Analyse 2012-02

L’opération « La langue française en fête », proposée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, peut être l’occasion de s’interroger sur la communication dans le couple. Et pourquoi pas utiliser l’écriture dans un but de compréhension de soi-même et de l’autre et d’amélioration de la relation entre les personnes au sein de la famille ?



Pendant une semaine, à l’occasion du printemps, la langue française était à la fête ! Du 17 au 25 mars en effet, « La langue française en fête  » a mobilisé petits et grands dans toute la Fédération Wallonie–Bruxelles, et à Molenbeek, la Ville des mots 2012. Toutefois, vu le grand nombre d'activités, le programme a même dépassé ce calendrier pour s'échelonner sur toute la durée du mois de mars.


« Tout a été prétexte à jouer, à suspendre, à exposer, bref à donner vie aux mots : «  les mots s’emballent » et nous entraînent dans leur sillage à un rythme effréné. Des mots à « mettre en boite », à envelopper, des mots à offrir, des mots à décliner de mille et une façons pour déballer nos idées et nos envies et emballer nos cÅ“urs ! », ainsi s’annonçaient ces activités ludiques et langagières.
Depuis 1995, le Service de la langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles orchestre cette campagne en collaboration avec le Conseil de la langue française et de la politique linguistique, campagne qui encadre traditionnellement la journée du 20 mars, journée internationale de la francophonie.

Et si dans les couples…

Fort bien certes, et peut-être que l’un ou l’autre qui liront cette analyse y auront pris part, seuls ou en famille, mais « Couples et Familles » y a trouvé occasion pour porter une attention toute particulière à des pistes de mots particulièrement intéressantes pour le dialogue en couple : des mots source de fête, des mots-bonheur. Des mots qui peuvent être des « outils » particulièrement efficaces, mais  auxquels les conjoints ne songent pas spontanément et qui sont pourtant à leur portée.
Ce n’est pas une idée neuve pourtant pour des amoureux que de s’écrire. La littérature en est pleine. Elle charrie des torrents de lettres et de mots de toutes natures et de toutes intensités. Ce n’est toutefois pas d’abord, ni même surtout ce type de mots et de lettres-là que cette analyse tente de promouvoir. Il s’agit bien pourtant de démarches écrites, mais non pas centrées d’abord sur les sentiments amoureux qu’éprouvent les partenaires l’un pour l’autre - bien qu’un petit bisou au passage ne fait jamais tort -, mais sur les événements du quotidien, paroles qui s’évaporent à peine dites, ou à propos desquelles les conversations dérapent parfois en tensions, ou tournent en rond par manque de temps pour réfléchir avec la distance nécessaire.
S’écrire alors même que nous sommes pratiquement l’un à côté de l’autre n’est pas aussi idiot qu’il pourrait paraître à certains. Ecrire oblige déjà à prendre un minimum de distance vis-à-vis de l’émotion pour l’objectiver. Les mots à partager ont le temps de s’emplir en nuance et en précision. Des couples que les réalités de la vie professionnelle tiennent éloignés l’un de l’autre pendant des périodes plus ou moins longues l’ont évidemment expérimenté de tout temps. Même eux ne s’écrivent sans doute plus aujourd’hui : l’autre nous est toujours à portée de voix grâce aux portables ou aux autres moyens multimédias dont nous disposons. Là encore toutefois, le courrier électronique, quand il se réduit pas au « chat » qui ne laisse pas plus le temps de la réflexion que la conversation, peut demander la même attention à propos de ce qui se dit comme de la manière de le dire. Peut-être que ces missives ont même plusieurs avantages sur ces correspondances d’hier, dans la mesure où elles parviennent à l’autre dès qu’elles lui sont adressées, mais aussi qu’elles peuvent se garder et permettre dès lors de se référer plus facilement et plus précisément aux partages antérieurs. Elles permettent en quelque sorte de partager le présent et d’approfondir le partage.

Une méthode à promouvoir

A plus d’une reprise, les études et les ouvrages publiés par « Couples et Familles » ont proposé ce type de partage écrit dans le couple, même rédigé à proximité l’un de l’autre, voire côte à côte. Exprimer par écrit la manière dont tel ou tel événement a été ressenti ou est envisagé, oblige les partenaires à se concentrer sur ce qu’ils appréhendent en profondeur à ces propos, et à clarifier, pour eux-mêmes et donc a fortiori pour l’autre, ce qui les a marqués ou ce qui les motive.
« Mariage Encounter  », une association qui propose des week-ends d'apprentissage du dialogue conjugal, et qui propose aux partenaires des couples de faire l'expérience d'un dialogue nouveau et riche pour la communication, évoque dans ses démarches concrètes de communication, l’apprentissage d'une méthode qui ouvre une manière nouvelle d'envisager la vie, méthode qui fait une part belle au partage écrit.
Ainsi que « Couples et Familles » l’a toujours promu, mais de manière plus dirigée - encore qu’il appartient à chaque couple d’élaborer, en  fonction de ses réalités et de ses aspirations propres, à déterminer leur manière la plus adéquate de se référer à quelque méthode que ce soit -, « Mariage Encounter » propose même un échange écrit de manière régulière.

Littérature ni dissertations

« Couples et Familles »  ne va pas jusqu’à proposer une telle systématisation, sans nier pour autant qu’elle puisse avoir son intérêt et fort bien convenir à certains couples, mais imagine par ailleurs de tels échanges hors de tout objectif littéraire ou strictement fonctionnel.

Que la langue soit belle si elle peut l’être et c’est tant mieux. L’effort de bien écrire est un exercice de formation personnelle et peut être pour l’autre témoignage de la volonté de lui plaire, mais il peut aussi, à l’inverse, surtout si l’autre éprouve des difficultés de rédaction, un moyen de le dénigrer indirectement, ou de lui faire sentir sa supériorité.
Comme en tout autre démarche de couple, celle-ci se doit d’être concertée et d’apporter un agrément réel pour les deux partenaires. Que l’un des deux ait horreur d’écrire ou éprouve des difficultés majeures à le faire, et ce serait de la part de l’autre, à vouloir le lui imposer, lui témoigner d’une incapacité à tenir compte de lui.
Pas question non plus de « dissertation » sur les thèmes abordés. Il ne s’agit, ni pour l’un, ni pour l’autre, d’exposer la qualité de tel moyen de chauffage ou de transport, ou encore de discuter des recettes à envisager lors de la venue prochaine des beaux-parents ou d’amis.
Ce que permet de neuf l’écriture dans le dialogue du couple, c’est d’exprimer dans le calme et la patience des mots à transmettre ce qui se passe en soi devant telle ou telle attitude, devant tel ou tel événement. Comment allons-nous nous partager, avec toute la tendresse espérée par l’un et par l’autre, la manière dont nous les avons ressentis, négativement ou positivement.
Et quand elle l’a été négativement, prendre ainsi le temps de trouver les mots pour l’écrire, certes au plus juste, mais sans jugement ni condamnation, et tout en osant partager à l’autre des réactions ressenties telles, même si ce n’était pas toujours très raisonné ou justifié peut-être, mais sans qu’il ne s’en sente ni rejeté ni catalogué.

Pas seulement pour affronter les tournants difficiles

Il serait dommage pourtant de ne réserver ce mode écrit de communication qu’aux aspects les plus difficiles ou les plus irritants du dialogue. Les écrits auraient tôt fait d’y perdre leur capacité d’être signes de fête et, plutôt que de contribuer à alléger le partage conjugal, leur seule évocation risquerait de devenir annonce d’impasse ou de reproche.
D’où l’intérêt d’une certaine régularité de ce type d’échange, afin de lui conférer et de lui conserver avant tout ce caractère d’attention amoureuse et donc de fête de partage. Il y a autant à dire à propos des joies vécues ou espérées ensemble qu’à propos des peines et des difficultés à affronter.

Avec les enfants aussi ?


Bien que moins systématique peut-être, le mode de relation par l’écriture peut fort bien aussi se faire atout dans l’éducation.
Les tout petits, lorsqu’ils commencent à peine à savoir mettre quelques mots sur le papier, aiment ainsi à glisser sous l’oreiller de leurs parents, ou sur la table de la cuisine, de ces petits mots doux, aux lettres à peine formées et aux mots écorchés, pour faire savoir qu’ils nous aiment.
Quand ils grandissent et qu’ils savent nous lire, alors qu’eux-mêmes ont bien normalement perdu cette naïveté innocente des premiers contacts avec l’écriture, ils conservent souvent comme des reliques telle ou telle lettre que nous leur avons adressée, par exemple lorsqu’ils étaient en vacances. En fouillant bien dans nos archives, ne retrouverions-nous pas, nous aussi, l’un ou l’autre écrit de nos parents, ou même de nos grands-parents ? Les courriels et autres SMS pourront-ils remplacer cela dans les mémoires ?
Au-delà de ces souvenirs d’ordre plus sentimental, une réflexion écrite et reposée adressée par exemple à une adolescente ou un adolescent, pour la ou le féliciter, par exemple à propos du look qu’il a osé pour sortir à ses yeux de l’enfance, mais avec toute l’appréhension qui a pu être la sienne, et lui dire notre fierté d’être ses parents. Parfois aussi pour l’interpeller suite aux interrogations qui nous habitent à leur propos.
Une conversation, même sur des aspects positifs que nous voudrions leur partager, peut engendrer des réactions de « je m’en foutisme » par malaise, même s’ils en retiennent du positif. Aborder face à face les questions plus difficiles conduit souvent à des réactions agressives qui se terminent en invectives de part et d’autres et assombrissent le climat familial. L’écrit n’évite pas toujours ces écueils, mais il permet souvent plus de nuance et de justesse. Même s’il ne trouve pas d’écho en retour, il engendre des silences de maturation et de réflexion plutôt que des rejets agressifs et des échanges de nom d’oiseaux que tout le monde préférerait ne jamais avoir prononcés.

Et pourquoi pas des mots pour couples plus heureux ?

Pendant une semaine, à l’occasion du printemps,  la langue française était à la fête !
Et pourquoi ne pas faire de cette initiative de formation permanente festive de la Communauté Française, une occasion de donner à l’écrit des possibilités de se faire l’allié d’une meilleure joie de vivre dans les couples et dans les familles ?
Des mots « bien emballés » « mis en boîtes cadeaux » pour couples plus heureux : de quoi faire la fête au printemps de l’amour et surtout n’en rien perdre pour les autres saisons .



[1] http://www.lalanguefrancaiseenfete.be 
[2] http://www.vivre-et-aimer.be/ME/Bienvenue_ME.html
[3] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.


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