Analyse 2011-23 

Les scandales provoqués par la révélation d’abus sexuels commis par des clercs sur des mineurs ont provoqué une réprobation unanime vis-à-vis des auteurs de ces actes mais aussi vis-à-vis de l’attitude de l’Eglise catholique, qui a souvent maintenu une chape de silence sur les faits qui étaient portés à sa connaissance. Ces faits récents posent diverses questions sur lesquelles il est utile de s’interroger mais leur déroulement a aussi été l’occasion de mettre en lumière un changement de rapports entre l’Eglise et l’Etat en Belgique.     

 

Les causes de la pédophilie  

 

La première question que l’on peut se poser concerne l’origine de la pédophilie(1). Les premiers commentaires de l’homme de la rue mettaient en cause le célibat des prêtres. Le célibat est-il la cause de tous les maux ? Certains l’affirment. D’autres crient au simplisme. Y a-t-il un lien, et lequel, entre célibat et pédophilie ?Il faut d’abord rappeler que la pédophilie se rencontre tout autant parmi les gens mariés que les célibataires. De ce point de vue, il n’y a donc aucun lien entre célibat et pédophilie. Mais on peut s’interroger sur la manière d’envisager la sexualité et sur ses effets. Les mots de saint Paul sont célèbres : « S’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient ! Car il vaut mieux se marier que brûler ! » Les premiers chrétiens valorisaient le célibat et la continence, parce qu’ils étaient convaincus d’un retour imminent du Christ. Mais comme saint Paul connaissait les dangers de l’angélisme, il conseillait le mariage aux moins vaillants ! L’exercice d’une sexualité effective était donc considéré comme un pis-aller. Une vision pas très positive, on en conviendra, qui a pourtant marqué jusqu’à nos jours l’approche de la sexualité au sein de l’Eglise catholique. Pour les candidats à la prêtrise, confrontés à l’idéal mais aussi à l’obligation du célibat, la sexualité en devient source de danger. Soyons justes : jusqu’il y a quelques dizaines d’années, la société dans sa grande majorité avait une vision assez négative de la sexualité. Les séminaires ne faisaient que renforcer la méfiance des « élus de Dieu » qui y étaient formés. Une peur qui pour certains remontait à leur première enfance. Pour Yvonne Rousseau, psychanalyste qui publia un petit ouvrage (2) au moment de l’affaire Dutroux, la pédophilie vient généralement d’un blocage de la maturation affective et sexuelle à un stade infantile. « Pour mes patients prêtres pédophiles, la pédophilie s’enracinait presque toujours à la même terre : l’éducation puritaine de leur mère. Des femmes pieuses et bonnes mais ne voyant dans la sexualité que péché et ordure. Conditionnés à l’angélisme, leurs pulsions en sont restées au stade du jardin d’enfant. » A ceux qui étaient habités par la peur des femmes et de la sexualité, devenir prêtre pouvait apparaître, inconsciemment, comme une manière de se protéger, dans un statut valorisant.  Seulement voilà, les pulsions que l’on réprime sont parfois les plus fortes. Et les prêtres, auréolés de leur position d’hommes de Dieu, suscitaient souvent plus que tout autre adulte la confiance de leurs victimes. Lorsque les pulsions d’une sexualité adulte devenaient trop fortes, cela ne posait pas trop de problèmes. Tout au plus une entorse à la promesse de continence, débouchant pour un certain nombre sur une vie de couple. Mais lorsque la sexualité en est restée à un stade infantile et s’est orientée vers la pédophilie, il ne s’agit pas seulement d’une entorse mais d’un crime sexuel.La plupart des « affaires » que l’on révèle aujourd’hui sont anciennes et sont donc le produit d’une culture et d’une situation révolues. On se plait à croire que l’éducation des enfants, la place que l’on accorde à la sexualité, ainsi que la formation des prêtres ont changé. Mais quand des responsables d’Eglise, confrontés à la tourmente, rappellent le caractère sacré du célibat, c’est une façon de refuser le débat. Le célibat est peut-être sacré, mais la sexualité l’est au moins tout autant. Apprendre à confronter son propre désir au désir d’un autre adulte est une expérience de rencontre de l’altérité qui serait sans doute bénéfique pour beaucoup. Le débat mérite en tout cas d’être ouvert… 

 

Des causes pas seulement individuelles   

 

Même si elle est resituée dans un contexte culturel plus global de répression de la sexualité, cette explication des crimes commis par des ecclésiastiques vise essentiellement des causes individuelles, des défauts de maturation affective de certains. Certains analystes ont pourtant fait remarquer que le fonctionnement du pouvoir à l’intérieur de l’Eglise n’était peut-être pas étranger à ces crimes. Le pouvoir sacré dont le prêtre est investi par l’institution ecclésiale, les rapports asymétriques qui en découlent, constituent des éléments essentiels pour que les faits soient rendus possibles et pour qu’ensuite ils soient gardés sous silence.Ainsi, Etienne Arcq écrit que : « Ces actes n’ont pu être commis avec cette ampleur que dans des relations pastorales asymétriques par nature, mais rendues d’autant plus asymétriques qu’elles sont investies d’un pouvoir symbolique sacralisé. La tendance dominante aujourd’hui dans l’Eglise catholique, et qui gagne du terrain en Belgique, ne va certainement pas dans le sens d’une désacralisation du rôle des clercs. Le contexte institutionnel explique aussi pour une bonne part le traitement interne donné par l’Eglise au dossier des prêtres pédophiles. La concentration du pouvoir dans les mains des évêques, sa forte personnification et l’absence de mécanismes permettant de le tempérer ou de le contrôler ont renforcé une tendance déjà forte à l’attentisme et à la prudence des autorités »(3).Si l’on suit le raisonnement d’Etienne Arcq, il y aurait donc lieu d’être vigilant vis-à-vis de l’avenir. Certes, les prêtres sont moins nombreux et moins entourés d’un halo social de sainteté, mais dans les cercles où ils sont amenés à exercer leurs fonctions, le renforcement ces derniers temps de leur aspect « à part » ou sacré les place à nouveau, après la parenthèse de Vatican II, dans des rapports très asymétriques avec leurs ouailles.   

