigitte Grésy, Albin Michel, 2009.
(7) http://www.courrierinternational.com/article/2011/10/06/feminisme-elles-veulent-tuer-le-mademoiselle
(8) http://www.courrierinternational.com/article/2011/10/05/mademoiselle-de-beauvoir-doit-se-retourner-dans-sa-tombe
(9) http://www.courrierinternational.com/article/2011/09/29/elles-veulent-la-peau-de-mademoiselle
(10) http://www.rtbf.be/info/societe/detail_et-si-on-supprimait-mademoiselle?id=6831393
(11) http://www.courrierinternational.com/article/2011/10/06/feminisme-elles-veulent-tuer-le-mademoiselle
(12) http://www.courrierinternational.com/article/2011/10/05/mademoiselle-de-beauvoir-doit-se-retourner-dans-sa-tombe
(13) Analyse réalisée par Isabelle Bontridder

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