Analyse 2012-08

Le tourisme de masse est une des conquêtes des dernières décennies. Il offre aux familles de nouveaux terrains pour le vivre ensemble et l’éducation. Parmi les mille façons de partir en vacances en famille, certains n’hésitent pas à opter pour des formules plus aventureuses, même avec des enfants encore jeunes. Est-ce raisonnable ?

L’aventure, selon le Petit Robert, c’est ce qui arrive d’imprévu, de surprenant. Lorsque des personnes recherchent des vacances aventureuses, ils cherchent à se mettre dans des conditions où ils seront confrontés à l’imprévu, aux surprises, à la découverte de l’inconnu.
Bien sûr, il y a toute une série de gradations sur l’échelle de l’aventure. Entre les explorateurs comme Livingstone ou Christophe Colomb partis à la découverte de mondes inconnus et la plaine de jeux avec terrain d’aventure, l’éventail est large.



Confrontation à l’inconnu, à l’imprévu, à soi-même

Pour certains, l’aventure se résume à s’efforcer de rester ouverts aux différences propres à la région de destination. Visiter une région ou un pays que l’on ne connaît pas permet de découvrir une langue, une culture, un patrimoine, des coutumes et des modes de vie différents. Plutôt que de se réfugier dans un hôtel ou un club où l’on vivra « comme chez soi », avec tout le confort et la cuisine auxquels ils sont habitués, ils préfèrent un contact plus direct avec les gens du pays, la manière locale de manger, ils fréquentent les petits marchés locaux plutôt que les supermarchés et essaient de nouer des contacts avec les gens du cru. C’est une attitude générale plutôt qu’un type de vacances particulier.
Pour d’autres, l’aventure signifie qu’ils ne réservent rien à l’avance, laissant au hasard des rencontres et aux circonstances locales d’influencer le déroulement de leurs vacances. Selon que la région est proche ou lointaine, que les infrastructures sont très développées ou plutôt rares et que les conditions de vie sont identiques aux leurs ou très différentes, cela peut évidemment provoquer des imprévus fort variés.
Les aspects aventureux peuvent aussi être programmés. Que ce soit en terrain familier ou inconnu, l’aspect aventureux concerne davantage la confrontation à ses propres limites, à ses peurs, à ses appréhensions devant l’inconnu. Ce sera par exemple le trekking en montagne, la descente d’une rivière tumultueuse, voire le séjour dans un club de vacances qui propose des activités sportives d’escalade ou de construction de cabanes dans les arbres. Si l’encadrement est professionnel, il n’y a généralement pas beaucoup de risques dans ces formules, mais il s’agit quand même pour les personnes d’accepter de se mettre en danger, de se confronter à ses limites physiques ou psychologiques.
L’ouverture à la différence, le refus de tout programmer et la confrontation à ses peurs et limites sont sans doute les trois éléments essentiels de l’aventure. Ils peuvent se retrouver dans des dosages divers selon le type de vacances. C’est d’ailleurs cette possibilité de dosage qui permet aux familles de se frotter à l’aventure en vacances.

Les attitudes des parents


Beaucoup de parents choisissent les vacances en fonction de leurs enfants et de leur âge. Quand les enfants sont encore petits, ils écartent donc d’emblée les séjours où ils ne sont pas sûrs de trouver les infrastructures, le confort  et l’hygiène qu’ils estiment minimaux pour leurs enfants. Ils choisissent en outre des endroits où les activités auxquelles pourront s’adonner les enfants leur paraissent adaptées à leur âge. Le club ou le camping avec des animations pour les petits, une location près de la mer, etc. Une autre façon de s’adapter aux âges et goûts différents est aussi de recourir aux stages et camps, où chaque enfant peut trouver ce qui lui convient, laissant au séjour en famille la recherche d’activités qui plaisent « suffisamment » à tous.
D’autres parents ont le projet d’ouvrir leurs enfants, même très jeunes, à d’autres cultures, à d’autres manières de vivre. Sylvie, qui a visité pas mal de pays encore peu fréquentés par les touristes, comme l’Albanie, avec ses enfants de moins de dix ans, ne réservait jamais d’hébergement à l’avance. Elle est enchantée de la formule : « Dans un monde où on a tendance à se replier sur soi et à avoir peur de la différence, on rencontre souvent des gens qui nous accueillent spontanément dans leur maison. Je suis contente de vivre cela avec les enfants. J’espère que cela leur donnera une bonne dose de confiance dans le monde ».
Pour d’autres, il s’agit tout simplement de continuer à vivre comme avant l’arrivée des enfants et de faire partager leurs passions à leurs enfants, même en bas-âge. Christine et Thomas, qui avaient l’habitude de voyager à deux avec le sac au dos, n’ont pas beaucoup changé leur mode de vie. Avec leurs deux filles âgées aujourd’hui de 2 et 4 ans, ils sont partis à la découverte de la Thaïlande pendant quatre semaines. Ils n’avaient réservé que l’un ou l’autre hébergement. Pour le reste, c’ était l’aventure, avec un grand sac à dos et deux porte-bébés. Pour les déplacements sur place, ils ont tout essayé, depuis le train ou les cars jusqu’au vélo ou aux bennes de camions. La cuisine locale leur a causé quelques désagréments, mais sans gravité. Et à la famille ou aux proches qui leur reprochaient d’embarquer des enfants si jeunes dans une telle insécurité, ils répondaient : « Nous aimons voyager et découvrir le monde. C’est notre passion et nous voulons la partager avec nos enfants. Elles apprennent à être curieuses et ouvertes à la différence. Nous essayons seulement de planifier un peu plus que si nous partions à deux et de nous adapter au rythme des enfants ».