 

Le rapport entre le droit civile et le droit canon  

 

La manière dont ont été traités les cas de pédophilie de la part de prêtres portés à la connaissance des autorités ecclésiastiques ces dernières décennies amène à s’interroger sur un autre aspect des choses : les relations entretenues dans le passé et jusqu’à aujourd’hui entre le droit civil et le droit ecclésiastique, à savoir le droit canon.Pendant des siècles en effet, quand elle n’exerçait pas elle-même la Justice, l’institution ecclésiale considérait que le l’Eglise fonctionnait selon ses propres règles, avec ses propres instances de jugement. Comme les juridictions militaires qui étaient habilitées à juger un militaire qui avait commis un crime, les autorités ecclésiastiques estimaient pouvoir traiter au sein de l’Eglise les dérives de certains de ses membres. Si l’on considère aujourd’hui que les clercs et les religieux, citoyens à part entière, ont à répondre de leurs actes devant les juridictions civiles s’ils vont à l’encontre des lois de la société, cette manière de voir est assez récente. Jusqu’il y a peu, les autorités religieuses, lorsqu’elles avaient sanctionné un clerc suite à des comportements délictueux, considéraient que justice était faite et que rapporter les faits à la justice civile s’apparenterait à de la délation. S’ajoutait à cela une culture du secret entretenue par l’habitude de fonctionner dans le respect du secret professionnel de la confession, qui ne facilitait pas les choses.Cette conception était d’ailleurs partagée par une grande partie de la société. Et certaines réactions récentes montrent qu’elle n’a pas disparu. Par exemple, lorsque l’affaire Van Geluwe a éclaté, de nombreuses personnes, même en dehors des rangs catholiques, ont reproché à l’Eglise (l’Eglise de Belgique ou le Vatican) de ne pas avoir pris de sanctions plus sévères à l’égard de l’évêque. Attendre que les sanctions viennent de l’Eglise, n’est pas déjà une manière d’accorder implicitement un certain pouvoir juridique à l’institution ecclésiale, à côté de la justice civile ?   

 

De nouveaux rapports entre l’Eglise et l’Etat  

 

Les récents développements des affaires de pédophilie en Belgique, avec la commission parlementaire et les récents accords sur les procédures d’indemnisation des victimes, ont fait apparaître de nouveaux rapports entre l’Eglise et l’Etat.Le sociologue Joseph Pirson proposait ainsi de partir du contexte hypermédiatisé de ces affaires pour faire quelques constatations. « Des évêques et supérieurs religieux de genre masculin comparaissent en audition devant des parlementaires réuni(e)s en commission présidée par une parlementaire. » Qu’est-ce que cela signifie ?« Des représentants masculins d’une institution qui prétend exercer les orientations et le contrôle de la vie intime (pas simplement privée et publique) de ses affiliés, sont mis en demeure de répondre à des représentant(e)s élu(e)s d’une institution, le Parlement, qui a pour mission de fixer des règles de droit commun et se fixe ici des missions d’instruction de dossier en responsabilité civile des premiers qualifiés. Ici, les acteurs de genre masculin sont interrogés par une actrice du genre féminin qui occupe la chaire et gère la parole, dans une légitimité reconnue par le corps social. Cette mise en scène n’est pas anodine : elle renvoie à un renversement de rôles et des places assignées par une certaine tradition aux un(e)s et aux autres dans un contexte de violence à la fois niée, dévoilée, assumée ou non par les protagonistes mis à la question (4). »Cette présentation des faits sous cet angle de vue indique déjà suffisamment en quoi les affaires de pédophilie ont été l’occasion de mettre au jour ou d’accélérer la transformation des relations entre l’Eglise et la société, et cela dans le contexte particulier de la Belgique, où la séparation Eglise/Etat n’est pas totale, puisque les cultes sont reconnus et financés par les pouvoirs publics. C’est probablement aussi dans ce contexte qu’il faut lire les récents accords quant aux procédures d’indemnisation des victimes par l’Eglise catholique. La collaboration de l’Eglise a été saluée par Karine Lalieux, la présidente de la commission parlementaire. La pression sur l’Eglise était en effet grande. Sa légitimité dans la société, et donc sa légitimité à recevoir son financement par la collectivité, implique qu’elle assume sa crédibilité face à l’ensemble de la société. Cette crédibilité allait hier de soi et était même marquée d’un sceau sacré, elle doit aujourd’hui se justifier. Ce changement de rapports aura pour l’avenir des influences qui vont bien au-delà du traitement des cas d’abus par des prêtres pédophiles (5).



(1) Voir à ce propos l’article rédigé par José Gérard pour la magazine L’Appel de mai 2010 « Qui veut faire l’ange… ».

(2) Yvonne Rousseau, Pédophilie. Prévenir pour ne pas avoir à guérir !, coédition Feuilles Familiales et Jeunesse et Droit, 1997.

(3) Etienne Arcq, L’Eglise catholique et les exigences de la démocratie, CRISP, 2011.

(4) Joseph Pirson, Les rapports entre la société et l’église seraient-ils en train de changer ?, HLM n°125, septembre 2011.

(5) Analyse réalisée par José Gérard.

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants