Analyse 2011-29

Deux ou trois familles qui passent un week-end ou un séjour de vacances en commun, c’est de plus en plus fréquent. La formule est-elle porteuse de bénéfices pour tous ou faut-il se méfier des conflits que cela peut engendrer ?

Une semaine dans un chalet à la montagne pendant l’hiver. Trois familles réunies, avec des enfants d’âges différents. On se partage les tâches. On réunit les enfants par niveau de maîtrise du ski. Les parents prennent du bon temps entre adultes quand les enfants sont au lit.
Une villa dans le midi de la France en plein été. En s’y mettant à deux familles, c’est moins cher. On peut se permettre la piscine. Les enfants sont tout heureux de retrouver les copains pour les grands jeux ou les baignades et les parents apprécient les apéros et les barbecues partagés.


Un gîte en Ardenne pour un grand week-end à l’automne, avant qu’il ne fasse trop froid. Les grandes balades dans les bois pour les plus vaillants, un adulte qui reste sur place pour jouer avec les enfants plus petits. On se retrouve le soir au coin du feu pour profiter d’un rythme de vie plus cool, avant de reprendre le boulot.
Louer un gîte pour passer des vacances ou un grand week-end en famille avec des amis, la formule, si elle n’est pas nouvelle, semble prendre plus d’importance. Selon Jean-Marie Orban, de la Fédération des Gîtes de Wallonie, « Le succès des gîtes de groupes pour des week-ends entre amis, s’il n’est pas nouveau, a tendance à s’affirmer » (1).

 

Les raisons du succès

Qu’est-ce qui pousse donc des familles de plus en plus nombreuses à se réunir pour organiser des séjours de détente ?

La première motivation est certainement de l’ordre de la convivialité. C’est parce que l’on a envie de passer du temps ensemble que l’on imagine de tels projets. La période de loisirs s’enrichit de la présence de ceux que l’on aime. Et comme on n’a pas toujours le temps de se rencontrer pendant l’année, quand chacun est absorbé par ses tâches professionnelles ou familiales, on se réserve un temps plus ou moins long qui sera dédié à la convivialité. Les individualistes jaloux de leur espace privé ne recourent pas à ce genre de formules.

Une autre motivation peut être financière. Souvent, les infrastructures pouvant accueillir un plus grand nombre de personnes sont proportionnellement moins chères que les appartements ou gîtes unifamiliaux. Puisqu’on partage certaines infrastructures (une seule cuisine, même si elle est un peu plus développée, une seule télé, etc.), le coût pour chaque personne se voit réduit d’autant. Cela permet souvent de s’offrir des infrastructures auxquelles on n’aurait pas accès en individuel, mais la vie quotidienne se fait souvent aussi moins onéreuse. On achète en plus grandes quantités, on gaspille moins, on va moins au restaurant, on obtient parfois des réductions lors des visites, etc.

 

La vie en groupe plus important qu’une seule famille amène aussi d’autres bénéfices. Tout d’abord au niveau de la répartition des tâches. Des familles avec enfants encore petits peuvent se permettre d’être « libérées » à certains moments des soins aux plus jeunes. Un des adultes ou un enfant plus âgé peut se charger de surveiller la sieste ou d’organiser l’animation ludique pendant que les autres peuvent se permettre une activité plus en rapport avec leurs centres d’intérêt : visite d’un musée, longue randonnée ou activité sportive plus risquée. Mais toutes les tâches de la vie quotidienne peuvent ainsi être mutualisées : les courses, la préparation des repas, les vaisselles, l’entretien de la maison. Il n’est pas beaucoup plus compliqué de préparer le repas pour dix plutôt que pour cinq, mais il est par contre très différent de ne s’en charger qu’un jour sur deux ou sur trois.

 

La présence d’autres personnes élargit aussi les ouvertures vers des centres d’intérêt nouveaux. On visitera un musée de la vie rurale parce qu’un des amis est passionné d’engins agricoles anciens. On n’y aurait jamais pensé soi-même, mais on apprécie d’y avoir été entrainé. On se lancera à la découverte d’une spécialité culinaire locale parce qu’un des membres du groupe est plus intrépide au niveau culinaire. On osera une descente de rivière un peu tumultueuse parce que l’ami est sportif et qu’on se dit qu’on peut compter sur lui en cas de difficultés. Etc. C’est le bénéfice de la vie collective. On est plus riches à plusieurs.

 

Puisque l’on parle ici de séjours en famille, l’intérêt des enfants est évidemment lui aussi très présent. Très souvent, ces initiatives communes à plusieurs familles ont pour ressort prioritaire la volonté de permettre aux enfants d’avoir des copains et des copines de jeux, même quand on est rentré le soir. Cela combine à la fois le plaisir d’être chez soi et de bénéficier de la présence d’autres, contrairement aux campings ou centres de vacances, qui permettent les rencontres mais garantissent moins l’espace privé.

 

Les écueils à éviter

 

Evidemment, la formule ne présente pas que des avantages et il ne faut pas s’y plonger tête baissée. Des amitiés qui paraissaient solides se sont vues anéanties par des séjours de vacances en commun. A quoi faut-il donc être attentif pour éviter les conflits et les désagréments ?

 

Le premier élément à relever tient sans doute à la réalité de toute relation. En couple, en famille, entre amis, il faut toujours arriver à combiner le temps pour soi et le temps partagé. Chacun a besoin de temps pour lui, ne serait-ce que pour des besoins élémentaires comme sa toilette. Lorsque l’on partage les mêmes infrastructures, il faut pouvoir combiner les besoins de tous. Mais cela peut aussi être le besoin de s’isoler quelques instants ou quelques heures. Ces besoins sont rarement identiques d’une personne à l’autre et si l’on a l’impression de vivre trop à l’encontre de certains de ses besoins profonds, le séjour de détente risque d’être mal vécu.

 

Plus largement, les rythmes et habitudes de vie peuvent être très différents d’une famille à l’autre. Ne pensons qu’aux heures de repos, à l’habitude de se lever tard en vacances ou au contraire de vouloir profiter au maximum de son séjour ; à la régularité des heures de repas, essentielle pour les uns, antinomique avec un séjour de vacances pour les autres ; à l’alimentation « équilibrée » et cuisinée des uns, quand les autres s’autorisent bonbons, chips et pizzas à tous les repas pendant les vacances ; etc. Les motifs de tensions peuvent être nombreux quand on vit sous le même toit pendant quelques jours.

 

Ces modes de vie sont d’ailleurs parfois le reflet de systèmes éducatifs différents. Dans une famille, les parents tiennent beaucoup à ce que les enfants participent à toutes les activités, même les visites d’églises et de musées pour lesquelles ils ne manifestent que très peu d’enthousiasme. D’autres estiment qu’en vacances, on doit imposer le moins possible. Difficile de maintenir sereinement sa position de parent quand les copains, eux, peuvent rester autour de la piscine pendant que les parents font des visites culturelles.

 

Un autre sujet de fréquentes discordes est l’argent. Les revenus ne sont pas nécessairement les mêmes d’une famille à l’autre et, même s’ils sont comparables, l’utilisation de l’argent est parfois très différente. Pour certains, on ne se refuse rien en vacances. Pour d’autres, une certaine sobriété fait partie de leurs habitudes de vie, même en séjour de loisirs. Cela se marque au supermarché quand on fait les courses avec la cagnotte commune, si l’un des participants se permet des mets coûteux alors que l’autre passe son temps à chercher les produits les moins chers ; quand on visite une ville et que l’on se demande si l’on s’arrête à une terrasse pour offrir une glace aux enfants ; quand on s’interroge sur les infrastructures de loisir à proximité que l’on pourrait fréquenter, etc. Les occasions de friction sont nombreuses, surtout lorsque le séjour se passe dans une région touristique, où tout est fait pour solliciter la fibre consumériste des enfants comme des adultes.

 

Toutes les différences peuvent être sources de tensions. Et celles qui amusent pendant un week-end sont parfois plus difficiles à vivre pendant 15 jours : on supportera facilement l’apéro à tous les repas pendant un week-end, alors qu’on le trouvera peut-être excessif pendant un long séjour ; on s’amusera de l’excentricité des horaires pendant trois jours, mais on se trouvera épuisé après dix, etc.

 

Des conseils ?

 

Si la formule est tentante et présente de nombreux avantages, il convient sans doute de faire preuve d’une certaine prudence avant de se lancer, si l’on veut mettre toutes les chances de son côté.

 

Commencer par une expérience d’un week-end ou de quelques jours avant de réserver un long séjour.
Echanger un minimum avant le séjour en essayant d’expliquer aux autres la manière dont on a l’habitude de fonctionner en vacances, ce que l’on trouve important, ce qui est plus secondaire, etc. Ecouter leur propre manière de voir et se demander si cela semble compatible.
Se répartir les tâches de préparation du séjour : repérage des curiosités de la région, inventaire du matériel nécessaire, etc.
Imaginer quelques conventions de vie commune et de répartition des tâches : horaires, prises en charge des enfants, tâches communes, etc.
Préciser les questions d’argent, le budget que l’on se donne, la manière de fonctionner sur place.
Se donner la possibilité, et se le dire explicitement, de ne pas fonctionner obligatoirement ensemble 24 heures sur 24.
Se promettre de dire ce qui pose problème avant que la situation s’envenime.

 

Moyennant ces quelques précautions élémentaires à toute vie commune, le séjour avec des amis devrait non seulement être très agréable, mais constituer en outre une bonne formation à la vie collective et à la démocratie (2).

 


(1) Cité par Chantal Berhin, Un gîte et des amis, L’Appel de décembre 2011, pp. 12 et 13.
(2) Analyse rédigée par José Gérard.

 

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