Que penser des vacances aventureuses ?

Les attitudes peuvent donc être très différentes. Elles recouvrent des projets éducatifs différents, dont on aurait du mal à dire que l’un est cohérent et l’autre pas, puisque chacun semble attentif au bien de l’enfant. Les priorités diffèrent cependant d’une famille à l’autre.
Pour Couples et Familles, quelle que soit la formule choisie, les parents devraient peut-être se poser quelques questions [1] pour se mettre au clair avec leurs projets.

La première question serait peut-être de se demander à quelles différences on souhaite se confronter. Il est certainement très enrichissant de s’ouvrir à d’autres cultures et coutumes, mais la première différence qui est propre à la vie familiale, c’est que des personnes d’âges et de centres d’intérêt différents sont amenés à vivre ensemble. L’exercice des vacances familiales est donc souvent un savant casse-tête [2], pour trouver la formule qui apportera à chacun un peu de ce qu’il souhaite et de ce qui est adapté à son âge. Il ne faudrait pas qu’une volonté des parents de rencontrer la différence d’autres cultures les amène à oublier que leurs enfants sont différents d’eux en âge, en besoins, en rythme de vie, en capacité de récupération, etc. Cela n’exclut aucun type de vacances, mais cela demande d’y réfléchir sérieusement en vue de l’adapter à l’âge et au tempérament des différents membres de la famille.

Une deuxième réalité de la vie familiale est qu’elle est évolutive. On peut vivre des choses très différentes selon que l’on a des enfants de deux, douze ou dix-huit ans. On peut découvrir l’inconnu à tout âge, mais il y a aussi de l’intérêt à voir le type de vacances évoluer avec l’âge des enfants. On peut trimbaler un enfant dans un sac à dos pour visiter une église ou un musée sans que cela soit considéré comme de la maltraitance, mais il est peut-être mieux pour lui de le laisser patauger deux ou trois ans dans l’eau et le sable avant de l’y emmener, quand il commencera à pouvoir s’y intéresser. Pour autant qu’on prépare aussi le voyage et les visites avec les enfants, en éveillant déjà leur curiosité, avant le départ, vis-à-vis de ce qu’ils vont découvrir.

De toute façon, la question principale est de l’ordre de l’évaluation des différents aspects des vacances, en fonction de la santé, des revenus, de l’âge et des goûts des membres de la famille. Les risques courus sont-ils raisonnables ? L’investissement financier est-il en rapport avec le bénéfice espéré ? Quel sera le bénéfice réel du voyage pour le ou les enfants ?

Parmi les bénéfices possibles, il faut peut-être privilégier les aspects relationnels. Choisir une formule un peu aventureuse, où tout n’est pas programmé et encadré, permet au groupe familial de se laisser déstabiliser ensemble face à des situations inhabituelles. On perd ses repères et habitudes et il faut réagir ensemble à l’imprévu. Cela peut être une expérience marquante. Selon Thierry Tahon, auteur d’une Petite philosophie du voyage [3], cette confrontation à l’inconnu peut révéler chez certains enfants des facettes d’eux-mêmes jusque là peu apparentes. « Contrairement au tourisme qui adapte les destinations aux besoins de la clientèle et écarte tout ce qui peut être hasardeux et dangereux, le voyage réclame que l’on s’adapte aux lieux et aux situations. Vivre cette aventure en famille resserre les liens et la cohésion. En voyage, on s’expose ensemble à cet imprévu. Cette expérience peu banale soude la famille en la déstabilisant. »
La découverte de l’inconnu est en effet toujours en même temps une découverte de soi-même, et cet aspect du voyage est sans doute essentiel dans un projet d’éducation.

Néanmoins, l’aventure n’est pas toujours dans les pays lointains et toutes les familles, loin de là, ne peuvent pas se payer un billet d’avion pour se dépayser, même en vivant sur place au rythme des autochtones. Quelques jours avec les enfants, avec le sace au dos, à partir à la découverte du lieu où l’on vit, en demandant l’hospitalité dans une grange et en pique-niquant au bord de la rivière, à la merci de l’accueil des gens que l’on rencontre et des conditions atmosphériques, peut déjà être une véritable aventure, qui apporte beaucoup des bénéfices escomptés par les voyages en terre inconnue [4].

 
 

 
[1] En 1988, Couples et Familles avait publié un dossier « Les vacances : une valise de questions ». Ce dossier est toujours disponible.

[2] Voir à ce propos « Vacances en famille. Croisière ou galère ? », article de José Gérard dans RiveDieu n°12, juillet-août 2012.

[3] Thierry TAHON, Petite philosophie du voyage, éd. Milan, 2006.

[4] Analyse rédigée par José Gérard.
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